Nanan Boa Kouassi III: “De plus en plus, le rôle du chef est prépondérant’’

Nanan Boa Kouassi III, Roi de l’Indénié
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Nanan Boa Kouassi III: “De plus en plus, le rôle du chef est prépondérant’’

Le Conseil des ministres vient d’adopter récemment le projet de statut des rois et chefs traditionnels. Quels commentaires faites-vous ?
Vous avez suivi les élections électorales avec nous. La promesse de l’adoption d’un statut pour les rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire avait été faite par le Président Ouattara lors de sa campagne électorale. Avec le Chef de l’Etat, maintes fois, le sujet avait été évoqué lors de nos rencontres privées. Nous ne pouvons que nous féliciter pour cette parole qui a été tenue. D’ailleurs, nous saisissons l’occasion que vous vous donnez, pour lui traduire notre profonde reconnaissance. C’est pour nous une marque de considération qui sonne comme un appui du gouvernement au rôle que nous jouons au quotidien auprès de nos populations. Mais en même temps, nous voyons à travers ce statut, un appel du Président de la République et de nos concitoyens, à avoir un sens plus aigu de nos responsabilités en notre qualité d’autorités traditionnelles. Nous sommes globalement satisfaits en attendant de voir tours les contours du projet de loi qui sera bientôt voté à l’Assemblée nationale.   

Quelles sont vos attentes par rapport à ce statut ?
Vous savez que depuis l’époque coloniale, les chefs traditionnels ont toujours été confinés dans leur simple rôle d’intermédiaire entre l’administration étatique et les populations. Si à une époque antérieure, ce rôle pouvait être exécuté sans trop de contraintes, la situation a considérablement progressé avec l’évolution du temps. De plus en plus, le rôle du chef traditionnel est prépondérant. Il lui faut assumer pleinement ses fonctions en préservant le statut de leader qui est le sien. Cela n’est pas une tâche aisée avec les contraintes matérielles qui s’imposent de nos jours aux nouvelles sociétés. Actuellement, il y a de plus en plus de sous-préfectures dans un espace politique de multipartisme. Avec la politique de l’éducation nationale axée sur la formation instaurée par Feu Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire, nous avons de plus en plus de cadres dans nos villages. Le chef traditionnel n’a donc plus en face de lui des ‘’indigènes’’ analphabètes qui méconnaissent les fondements primaires d’une civilisation développée. Face à tous ces contingences, le chef traditionnel est aussi contraint de s’adapter à la nouvelle donne. Il doit être non seulement à un niveau d’ouverture intellectuel adéquat mais aussi au-dessus des besoins matériels primaires. Avec ce statut, nous attendons que le chef traditionnel soit investi d’une légitimité plus forte qui l’élève au-dessus de toute contingence tendant à altérer son autorité morale et même matérielle. Il reste entendu que l’Etat ne peut pas donner de grands moyens financiers pour honorer toutes les charges du chef, mais nous pensons que le minimum peut être fait pour les aider dans leurs tâches quotidiennes.     

Il existe encore de nombreux conflits de chefferie dans plusieurs régions comme à Grand-Bassam où il y a deux Rois et votre association semble impuissante face à cette situation. Ce nouveau statut ne va-t-il pas encore envenimer la situation dans ces régions ?
Nous pensons à notre humble niveau que la gestion de la succession sur le trône dans chaque région royale revient à chaque royaume concerné. C’est aux dignitaires d’un espace royal d’investir leur roi sur la base des règles traditionnelles ou ancestrales que les populations de la zone ont établies. Il ne nous revient donc pas de nous prononcer ou d’intervenir dans la chefferie traditionnelle d’une région donnée. Même à Abengourou, dans le royaume de l’Indénié, il y a encore des villages dépourvus de chef. En dépit de notre statut de roi, il ne nous revient pas d’imposer un patriarche dans ces villages. C’est aux familles concernées qu’incombe le rôle de se concerter et de trouver celui qui doit diriger le village. Pour le cas spécifique donc de Bassam, il ne revient pas à notre association de prendre des décisions ou une position pour tel ou tel chef. C’est à la population concernée de se concerter dans un cadre apaisé pour trouver celui qui doit être investi sur le trône. Si cette concertation se fait sans passion et dans les règles de l’art, nous pensons que ces conflits que vous évoquez peuvent être atténués. Cela fait, nous, à notre niveau, ne faisons qu’en prendre acte.
 
Qui peut être roi où chef en Côte d’Ivoire ?
Le choix du chef de chaque peuple dépend des règles sociales que les populations de la zone concernée se sont établies. Dans le cas spécifique du royaume de l’Indénié, le chef est choisi et intronisé à la suite de longues consultations au sein de la famille royale et de l’assemblée des notables. A cet effet, des critères prenant en compte la généalogie des postulants et leur capacité à exercer les fonctions royales, sont privilégiés dans le choix du roi ou du chef. Pour le cas particulier du Roi, la cérémonie d’intronisation comporte deux parties. La première partie est l’annonce officielle de la désignation du nouveau chef ; c’est l’aspect politique. Le nouveau chef est porté en triomphe d’un bout à l’autre du village. Puis le conseil des notables fixe le montant qu’il est tenu de verser avant d’accéder au trône. La seconde partie concerne l’intronisation proprement dite qui débute par la prestation de serment du nouveau roi envers les chefs qui lui sont subordonnés et inversement. Le roi est ensuite conduit dans la chambre de son prédécesseur où il reçoit ‘’l’Etimu’’, une puissance qui s’acquiert par un rituel et qui symbolise la continuité de la vie. Ce roi, incarnation du peuple, doit être physiquement sain et intègre. Son pouvoir royal repose sur des supports matériels constitués essentiellement d’attributs royaux (trônes, sabre, canne, tambour parleur, …). Voilà de façon générale, comment un chef est choisi chez nous. Mais comme je l’évoquais plus haut, le choix d’un chef dépend du peuple concerné.

L’actualité politique est dominée par la libération de plusieurs détenus proches de l’ex-président Laurent Gbagbo ? Avez-vous un commentaire à ce sujet ?
Tout le monde reste convaincu et il est important de souligner que la libération de ces détenus concourt considérablement à la décrispation de l’espace politique du pays. Le royaume de l’Indénié qui a intégré la culture de la paix dans ses habitudes, ne saurait être en marge de ce processus crucial qui doit engager tous les fils de la Nation ivoirienne. Pendant la récente fête de l’igname à Abengourou, nous l’avons évoqué dans notre message aux populations. Après une décennie de crise, nous restons persuadé qu’une réconciliation réussie, peut être le levier d’un nouvel essor économique de notre pays. C’est pourquoi, nous apportons solennellement notre soutien au Président de la République, Alassane Ouattara, pour ses efforts notables visant à recoudre le tissu social de notre pays. Nous l’y encourageons. Tous les Ivoiriens, à quelque niveau qu’ils soient, doivent contribuer sans exclusive, au développement de notre pays. La Côte d’Ivoire doit retrouver pleinement la place qui est la sienne dans la sous-région et jouer le rôle prépondérant qui lui revient dans le concert des nations. A notre humble niveau, nous invitons tous les Ivoiriens, sans exclusive, à répondre à l’appel de réconciliation du Président de la République, à l’appel de la Patrie. Quels que soient leurs traumatismes. Quels que soient les torts subis. Chacun de nous ne doit, à aucun moment, perdre de vue qu’il y a un temps pour tout. Le temps de la belligérance qui a porté un sérieux coup d’arrêt à l’avancée de notre pays, doit à présent céder la place à la cohésion sociale et à une union sacrée des tous les fils du pays autour de la mère patrie. Et nous pensons que la libération de ces détenus jugés proches de l’ex-président, est un signal fort qu’il faut saluer. En tout état de cause, cet acte ne doit nullement être assimilé à une victoire d’un camp sur l’autre.

Avez-vous un appel à lancer aux exilés, notamment à Sansan Kouao et Assoa Adou qui sont de votre région ?
La politique de la main tendue prônée par le Président de la République est une invite à chaque Ivoirien à comprendre que notre survie collective se trouve dans le pardon et la réconciliation qui engendrent la paix. Face à cette politique du Chef de l’Etat, nous nous sentons, chacun à son niveau, investis d’une mission : celle de prendre une part active dans cette œuvre salvatrice pour notre pays. A Sansan Kouao et Assoa Adou, nous tenons particulièrement à leur dire que nous apprécions à sa juste valeur ce qu’ils ont pu faire pour le développement de notre région. Aujourd’hui, il y a de nouveaux dirigeants qui œuvrent à leur tour au développement du pays. C’est pour le même pays que nous travaillons tous. Nous souhaitons donc qu’ils saisissent la main tendue du Président Alassane Ouattara et qu’ils viennent prendre leur place dans l’œuvre de construction nationale à laquelle la mère patrie les convie.

À votre avis, que faut-il faire pour que les Ivoiriens revivent ensemble comme par le passé ?
Nous pensons que la véritable préoccupation se situe au niveau des leaders politiques. En règle générale, les populations militantes à la base ont tendance à exécuter les mots d’ordre de leurs premiers responsables politiques. Si aujourd’hui, un responsable politique décide de tisser une alliance avec un autre leader d’un parti politique, les militants à la base ont tendance à suivre le mot d’ordre de leur parti. Et cela, au nom de la discipline qui régit cette organisation privée. Si donc au sommet, nos leaders politiques s’inscrivent dans une logique d’apaisement, les Ivoiriens en général n’ont aucun problème particulier les uns envers les autres. Il est donc essentiel que nos guides politiques abandonnent le chemin peu honorable de la violence sous toutes ses formes. On ne peut pas amorcer sereinement le développement de notre pays dans un climat de défiance ou d’affrontement perpétuel. Nulle part au monde, un pays ne s’est construit pleinement dans un climat de guerre ou de belligérance. Cela n’exclut nullement la critique constructive des partis de l’opposition. Tous les Ivoiriens ne sont pas obligés d’être d’accord sur tous les sujets abordés. Même au sein des enfants issus des mêmes parents, il n’est pas évident de constater que tout le monde partage toujours le même avis. Au demeurant, la vraie démocratie se nourrit de débats souvent contradictoires. Mais dans ce jeu démocratique nécessaire à l’éveil des consciences et à l’avancée de la nation, il ne faut jamais perdre de vue l’intérêt national. Il faut toujours mettre en avant la cohésion sociale, l’intérêt de la Côte d’Ivoire, notre bien commun. On n’a pas forcément besoin d’avoir recours à la force pour faire triompher la pertinence de ses idées. Il est important que les Ivoiriens, et nos leaders en premier, s’approprient pleinement les idéaux de paix prônés par le président Félix Houphouët-Boigny.
 
Justement, vous avez su préserver cette cohésion sociale à Abengourou au point d’être cité en exemple. Comment avez-vous réussi cela ?
La hiérarchisation de la population de l’Indénié laisse peu de place aux déviations sociales. Le roi a un véritable statut de leader. Comme tous les Akan, les Agni de l’Indénié sont très protocolaires. A titre d’exemple, les échanges de nouvelles chez les N’dénian constituent à eux seuls un rituel courtois et passionnant où aucun geste n’est le fait du hasard. Ces protocoles sont liés à la hiérarchisation de cette société basée sur le respect de la tradition et surtout des chefs et des aînés. Contrairement aux sociétés à génération (qu’on trouve notamment au sud de la Côte d’Ivoire), chez les Agni, on a toujours affaire à un plus grand ou un plus petit que soi, mais jamais à son égal. La cohésion sociale a su être préservée du fait d’un cadre de dialogue permanent créé dans le royaume. A la moindre incompréhension entre deux entités, un cadre d’échange est aussitôt mis en place pour apaiser les incompréhensions. Mieux, les recommandations gouvernementales dans le cadre de la réconciliation nationale sont longuement et régulièrement expliquées aux populations autochtones, allogènes et allochtones à la cour royale. Prévenant ainsi tout embrasement fratricide. Nous voudrions profiter d’ailleurs de l’occasion pour remercier toutes les populations de l’Indénié sans exclusive qui adhèrent à cette vision.

Interview réalisée par
Zéphirin Nango
Correspondant régional