Musée/Silvie Memel Kassi : “ Notre fonds muséographique a 15 210 spécimens authentiques ”

Silvie Memel Kassi
Silvie Memel Kassi
Silvie Memel Kassi

Musée/Silvie Memel Kassi : “ Notre fonds muséographique a 15 210 spécimens authentiques ”

Votre structure est assez mal connue. Qu’est-ce qu’alors le musée des civilisations?

 

Le Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire est un musée d’Etat dépendant du Ministère  de la Culture et de la Francophonie.

Il dispose d’un fonds muséographique riche et diversifié estimé  à  1515210                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

spécimens  authentiques représentatifs de toutes les régions de la Côte d’Ivoire.

De types ethnographique, archéologique et iconographique, les collections du musée composées de diverses catégories d’objets (statuaires, masques, instruments de musique, parures, attributs de pouvoir, poids à peser l’or, objets usuels, pièces archéologiques, photographies, entraves d’esclaves, portes sculptées, poterie, textile, etc.), font de cette institution patrimoniale, l’une des plus significatives de la sous- région.

 

Y a-t-il sincèrement des personnes qui visitent le musée?

 

Le nombre de visiteurs du musée est passé de 8000 entrées par an en 2006 à plus de 30 000 depuis 2011. Cette année, nous comptons dépasser ce chiffre. Ce bond a été réalisé grâce à la politique d’ouverture efficace mise en place par l’équipe du musée, qui lui vaut également d’accueillir aujourd’hui annuellement entre 100 et 150 stagiaires de la Côte d’Ivoire et de l’étranger. Au niveau international, le musée a accueilli de 2006 à 2012, six (6) grandes expositions internationales d’envergure venues de plusieurs pays occidentaux.

 

Malgré votre bonne volonté, il y a encore des Ivoiriens de bonne foi qui pensent que la culture ne peut rien leur apporter.

 

Je crois que les experts en développement durable, qui soutiennent que la culture est la base de tout développement, savent de quoi ils parlent.

 

Ils savent par exemple qu’aucune grande nation ne s’est construite sans se fonder sur sa culture et son histoire, parce que cette culture est ce qui nous distingue des autres, ce qui nous particularise. Retenons par exemple que chaque peuple tel que Dieu l’a créé, a une manière particulière de se vêtir, de danser, de s’exprimer, de s’amuser, de se lancer dans les relations internationales, d’appréhender le monde, d’opérer des choix stratégiques face aux nombreux défis de la vie, bref, de se comporter, et tout cela est culturel parce que faisant appel à son intelligence dictée elle-même par l’expérience et surtout l’instruction et l’éducation reçues.

 

L’exemple des pays industrialisés est révélateur, eux qui réfléchissent continuellement à un accroissement de la connaissance et à une meilleure appropriation de cette culture par tous. Ils savent que leurs populations ont besoin de repères.

 

 Qu’est-ce à dire?

 

Cela signifie que ces peuples épanouis ont besoin de connaître leur histoire, leur origine, donc ce qui fonde leur raison d’être dans un monde en compétition et en perpétuelle mutation. Ils ont surtout compris que la culture est cet instrument qui leur révèle leur identité qu’ils n’ont de cesse de parfaire à travers des choix politiques multiples axés sur l’exaltation, la formation et le bien-être de l’individu, parce que la culture, c’est l’homme et vice-versa. Alors, ils l’enseignent à leurs enfants dès leur berceau et à l’école en les emmenant par exemple dans les musées découvrir avec fierté les trésors ancestraux gardés et transmis de génération en génération.

 

Déjà en 2000, une source crédible de la presse occidentale annonçait au moins 500 000 musées aux Etats-Unis et plus de 300 dans la seule ville de Berlin.

 

Plus près de nous, en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, on parle aussi de culture avec à la clé, l’élaboration de chartes culturelles et de plans stratégiques de développement du secteur. Malheureusement, on croit à tort que c’est l’affaire du seul Ministère de la Culture et de la Francophonie. On n’a pas encore compris que c’est l’affaire de tous. Notre pays est pourvoyeur de biens culturels originaux issus de plus de 60 ethnies particulières aux énormes potentialités culturelles et artistiques. Des biens culturels admirés mondialement.

 

Expliqué ainsi, ça fait théorique. Veuillez nous offrir des exemples précis, s’il vous plaît.

 

Tenez par exemple, sans trop entrer dans le détail, sachez qu’en 2014 et 2015, le monde rendra hommage à la Côte d’Ivoire pour ses sculptures traditionnelles référencées sur la liste des meilleures productions artistiques du monde, à travers une exposition internationale qui va sillonner plusieurs pays d’Europe. Je crois que les Ivoiriens ont de quoi être fiers.

 

Je pense sincèrement que si l’on investissait un peu seulement (je pèse mes mots) dans cette culture qui brise les barrières et qui rapproche les gens, on ne serait pas là aujourd’hui à donner du travail au gouvernement de ce pays qui est obligé de lancer des campagnes de sensibilisation sur la réconciliation nationale, l’intégration et la cohésion sociale, tout simplement parce que la culture a l’avantage d’amener les individus d’une même sphère géographique à avoir le sentiment d’appartenance à une même communauté.  C’est pourquoi l’Etat de Côte d’Ivoire, via le Ministère de la Culture et de la Francophonie, veut créer des musées régionaux dans toute la Côte d’Ivoire pour familiariser les Ivoiriens avec leur culture et leur histoire.

 

Ce que nous devons enfin savoir, c’est que la culture est globalisante et porte en elle, les valeurs d’une société. On parlera alors de culture et d’économie, de culture et de bonne gouvernance, de culture et de stratégie… militaire, etc.

 

La pratique notoire de cette culture distinctive explique ainsi la profonde culturalité des peuples occidentaux dont la soif inextinguible de découverte dans ce domaine ne cesse de grandir. Dire donc que la culture ne peut rien apporter à un pays, c’est faire preuve d’ignorance.

 

Mais comment quantifier socialement et économiquement l’apport de cette culture?

 

Je vous vois venir et vous ne tarderez pas à relever les difficultés de financement des projets culturels ici en Côte d’Ivoire, ainsi que les réticences des organismes et entreprises quant à s’engager dans cette voie. C’est ici qu’on ne voit pas les choses bouger, sinon à l’extérieur, nos artistes s’en sortent très bien. La culture constitue un outil de développement majeur en ce sens qu’elle permet de valoriser le génie créateur, les connaissances et surtout l’intelligence des différents peuples que renferme une nation. Mais combien sont ceux qui estiment que cette culture n’apporte rien, contrairement à la science et la technologie qui ont pourtant montré leurs limites dans leurs approches purement techniques du développement? Beaucoup certainement. Le développement d’une nation doit s’appuyer sur la culture, c’est-à-dire l’homme et sa culture doivent être au cœur de toute stratégie de développement. A ce sujet, le Président Houphouët-Boigny disait et je cite : « Notre développement est un tout qui ne peut se satisfaire des seuls chiffres et graphiques de production. L’économie ne pouvant être la seule mesure de l’homme, il est donc indispensable de donner maintenant une dimension nouvelle à notre développement en y intégrant, à part beaucoup plus entière, la culture ».

 

Il faut donc voir le développement économique et social sous l’angle de ce que chacun peut apporter pour arriver à une seule finalité : l’épanouissement de l’homme, parce que la culture, ce n’est pas quelque chose qui serait en dehors de vous et de moi et qu’on va chercher quand on en a besoin. Ce n’est pas quelque chose qu’on décide de faire, mais plutôt un ensemble de données acquises et transmises à l’intérieur d’un groupe social. Ces données sont par exemple les productions intellectuelles, artistiques, religieuses, etc., de ce groupe. Et notre pays a la matière et les ressources humaines nécessaires. Je me rappelle encore les moqueries du Professeur Harris Memel Fôtê.

 

Que disait le professeur Memel Fotè ?

 

Il me traitait d’ignare, quand je faisais une phrase et que je disais par exemple « au plan politique, social et culturel ». Il estimait que je ne devais pas citer la culture parce que les autres éléments y étaient déjà.

 

Que faut-il pour l’Afrique en retard dans bien des domaines, pour ne pas dire dans (presque) tous les domaines?

 

Il lui faut des politiques sociétales à visage humain que seule la culture peut créer pour éviter le mécontentement humain. Des politiques sociétales d’encouragement capables de créer la volonté et la motivation chez ceux de qui nous attendons beaucoup.

 

Nos organisations en ont-elles toujours eu conscience? En ont-elles suffisamment tenu compte dans leurs approches du développement?

 

Pas suffisamment, à notre humble avis. Au niveau étatique, notre pays est résolu à marquer une rupture avec la conception traditionnaliste de la culture. En effet, au ministère de la Culture et de la Francophonie, les textes de lois caduques sont en pleine révision pour leur donner toute leur force et amener les organisations à se décider en notre faveur. Demain, on parlera certainement avec aisance de la défiscalisation pour les entreprises qui financent l’art. Celles-ci sont prêtes et n’attendent qu’un petit encouragement de la part de l’Etat. 

 

Le combat étant général, au niveau des initiatives privées, les choses sont en train de bouger également. La société civile a compris qu’elle doit s’engager aux côtés de l’Etat.

 

 A propos de la société civile, nous savons que vous avez été faite, récemment, par le ministère de la Culture et de la Francophonie, Officier dans l’ordre du mérite culturel ivoirien au titre de la Fondation Tapa pour les arts et la culture, votre organisation. Que représente cette distinction pour vous? 

 

Je voudrais profiter de l’occasion que vous me donnez pour remercier du fond du cœur le ministre Maurice Kouakou Bandaman pour la confiance qu’il place en nous, l’excellent travail qu’il accomplit à la tête de ce département ministériel et qui nous permet de travailler sereinement. Je lui dois beaucoup.

 

Je vois en cette distinction que je dédie à tous ceux qui ont cru en nous, un encouragement à persévérer jusqu’à une autonomie appréciable des musées de Côte d’Ivoire avec comme résultat, un développement des services et une certification de ces établissements. Car quoi qu’on dise, les musées, lieux par excellence de valorisation de notre patrimoine, doivent être intégrés au cœur de la cité en pleine mutation et parfois même en crise de repères, faisant d’eux, un pôle entier de développement économique, d’activités lucratives (contrairement au code de déontologie du Conseil international des musé), un pôle d’enrichissement multipolaire des villes qui les abritent et au-delà, du pays lui-même (boutiques, restaurants, billetterie, expertise, consultance, création d’emplois temporaires et permanents, activités et services payants, accueil d’évènements, etc.). Les valeurs et objectifs de la culture, tels que nous les voyons à la fondation Tapa, sont en train de changer pour emprunter des formes multiples, voire pluridisciplinaires, pluri-techniques, multimédia, multi-activités, multi-langages etc., dont les rôles premiers seront de créer un engouement, une attractivité particulière du public.

 

Quelle place accordez-vous au marketing?

 

Nous sommes consciente que le marketing et la démarche qualité doivent intervenir dans notre mode de gestion et de fonctionnement pour une adhésion totale des publics. Les « produits » du musée sont les salles, les expositions thématiques, les activités annexes ciblées et autres espaces d’accueil dont a besoin le client (visiteur). Tous ces lieux doivent répondre aux  attentes des divers publics, car si le musée n’est pas attractif, il n’arrivera jamais à acquérir ni à garder sa notoriété, même si l’entrée est gratuite à grand renfort de publicité.

 

Quel sens accorder à l’exposition sur l’archéologie qui a eu lieu au musée? 

 

Le musée a organisé, le 4 février dernier, le vernissage de l’exposition sur l’archéologie intitulée « Patrimoine de la Côte d’Ivoire : entre passé et présent ». Cette exposition, financée par l’ambassade de la Confédération suisse et couplée d’un colloque international, a été organisée par l’Association ouest-africaine d’archéologie (Aoaa). Aussi bien pour l’exposition que pour le colloque, l’accent a été mis sur la nécessité de promouvoir l’archéologie, de sensibiliser la population ivoirienne à l’importance de cette science sociale qui nous renvoie à notre passé, à la vie des peuples qui ont existé avant nous. Il faut souligner, au passage, que nos sites archéologiques font l’objet de pillage systématique et cela, de façon récurrente et inquiétante.

 

Avez-vous «en grossesse», en ce moment,  d’autres projets?

 

Oui, il y en a beaucoup, mais souffrez que je n’en dise pas plus parce que nous avons pris certains engagement avec nos partenaires. Ce qu’il faut retenir, par contre, est que tous ces projets portent sur le renforcement des capacités de nos institutions, la sécurisation des collections que nous gérons et le rayonnement de la culture ivoirienne.

 

Quels sont les problèmes que rencontre le musée national ?        

 

Comme la plupart des musées nationaux africains qui dépendent des départements ministériels en charge de la culture (qui, eux-mêmes, n’ont souvent pas de grands moyens), le Musée des civilisations de Côte d’Ivoire dont, les activités majeures sont, pour la plupart, tributaires du budget, ne peut mettre en route ses différents programmes de vitalité en direction des nombreux utilisateurs. L’une de ses activités est la documentation et la numérisation des collections pour une meilleure sécurisation et exploitation par les usagers (élèves, étudiants, chercheurs, touristes, etc.). Il n’y a pas suffisamment de  communication sur le musée parce que cela est coûteux. Résultat : il reste toujours un peu méconnu. Il y a également le problème de climatisation de la salle d’exposition, récemment  réhabilitée, parce que le privé ne s’engage pas assez, on attend tous l’Etat.

 

Que fait la fondation Tapa par rapport à cette situation?

 

Nous avons lancé des appels et soumis des projets. Nous attendons les réactions.

 

Sur quoi vous adossez-vous pour gagner vos paris?

 

Nous tenons à remercier toutes les personnes et structures (comme la fondation Orange Côte d’Ivoire Telecom, le Lions Club Abidjan Calao, la Rti, Fraternité Matin…) qui nous aident énormément et qui ont œuvré à la réouverture du musée. Nous disons particulièrement notre gratitude à la Première dame de Côte d’Ivoire, Madame Dominique Ouattara, pour son soutien dans la relance de nos activités. Nous sommes infiniment reconnaissante à toutes ces entités, toutefois, avec les problèmes évoqués ci-dessus, vous comprenez que l’aide est toujours la bienvenue. C’est pourquoi, nous attendons encore d’autres bonnes volontés.  Nous recherchons des partenariats, pas à sens unique, mais des partenariats dynamiques à l’avantage aussi des partenaires, parce que la culture est un élément d’accroissement des richesses et de valorisation des thèmes et des produits d’une structure donnée.

 

Interview réalisée par 

 

Alex Kipre