Musique: Pourquoi Kajeem marche

Musique: Pourquoi Kajeem marche

Le 4 novembre dernier, il n’y avait pas de débordement pour venir écouter Kajeem. Mais il y avait du monde et du beau. Kajeem est d’abord un artiste qui s’est affranchi de la notion de monde. Il ne se réjouit pas forcément des foules qui débordent lors de ses concerts. Quand bien même il songerait toujours à la sécurité  de  ses fans sur qui le système a veillé un kilomètre à la ronde. Il ne s’attriste pas des publics chétifs.

Un public fait d’alliage qualité-diversité

Pour ses 25 ans, le beau monde était composé outre de sa communauté originelle, des rastas, des laissés pour compte comme les enfants de la page blanche qui lui ont offert un tableau. Il y avait également les membres de la Fondation agir contre les cancers (Fac) et des malades venus  prendre des forces avec la musique thérapie du fils de Jah qui officie dans l’humanitaire.

Le public était aussi composé d’étudiants tant anciens que nouveaux car Kajeem est un ancien du Mouvement universitaire du rap (Mur). Des adeptes du rap, du hip hop dont sa musique reggae porte sans faux fuyants, les stigmates. Il a, à ses derniers, servi 20 minutes de cette musique en la dépoussiérant quelque peu des années campus.

Il y a aussi ceux qui aiment la belle langue. Les textes progressifs et non agressifs, corrosifs, convaincants et non insultants. Il y avait donc l’immense Véronique Tadjo, grand prix littéraire d’Afrique noire, prix Kailcedra des lycées et collèges qui est repartie avec le tout dernier Cd de Kajeem « Gardien du feu ».

Pour Kajeem, sont prêts ceux qui viennent d’Abobo, sa cité d’origine et vivier d’un langage dans lequel il lui arrive de puiser.

Il y a ensuite,  les baoulé qui ne sont plus nombreux sur l’échiquier. Jimmy Hyacinthe et Tangara Speed Goda rappelés à Dieu ; Nst Cophies, John Djongoss irréguliers, à l’instar d’Antoinette Konan et Allany, les deux artistes auxquels il faut ajouter la tigresse Sidonie et Nguess  dont le bon sens à lui commande de faire fortune vers la politique. Il est membre  du bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). 

Il y a aussi ceux qui aiment immortaliser les instants. Les photographes les meilleurs d’Eburnie, Dorris Haron Kasko, Gauz, et Joanna Choumali détiennent chacun une réserve correcte des  instants de l’artiste. Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup et suffisant pour lancer une idée : celle d’une expo photos de l’artiste.

A tout ce monde, Kajeem  qui ratisse large en fans a tenu à dire merci tout au long de son concert : « Mon sponsor c’est vous, ma force c’est vous. Vous êtes la preuve qu’on peut être lâchés par les nantis et rester debout ».

Pluie, son pourri…Il s’endurcit des mauvais coups.

Une série d’embuches ont tenté de se dresser sur le chemin de l’artiste qui finalement se fait à l’entrave et s’endurcit des  obstacles. D’abord un concert programmé, même si cela n’est pas interdit, en même temps et dans la même enceinte du Palais de la culture, à la même heure pratiquement, que l’humoriste Magnifik rétrécie le public. Qu’on le veuille ou non. Par ailleurs, on connait le rapport des Ivoiriens (hommes solubles) à la pluie. Ils étaient quand même là sous cette pluie.

Peut-être à cause de cette pluie, le son n’a cessé de s’interrompre mais Kajeem et son public comme un seul homme ont chanté replongeant tout le monde dans les temps  anciens où, disqualifiée par la volonté de chanter et passer du beau temps du public et de l’artiste, la sono était secondaire. C’est cet endurcissement qu’évoque l’artiste quand il chante « Ma route est longue ».

Musique communautaire

Rassemblés autour d’affinités communes et diverses à la fois (ce qui est rare), les fans de Kajeem tentent toujours de se distinguer les uns des autres. Ils démontrent, selon nous, la diversité des motivations qui incitent un sujet ou un groupe à opérer son choix d’adhésion parmi telle ou telle figure charismatique. Et Kajeem est devenu une figure charismatique en un quart de siècle. Plus encore,  sa musique s’offre comme un support efficace pour la résolution des problématiques identitaires des groupes et des individus.

Son commerce avec l’humain est bon

Sa santé comportementale est au beau fixe. « Kajeem est le seul qui est ponctuel quand il te donne un rendez-vous », « Il n’a  aucun problème avec la presse », « Il ne  se drogue pas, je me demande s’il est vraiment rasta », « Il est propre » « Il est honnête » peut-on entendre pêle-mêle dans la cité.

L’homme a su astiquer son image, au point de rassurer les Ivoiriens et des peuples autres. On ne lui connait aucun parti politique. Officiellement. Contrairement à ses devanciers Alpha Blondy, Tiken Jah, Serge Kassi dont le rapport à la république, au peuple est plutôt déroutant. Avec Blondy par exemple et sa radio qu’il a rejointe après être parti en d’excellents termes de Nostalgie (la radio était de la campagne médiatique), il est  en  train de battre un record de compatibilité d’humeur.

« Mon petit, je suis avec toi, vas-y », lui a-t-il dit au téléphone juste avant que l’artiste ne monte sur scène. Avec Naftaly qui lui a arrangé ses quatre premiers albums aucun souci non plus. Ni avec Fadal Dey qui l’a ‘‘béni’’ sur un air de Christopher Colomb de Burnin Spear, ni Spyrow, Didier Awady, Ras Goody Brown et bien d’autres. Si on ajoute à cela le soutien du ministre Moussa Dosso qui a tenu à offrir la sono d’Abi- Reggae, on peut apprécier le rayonnement citoyen de l’artiste.

25 ans et le plus dur commence

Kajeem vient de mettre fin à des années sans concert reggae à Abidjan. Certes, il y a le festival Abi-Reggae, mais aucun artiste à sa sortie d’album reggae n’a osé faire un concert. Ni Tiken Jah, ni Alpha, ni Ismael Isaac.

Kajeem, quasi porte flambeau d’un genre musical, n’a pas droit à l’erreur. Son étiolement sera la confirmation d’un genre qui ne tient pas ses promesses et à qui le peuple en crise lui préfère des phénomènes sociaux comme le Coupé décalé ou des musiques festives. Elle sera la fin d’un art communautaire, et de la communauté des Gnambro qui s’abreuvent de textes reggae dans les Gbakas.

L’étiolement d’Abobo, des chanteurs instruits, cultivés et sans frasques. Heureusement, Kajeem n’a pas  planté des forêts d’arbres artificiels ; il a lancé des graines en toute simplicité, et, plein d’amour pour ces graines, il a accepté qu’elles ne fructifient pas et avec le même amour, les a vu pousser et grandir   pour nourrir l’humanité. Kajeem est. Il ne parait pas.

Le succès, pour ceux qui souhaitent seulement paraître ne se transforme pas en problème, c’est depuis le début un problème. Pour les êtres authentiques, le succès n’est pas un problème puisqu’ils ne le poursuivent pas.

Kajeem ne chante pas pour gagner de l’argent, mais gagnera beaucoup d’argent parce qu’il chante avec sérieux et qu’avec sa notoriété, vole au secours des autres. On lui souhaite de ne pas changer. C’est en cela que commence le plus difficile.

ALEX KIPRE