Musique: ‘‘Nessmon’’ d’Isaac Kemo, un vent d’autobiographie

Isaac Kemo: « la musique saura désamorcer la gigantesque bombe composée de méchanceté, fébrilité, peurs, ignorance lourdeurs qui font le lit de guerriers en pantoufles ».
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Musique: ‘‘Nessmon’’ d’Isaac Kemo, un vent d’autobiographie

Musique: ‘‘Nessmon’’ d’Isaac Kemo, un vent d’autobiographie

A l’entrée de la Fnac, le week-end dernier, devant une sympathique foule, dans une ambiance des plus décontractés, des instrumentistes de talent. Laurent Noah, l’arrangeur et pianiste qui a porté le projet, après avoir arrangé Dez Gad, Salif Kéita, Onel Mala, Maria Adé ; Israel Boka, le batteur ivoirien dont le jeu plait à l’instar de ses ainés dont Paco Séry et Isaac Badiel, le bassiste disponible depuis 2008 jusqu’à ce jour, en dépit du récent rappel à Dieu de son père ont accompagné le saxophoniste ivoirien Isaac Kemo. Il s’est agi de jouer en live l’album Nessmon (le feu ne s’éteint pas dans l’ouest montagneux) riche de 8 titres. Le quartet en a l’habitude. Depuis plusieurs années les quatre musiciens sont parvenus à se rendre complice des notes. Elles le leur rendent bien, au point qu’à la fin quand ils ont présenté le dernier titre ‘‘Abidjan groove’’, on en redemandait.


Abidjan groove

Comme la majorité des titres promo, ‘‘Abidjan groove’’ incarne l’identité sonore de l’artiste, de même qu’il est censé être, dans le même temps, le titre le plus vendeur, le plus susceptible de séduire les mélomanes. Reggae-funk introduit par un ‘‘taping’’ (de légères tapes avec le bout des doigts, les ongles pratiquement, sur les cordes produisant un son plus discret que les slaps) l’intro est saupoudrée d’accords de piano, sur un beat de batterie du type ‘‘Englishman in New York’’ de Sting, repris avec moins de bonheur par Tiken Jah sous le titre ‘‘Africain à Paris’’. En trois syllabes, trois notes en réalité, Fa, sol, do, ‘‘Abidjan groove’’ aurait pu, sans la moindre trahison, s’appeler ‘‘L’habit ne fait pas le moine’’ ou encore ‘‘Ne vous fiez pas aux apparences’’. Le saxophone de Kemo y raconte l’histoire d’un jeune musicien parti à un casting dans un Abidjan groovant, se frotter à d’autres compétences. Et chaque compétiteur de sortir son accessoire, son arsenal de combat mélodique pour impressionner les autres postulants. Ironie du sort, le saxophoniste le moins armé, celui dont les hanche et bec étaient abimés, dont le cuivre était couvert par endroits de Scotch et Sparadrap est celui qui a tapé dans l’œil des mélomanes et des employeurs. Il a été retenu. Enseignement premier.

Avant le titre promo, les musiciens ont offert Soleil café dans lequel l’artiste témoigne sa gratitude à un espace de Jazz, vitrine d’expression de son art. Il y avait étalé son savoir, fait plaisir à des clients, composé de nombreuses pièces. Cet espace est la matrice, la maternité de bien de ses bébés. Mais outre les bébés musicaux, Isaac fait un clin d’œil à ses créations, ses créatures biologiques. ‘‘Ketoura’’de même que ‘‘Nelly Kemo’’ sont deux titres consacrés à ses filles. Avec ‘‘Ketoura’’ la prise de risque est énorme. Le saxophoniste se veut aérien soutenu par une batterie et une basse endiablée bien ancrées dans le sol. Bien malin qui départagera la terre de la note. Composé en 2013, pour la plus petite de ses filles, ce titre est le genre de composition digne de film. Musique de film, générique, rappelant les compostions d’un autre Isaac, l’américain Hayes connu pour Shaft, un film et titre culte des trois dernières décennies. Isaac peut se le permettre car le saxophoniste a déjà écrit des musiques d’art de scène. D’abord de la danse contemporaine avec Nadia Beugré ex co-chorégraphe de la compagnie Tchétché dont il a signé le spectacle. Ensuite, la musique de ‘‘Petite Fleur’’, une pièce de théâtre du metteur en scène ivoirien Fargass Assandé porte aussi sa signature.

Gratitude à un espace avec ‘‘Soleil café’’, et à un homme, le batteur Paco Séry qui a écrit pour lui le titre antérieurement nommé ‘‘Aboussouan’’ par Paco, mais qu’Isaac pour renforcer son désir de cette gratitude a rebaptisé ‘‘Paco Solo’’. Avec ‘‘Hybride dance’’ Isaac Kemo fait monter en puissance sa prise de risque avec un tempo volontairement balançant, inclassable, indansable d’où le titre ‘‘Hybride dance’’.


Saxophoniste et peintre

Avec ‘‘Grand-Bereby’’ la musique d’Isaac ne s’écoute plus. On en lit les lignes, les profondeurs. Ce titre apparait comme une toile de cet espace cerclé d’eau qui chante l’évasion. C’est un beau tableau. Et on ne croit pas si bien dire : Isaac Kemo est peintre, depuis l’âge de 12 ans.

Les rythmes pour la plupart binaire et ternaire racontent les rencontres de cet homme à la vie de bohème, devenu aujourd’hui en Corse, à Bonafacio, directeur artistique de deux festivals :
Nautic & Music et le Festi-Lumi. Son saxophone raconte au plus strict, au plus vrai, au plus juste, non pas la façon dont il a vécu ou bien il vit,   mais la façon dont il se vit en émettant son avis sur cette vie faite de promenade sonore de cet homme de bientôt 40 ans (il les aura le 30 avril prochain). Du rock local avec Woody, de la world avec Barbara Kanam, du reggae avec Jim Kamson ou Tangara Speed Ghoda, du gospel avec Martine Carrière qui fut choriste de Johnny Halliday, du religieux canadien avec Maggie Blanchard, du religieux ivoirien avec Schekina, de la musique expérimentale avec le chœur Attougblan de Boni Gnahoré ou le village Kiyi etc.

Bonheur et souffrance, mépris et respect, hallucination et lucidité acide, l’on glisse subtilement d’une atmosphère à l’autre sans qu’il y ait de juxtaposition. Tout y est passé et on entend les échos de ses étendues acoustiques qui sont là visibles parce qu’effacés, audibles parce qu’à peine suggérés. Tous ses 8 instants de vie se sont finement entremêlés pour ne faire que ‘‘Nessmon’’. Le saxophoniste alto a choisi de faire carrière depuis Paris, univers où il réside et où les Africains n’ont que peu de visibilités. Excepté Manu Dibango qui lors du récent Masa ne s’est pas abstenu de complimenter l’Ivoirien marchant dans ses pas. Cette année Manu a fêté ses 80 ans, Isaac fêtera ses 40 ans. La patience et la simplicité de Marie Hélène Costa, son manager-agent ont payé pour cet album. « Le travail soutenu, la modestie et une dose de chance feront le reste » Parole de Manu Dibango qui souhaite que le feu ne s’éteigne pas : Nessmon.

ALEX KIPRE