Maurice Bandaman : "Aller au-delà de la décision du président Macron"

Maurice Bandaman : "Aller au-delà de la décision du président Macron"

Maurice Bandaman : "Aller au-delà de la décision du président Macron"

Vous êtes écrivain et elle, éditrice, vous avez dû aisément vous comprendre…

Tout à fait, avec la patronne des éditions Actes sud, nous sommes arrivés à établir un vaste programme de consolidation des liens entre la France et la Côte d’Ivoire, entre la France et l’Afrique je dirais, puisque l’audience s’est élargie à la participation du ministre gabonais et celle de la représentante du ministre sud-africain, tous membres de la délégation. Nous en avons également profité pour aborder la question des biens culturels, principalement des œuvres de sculpture, de l’art premier. La ministre nous a rassuré que la décision du président français Emmanuel Macron est mise en mouvement pour être appliquée. Nous avons fait comprendre que cette mesure ne doit pas s’arrêter à la restitution des biens qui n’est même pas encore faite. En attendant, il y a effectivement des exigences.

Lesquelles ?

Nos œuvres des pays d’Afrique présentes dans les musées bien que reconnues en vrac comme d’origine africaine, baigne dans un grand anonymat, parce qu’elles ne sont pas documentées. Si vous n’êtes pas un spécialiste, si vous n’êtes pas guidé par un sachant, il vous est impossible de savoir si telle pièce est de Côte d’Ivoire ou du Bénin par exemple. Nous avons donc souhaité et exprimé le vœu que la mise en œuvre de la décision du président Macron associe les ministres africains dont les pays sont créateurs et concepteurs de ces œuvres pour prendre en compte nos préoccupations.

Quelles sont-elles ?

La première est que ces œuvres dans les musées publics et privés soient documentées en précisant l’espace géographique, le pays qui les a produites, et l’année si c’est possible. Ce travail permet de leur donner une identité qui les empêche de sombrer dans l’anonymat d’une trop vaste Afrique. La conséquence de cette documentation est que ces œuvres étant exploitées dans les musées dans lesquels elles font l’objet de droit d’accès, elles pourront générer naturellement des droits d’auteur, des droits de suite. (Ndlr : Le droit de suite est un droit pour l'auteur d'une œuvre d'art graphique ou plastique originale, à percevoir un pourcentage sur le prix obtenu pour toute revente de cette œuvre. Précisons que les ayants-droit du sculpteur, peintre, bref de l’artiste profitent également de la vente des œuvres d'art jusqu'à 70 ans après le décès de l'artiste).

Nous pensons que la documentation aura pour conséquence que les versements de droits aux pays, aux régions productrices de ces œuvres soient effectifs. C’est à ce prix que les pays bénéficiaires pourront financer leur politique culturelle par les droits produits, induits en exploitation dans ces musées.

Les pays africains sont-ils vraiment prêts à recevoir ces œuvres le cas échéant ?

Ce travail de réception passe par la construction des musées pour les pays qui n’en ont pas encore, pour qu’une fois sur le continent, ces créations soient valorisées.

Comment les valoriser en Afrique ?

Il y a un type d’exploitation qu’on peut faire. Je pense à des expositions itinérantes, par exemple, afin que les créations du Bénin, du Nigeria à titre d’exemple, soient vues à Abidjan, à Pretoria. Il y a une sorte de profit interne qu’on peut en tirer sur le continent.

Madame la ministre a pris bonne note. Et je puis vous assurer, au terme de nos échanges, qu’elle est favorable à cette vision.

Par quoi avez-vous terminé cette audience ?

Par la question de la circulation de nos créateurs. En raison de la crise de la migration, nos artistes sont freinés dans leur mouvement. Or, un artiste qui ne peut pas voyager pour exporter son œuvre et s’inscrire dans un mouvement de partage se sclérose. Celui qui ne peut pas apprendre au contact des autres ne peut pas être performant. C’est ce qui justifie qu’au cours du récent Masa, nous avons lancé un appel de libre circulation de nos artistes. Rarement, en effet, un artiste se sédentarise dans un pays. Ils vont et viennent. Les exemples sont légion qui permettent le plein épanouissement des artistes. Alpha Blondy, Magic system, Meiway, Tiken Jah sont en perpétuel déplacement. Ailleurs, vous avez Salif Kéita, Lokua kanza, Youssou N’Dour qui circulent. Il faut favoriser à nouveau la circulation des artistes. Même quand ils sont invités de façon tout à fait régulière à des grands festivals, même quand ils sont crédités d’un passé de grand voyageur, on leur refuse le visa. Cette entrave doit être levée. Avec Madame la ministre de la culture de France nous avons évoqué des esquisses de solution. Lesquelles prennent ancrage dans le travail abattu par Jacques Attali sur l’avenir de la Francophonie qui a recommandé qu’hommes d’affaires, institutions, artistes… puissent avoir un libre accès au territoire voisin. La francophonie a même proposé la création d’un passeport francophone pour tout ce qui est homme de pensée, journaliste, économiste, acteur culturel, pour que la francophonie soit un espace de vitalité intellectuelle. Nous souhaitons soutenir un tel programme sur l’espace francophone qui est, à la réalité, un marché commun fondé par une langue commune au Canada, au Mali, en France…

Interview réalisée à Paris par

ALEX KIPRE