Livre Paris 2018 : L’Afrique se prend en charge

Livre Paris 2018 : L’Afrique se prend en charge

Livre Paris 2018 : L’Afrique se prend en charge

La deuxième participation, du 16 au 19 mars dernier, sous forme mutualisée des pays d’Afrique Caraïbes pacifique offre des raisons de croire en une pensée africaine davantage agissante et valorisée. La 38e édition de Livre Paris s’est achevée. Ce qui distingue ces retrouvailles littéraires des deux autres qui la devancent à savoir le salon de Francfort et celui de New York, c’est la fréquentation parisienne toujours en hausse. En 2017 déjà, s’enregistrait par rapport à 2016, une augmentation de 3 % du nombre de visiteurs, soit 157.600 personnes sur 4 jours.

Cette année 2018, l’affluence a été au rendez-vous avec une augmentation du nombre de visiteurs de 7% par rapport à 2017, et une présence remarquée du jeune public. Deux nouvelles scènes se sont illustrées : Polar et Young Adult. 3 000 auteurs et 1 200 exposants dont 10 régions et plus de 50 pays. Plus de 30 000 participants aux conférences et débats ont témoigné de l’enthousiasme des visiteurs pour le livre et la lecture, ainsi que de leur attachement à la diversité éditoriale et à la liberté d’expression (mai 68, la littérature russe et ses contraintes..).

La scène des Coulisses de l’édition et notamment le forum des métiers ont rencontré un vif succès avec une hausse significative de la fréquentation. Une occasion privilégiée de dialogue entre professionnels auxquels ont participé des Ivoiriens dont Mme Amoikon des éditions Eburnie.

Signatures. Ventes et achats de livres. Queues interminables devant des succès de librairies Amélie Nothomb, Eric Emmanuel Smith, Jean-Marie Lepen... Autres queues de dames toujours plus longues que celles des hommes, pour se soulager. Emerveillements provoqués par des non anonymes.

Courses poursuites entre gamins visiblement heureux d’être là. Rires tonitruants d’êtres s’étant oubliés. Pause-bouffe à base d’huitres, de sandwiche et autres fast-food exceptés au stand de Qatar qui s’autorise un couscous et son odeur en due forme sous le regard désapprobateurs ou envieux- c’est selon- de passants.

80 Débats et des hauts

Au milieu de tout ça, le pavillon Lettres d’Afrique fait une offre de sens. Offre de sens avec des débats (80 environs au total en quatre jours), des réflexions autour de thématiques, des prescriptions après diagnostics. Non pas organisés comme à l’accoutumée par des étrangers au regard biaisé par une méconnaissance du terrain, mais plutôt par, pour et avec ses propres fils. Deux scènes accueillent ce travail de dissection de l’intérieur : la scène littéraire et l’espace jeunesse.

L’un des échanges porte sur « Le mariage littérature-cinéma ». Jean Fall, Fondateur de Cinéwax et spécialiste de la distribution, l’écrivain Emmanuel Dongala, Isabelle Boni-Claverie (fille de Danielle Boni- Claverie), scénariste et réalisatrice du documentaire « Trop noire pour être française » et Michel Amarger comme modérateur, sont les intervenants. Ils ont d’emblée déploré le nombre chétif d’adaptation de livres au cinéma. Hormis Sembène Ousmane qui en 1968 commence à passer derrière la caméra pour suppléer l’écrit.

Dongala a souhaité que regard soit jeté par l’auteur sur le travail du réalisateur. Celui-ci peut travestir la  pensée de l’auteur. Dongala en a fait les frais avec son livre  « Johnny chien méchant ». Cas malheureux qui ne doit en aucun cas, « ligoter le cinéaste qui dans l’adaptation est en création et donc en toute liberté, » pense Boni-Claverie.

L’immigration clandestine est un autre thème abordé par le soudanais Abdelazziz Baraka Sakin qui estime que le rôle de l’écrivain est d’expliquer et non d’arrêter ce phénomène. « J’écris pour expulser ma peur de plonger dans la mort de nos enfants par l’immigration et la guerre. Au Darfour au  réveil, on est juste heureux de  ne pas être mort car depuis 28 ans le pays est gouverné par un pouvoir dictatorial ». affirme l’écrivain de Le messie du Darfour qui évite à regarder les images.

De ces images, le sénégalais Mohammed Mbougar Sarr auteur de Terre ceinte, Kourouma 2015, estime qu’il faut se méfier. « Nous avons la nostalgie facile et la mémoire courte» et alors pense l’écrivain, « nous oublions qu’il a fallu des images pour diaboliser ou dédouaner Kadhafi le chef Libyen. »

La jeune sage…Aminata Sow Fall

Il faut être prudent en effet  dans cette consommation des images, enchérit Dr Pamela Museko car « on a voulu faire croire au monde entier que l’Afrique du sud mon pays rejetait les autres. C’est faux nous sommes une terre d’accueil et savons vivre en dépit de nos différences ».

Il est revenu au Togolais Sami Tchak de partager la scène avec Aminata Sow Fall. L’un auteur d’ « Ainsi parlait mon père » (Jc Lattès, 267 pages) et l’autre de L’emprise du mensonge (le serpent à plumes, 120 pages) ont abordé la question de La sagesse. La journaliste littéraire à la rubrique culture du Point et au Magazine Littéraire, Valérie Marin qui assurait la  modération de cet échange de haut vol s’est interrogé de savoir ce qui mettait un humain sur le chemin de la sagesse.

« C’est son héritage, l’éducation, des idéaux, le legs » aux dires de l’auteure de La grève des battu qui estime qu’il faut à chacun, inventer le mécanisme de sa survie qu’elle soit physique ou métaphysique car « on est sage quand on est conscient de l’existence de l’autre ».

« C’est la mort qui rappelle qu’il faut être sage » soutient quant à lui, Sami Tchak qui pense que « plus on sait plus on se sent ignorant et plus on est conscient de sa mort, ce qui revient à nous rendre sage » A la seconde question de Valérie Marin qui était curieuse de savoir ce que signifie se développer chez les deux intervenants, Sow Fall a estimé que c’était être et rester digne. « Ne pas vouloir imiter l’autre, mais le penser plutôt et se prédisposer à chanter ensemble l’hymne de la paix ». Pour Sami Tchak, « la lucidité et la désillusion aident à oublier les rêves vains  et encombrants. Ce n’est qu’à ce prix que s’installe la conscience du monde qui intègre le cruel. Pour se développer il faut le comprendre ». D’autres échanges ont meublé ce salon.

ALEX KIPRE

Envoyé spécial à Paris


Regard

UAL

Scène parisienne. Porte de Versailles : un écrivain ivoirien détenteur de son manuscrit veut être publié par une maison d’édition sérieuse. Etrangère donc pense-t-il. Il se rend au stand de Vent d’ailleurs et de Présence africaine. Tous les deux établissements lui suggèrent de s’adresser à Eburnie éditions qui est une maison de référence. L’Ivoirien est surpris. Comme la majorité de ses compatriotes, il ne réalise pas que la compétence des éditeurs ivoiriens est reconnue à l’extérieur.

Tout comme on ne réalise pas assez que rien que la cité des arts (Cocody) héberge et Bernard Dadié qui plus qu’un écrivain est une chance. Et Véronique Tadjo pour qui la ministre française de la culture Françoise Nyssen éprouve du respect. Nyssen est par le canal d’Actes sud, l’éditrice de l’Ivoirienne grand prix littéraire d’Afrique noire.

Outre les éditeurs et les écrivains, la  Côte d’Ivoire peut être fière d’afficher et assumer une vision. Elle a le titre de chef de file des lettres de ce qu’on pourrait nommer l’Union africaine du livre (Ual) qui déploie son travail au travers du pavillon Lettres d’Afrique, né des cendres de l’Oual, du Bassin du Congo.

Les Eléphants du livre, accompagnés des lions (Cameroun, Sénégal), léopards (Congo), aigles (Mali), panthères (Gabon), affronteront plus aisément les vents contraires de la faune dans cette marche livresque. Outil politique aussi, le livre permet d’assurer les valeurs humaines des peuples. Surtout unis. On ne le dira jamais assez la culture prouve là où le politique s’éprouve. La preuve avec Ual, qui devra avoir ancrage sur le continent. Mieux qu’un souhait, c’est un impératif.

ALEX KIPRE