Floréal Durand (Directeur de ‘‘5 mondes Gallery’’): ‘‘L'Afrique ne doit pas brader ce qui fait sa richesse, sa culture’’

Floréal Durand (Directeur de ‘‘5 mondes Gallery’’): ‘‘L'Afrique ne doit pas brader ce qui fait sa richesse, sa culture’’

Vous êtes un passionné de l’Afrique, en matière d’art. Que peut-on retenir de votre parcours ?

J'ai eu un parcours assez atypique mais où la culture occupait toujours une place importante pour ne pas dire primordiale. Après ma licence de Lettres Modernes, j'ai eu l'opportunité d'entrer au ministère de la culture mais j'écrivais déjà dans un mensuel en tant que critique littéraire et théâtral.

A cette époque, j'ai connu celui que je considère comme mon "père spirituel". Il avait eu des liens privilégiés avec Dali, Picasso, Ernst, Jean Cocteau, Max Jacob, Zao Wou Ki, etc. C'est lui qui m'a initié à l'art contemporain. Plus tard, j'ai poursuivi ma carrière professionnelle au ministère de l'écologie en tant que chef du bureau de la formation.

Ces fonctions ne m'ont jamais éloigné de ce "bouillonnement" artistique qui fait de Paris une capitale de premier plan. La passion de l'Afrique, de ses créateurs m'a happé en 2011 lors d'un voyage à Alger. C'est là que j'ai commencé à réfléchir sur le management artistique pour des artistes africains. C'était l'idée de départ sur un continent encore dépourvu de structures de ce type. Mais j'ai dû mettre de côté ces projets, en 2014, pour des raisons personnelles pour ne reprendre le flambeau qu'en mars 2018. Aujourd'hui, le projet a évolué, mûri avec l'ouverture prochaine d'une galerie d'art contemporain international et africain à Abidjan. Mon association avec Ghislain Okoua, directeur de Nekoda Communication a été déterminante.

Vous êtes en Côte d'Ivoire, à l’invitation de Nekoda Communication, qui a organisé, dans le cadre d'un projet avec des artistes peintres, des expositions éclatées dans certains grands espaces de la place. Parlez-nous de ces activités.

En fait, il s'agit de 3 expositions organisées par Nekoda Communication que dirige mon ami Ghislain Okoua. Celui-ci m'a demandé d'en être le commissaire d'exposition et j'ai accepté la proposition même si je n'appartiens pas à cette structure. Je l'ai fait instinctivement pour l'amour et l'intérêt que je porte à l'art mais aussi au nom de l'amitié qui me lie à Ghislain Okoua. Lui et moi, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous envisageons d'ouvrir une nouvelle galerie à Abidjan. Pour en revenir à ces événements qui marquent le 5e anniversaire de Nekoda Communication, il s'agit de 3 expositions distinctes. Celle de l'hôtel Onomo est la seconde édition de Melting-Pot, un événement placé sous le signe de la diversité ivoirienne. 10 artistes de générations et d'univers différents démontrent à quel point Abidjan est une ville aux multiples talents. De Maurhy Fondio à Charles David en passant par Zié Koné ou Franck Asso, la palette des compositions est suffisamment variée pour se rendre compte que ces artistes explorent chacun, à sa façon, des thématiques qui leurs sont propres. Et puis, il y a des révélations comme le jeune Souleymane Konaté dont le travail m'a surpris.

Au Sofitel Ivoire, nous sommes dans une proposition différente. Deux artistes croisent leurs visions sur la ville avec originalité et talent. Le jeune ivoirien Landry N'Zoué et le grand Segson démontrent comment, autour d'un thème central, on peut proposer des œuvres différentes et complémentaires. Si Segson est un peintre de la ruralité et du quotidien, Landry est celui de tissus urbains plus denses et imaginaires. Faire côtoyer le réel et des visions plus intimes ou secrètes relevait de l'impossible mais le talent de ces 2 créateurs les rend complices. L'exposition est vivante, originale, dynamique et ludique à l'image de son titre "Viva la ville !".

Enfin, le 3e événement, à la galerie Nekoda, est en quelque sorte un tremplin découvertes mettant l'accent sur des artistes aux univers décalés, singuliers. Le plus chevronné, Sap Hero, décrypte avec fantaisie et vivacité la famille tandis que Ozoua Harmonie arrive à faire cohabiter, dans ses petits formats, délicatesse et féminisme. Je ne peux pas citer ici tous les artistes exposés que ce soit à l'hôtel Onomo ou à la Galerie Nekoda mais le mieux est d'aller sur place et de se laisser émerveiller. Les 3 expositions se déroulent jusqu'au 11 mai.

Selon vous, comment se porte le domaine de l'art en Côte d’Ivoire ? Et quelles sont vos perspectives ?

La question est intéressante car elle renvoie à deux préoccupations qui doivent autant interpeller les professionnels de l'art que les artistes. Il est clair que le marché de l'art, notamment en Afrique, est fragile et aléatoire. Le nombre de collectionneurs africains donc ivoiriens demeure insuffisant par rapport à l'offre. Dire que la majorité des acheteurs, collectionneurs se trouve en Europe, aux USA n'est pas provoquer. La preuve en est que la plupart des artistes africains renommés expatrient leur art dans des galeries parisiennes ou à Londres mais également dans des grandes foires internationales pour le vendre. Et pourtant, des grands noms comme Simone Guirandou ou Cécile Fakhoury œuvrent avec ténacité pour donner à l'art africain ses lettres de noblesse et une belle visibilité par des choix pertinents et exigeants.

Aujourd'hui, il faudrait multiplier par deux (2), voire par trois (3) le nombre de galeries en Côte d'Ivoire pour multiplier l'offre. Parallèlement, il est indispensable que les pouvoirs publics accompagnent cet essor par une politique volontariste en matière d'éducation artistique, dès l'école primaire, pour susciter l'intérêt des jeunes et dans des lieux au plus proche des citoyens pour sensibiliser le grand public.

C'est à une prise de conscience qu'il y a un patrimoine contemporain que j'invite les Africains et en premier, les amateurs d'art, tous ceux qui peuvent acquérir des œuvres : institutions, entreprises, particuliers... L'Afrique ne doit pas brader ce qui fait sa richesse, sa culture. Ce serait fortement dommageable qu'elle revive la même chose que le grand pillage des arts premiers en laissant partir son patrimoine contemporain. Cette question ne peut être débattue sans qu'on mette sur le tapis le problème de prix parfois exorbitants conduisant à cette fuite d'œuvres majeures. S'agissant du marché local, comme dans de nombreux pays africains, il souffre encore d'un retard et il me semblerait judicieux d'accompagner les acquéreurs d'art par des mesures fiscales les encourageant à maintenir ces œuvres sur le territoire.

L'ouverture de notre galerie marque un tournant significatif de nos activités de management artistique et culturel. Nous avons beaucoup misé sur des jeunes talents émergents africains dont l'écriture picturale se distingue. Les jeunes Camerounais William Bakaimo, Moustapha Baidi Oumarou, Prochore Tchuidjan pour ne citer qu'eux ou le Malien Famakan Magassa sont les figures de proue de cette marche en avant.

En Côte d'Ivoire, des artistes comme Souleymane Konaté ou Rodrigue Kouamé ont retenu notre attention. D'autres déjà plus connus tels le Marocain Karim Attar, le Congolais Francklin Mbungu ou le Sud-Africain Ndabuko Julukani Ntuli, le Rwandais Collin Sekajugo confirment des choix forts, exigeants et originaux.

Nous souhaitons que ce soit un lieu d'échanges et de convivialité dont la programmation va créer la surprise. D'autres projets tels que notre partenariat avec la fondation "La maison de l'artiste" sont en cours de réflexion. Rendez-vous à la rentrée pour le lancement de notre première saison.

Interview réalisée par
Gnagne Adrienne Ly