Communication: Les media et les banales morts africaines

 Les media et les banales morts africaines
Les media et les banales morts africaines
Les media et les banales morts africaines

Communication: Les media et les banales morts africaines

Communication: Les media et les banales morts africaines

« Le tireur de Libération », ainsi ont titré, à l’instar de leurs confrères européens, la plupart des journaux africains. Lisez bien le « tireur » et non le tueur. Ce déséquilibré qui a fait parler de lui en France, après avoir seulement blessé un individu, a aussi occupé beaucoup de colonnes dans nos journaux tropicaux.

Il est curieux que des médias africains fassent une si grande place à un individu qui s’est illustré par un fait divers si banal sur un autre continent, fût-il pour faire prévaloir une solidarité avec des confrères, lesquels sont peu émus de drames plus graves en Afrique.

Curieux parce que nos médias, si sensibles à ce qui touche l’Occident, sont si insensibles à ce qui les touche eux-mêmes. Ces médias africains n’ont accordé que peu d’intérêt aux dizaines de mort de la récente fusillade de Brazzaville. I

ls n’ont consacré que quelques lignes aux 92 morts du désert du Niger et candidats à l’exil. Ils ne parlent pas des nombreux bateaux qui chavirent tous les jours sur les eaux congolaises avec des centaines de morts. Ils sont impassibles lorsque leurs propres confrères africains sont tués. Est-il possible que les médias américains ou européens fassent un black-out  sur un seul de leurs concitoyens tués dans des conditions dramatiques ? Jamais.

Ces temps-ci, nous avons des images d’une Centrafrique déchirée et mutilée. Chaque matin, les bilans sont effrayants. Mais point d’information détaillée sur ce problème dans de nombreux journaux africains. Et puis est venu le Soudan du Sud où, en deux nuits de violence, au moins 500 personnes sont mortes ; ceci est le chiffre officiel, la réalité est bien pire puisque les combats se sont déplacés de la capitale aux contrées plus éloignées où les massacres continuent.

Il se peut que le bilan réel soit deux fois plus important, et le pire est à venir. Ici encore, nos média sont si discrets sur ce drame. Imaginez 500 cercueils ou sépultures alignés, cela ne susciterait aucune émotion en vous ? A vous, peut-être oui, mais pas chez nos médias. Ils attendront qu’un autre malade tire et tue trois personnes dans les rues de New York pour émouvoir leurs nations de récits et profils du tueur.

Ce comportement de nos médias n’est-il pas l’acceptation ou certainement la reconnaissance par les Africains eux-mêmes que leurs vies n’ont pas de valeur ? Comment s’émouvoir de la mort de trois personnes d’un continent différent et rester insensible à celle de 500 de vos propres frères ? La mort est devenue si banale sous nos tropiques.

Les cadavres jonchent les rues et se confondent aux déchets des poubelles. Les armes crachent la mort chaque jour. Les morts sont si innombrables que les médias africains sont convaincus qu’informer leurs concitoyens des drames du continent n’intéresserait pas leur audience.

Il y a environ deux ans, j’étais en mission au Zanzibar, quand un bateau a coulé et fait environ 300 morts. Quand j’ai appelé des amis au pays pour leur en parler, presque aucun d’entre eux n’était informé. Leurs journaux préférés n’ont pas cru bon de relayer cette information africaine triste.

Pareillement, beaucoup de petits africains savent tout de l’histoire du Titanic, ce bateau qui a coulé il y a plus de 100 ans et qui a fait des centaines de victimes. Mais ils ne savent pas grand-chose du Djola, cet autre bateau sénégalais qui, il y a quelques années seulement, a coulé et fait plus de 1.500 morts.

Ici au moins, sur le cas des nombreux Africains morts, c’est la presse occidentale qui alerte le monde et exige des autorités locales des explications. Pendant ce temps, les Africains regardent ailleurs.

Si les médias africains banalisent moins ces morts, s’ils s’emploient à respecter la vie humaine africaine, s’ils attirent l’attention des Africains sur tous les drames, où qu’ils se produisent sur le continent, ils contribueront à une meilleure conscientisation de la protection de nos vies.

Certes, ils ne portent pas la responsabilité totale des crises nationales, même s’ils y contribuent. Mais ils ont un rôle important dans le relais des informations graves, seules capables de provoquer des mouvements diplomatiques, judiciaires, de mobilisation ou de sympathie.

Par  VINCENT TOHBI IRIE