Arts visuels: Dialogue d’outre-tombe entre Toguo et Bruly Bouabré

Toguo, premier jeune artiste africain à pouvoir faire et à savoir faire des performances achevées.
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Arts visuels: Dialogue d’outre-tombe entre Toguo et Bruly Bouabré

Arts visuels: Dialogue d’outre-tombe entre Toguo et Bruly Bouabré


L’artiste camerounais qui compte dans le Top 20 des artistes contemporains dans le monde expose à La Rotonde des arts d’Abidjan et rend hommage au savant ivoirien décédé en 2014.
En affirmant, d’emblée, au vernissage de son exposition, le 20 juillet à La Rotonde des arts contemporains d’Abidjan-Plateau, « Abidjan m’a tout donné (…) L’Afrique a besoin de nous. Et surtout de sa diaspora pour lui redonner une partie de tout ce savoir acquis en occident », l’artiste Barthelemy Toguo faisait acte de reconnaissance. Mais aussi de déférence à une référence qu’est Frédéric Bruly Bouabré, décédé, en janvier 2014. Avec qui, justement, il ouvre un dialogue pictural et mnémonique et qu’il partage avec les férus d’art et les quêteurs d’élévation contemplative.


Une sorte de yo-yo entre le passé par questionnements au maître et le futur dont les prémices originelles se font jour dans un présent fort créatif. Ainsi, dans la scénographie à fort relent d’installation de cette exposition, ce sont les œuvres de Bruly Bouabré qui accueillent le visiteur.


Cet écrivain, savant iconoclaste, libre-penseur, dessinateur et inventeur de l'alphabet Bété et auteur d'une écriture sui generis pour prémunir de l'oubli la culture de l’aire culturelle Bété. Plus en profondeur, le visiteur est soumis à autant de réflexions face à l’installation de Barthélemy Toguo.
On peut voir également toute une installation qui comporte plusieurs scènes. Dans l'une de ces scènes, Toguo marie la vidéo, les sculptures et le dessin, ce qui représente à ses yeux un jeu de va-et-vient des sentiments amoureux, de peur, de souffrance, d'emprisonnement.


Quant à sa démarche artistique, il faut souligner que son travail consiste à animer une frise. « Ce sont des frises de 10 mètres. La frise au début est toute blanche, vierge, pure. Au fur et à mesure qu’il s’en approche, c’est toujours amusant de voir comment, il la guette. Ne sachant pas par quel bout commencer… C’est vraiment l’angoisse de la page blanche. Et quand il finit par toucher à la frise, on voit de proche en proche que la frise crache du sang, des couleurs rouge et rosée.

Cela nous renvoie à tout ce décor critique, violent que l’Afrique connait depuis les années 80 ». Plus contrastant, c’est que malgré toutes ces rougeurs et corps mutilés, des lueurs vertes apparaissent, fait remarquer l’artiste, pour indiquer que l’horizon n’est pas complètement bouché. « Et qu’il faut apprendre à vivre ensemble et à assumer notre histoire de violence… » explique le Professeur Konaté, responsable e la galerie-hôte, président honoraire de l’Association internationale des critiques d’art (Aica). Qui, sur la valeur de Toguo, confie qu’il est « sans exagération aucune » un talent « qui compte parmi les 20 personnalités les plus marquants de l’art contemporain dans le monde… ».


Pigments d’un retour au pays natal
Après avoir fait des études à l'école des beaux-arts d'Abidjan, Barthelemy Toguo est reçu à l'École supérieure d'art de Grenoble (France), où il continue son apprentissage artistique, qu'il terminera à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf (Allemagne).


Il travaille aussi bien la vidéo, la gravure, la photo, la peinture, le dessin et la sculpture, que l'installation et la performance. Toujours à son sujet, le Pr Konaté affirme que c’est à l’occasion de la Biennale d’art contemporain de Dakar en 1998 qu’il s’est rendu compte que la créativité de Toguo le conduirait aux cimes. « Toguo est venu avec un tampon géant qu’il avait sculpté. Et sur lequel il était marqué carte de séjour. Il était le premier artiste à l’époque à pouvoir faire et à savoir faire des performances qui marchaient. On peut essayer de faire des performances, ça ne marche pas toujours », témoigne-t-il.


Cette performance, dira-t-il, a consisté à caresser le tampon qui avait une forme humaine. Et cela pour indiquer comment la diaspora africaine avait du mal à obtenir ce fameux tampon qui leur donnait le droit de vivre dans la légalité en France. « A partir de ce moment, il a été un embrayeur de l’art contemporain non seulement en Afrique mais dans le monde », affirme le Professeur Konaté.


A travers cette exposition qui est un projet nourri par le muséologue Yaya Savané, décédé le 26 avril 2014, c’est un hommage à ce dernier. « Je suis content de pouvoir lui donner une vie (…) On a la chance que nos rêves vivent plus longtemps que nous. On a aussi la chance que nos amis, nos enfants portent nos rêves », se satisfait-il.


Autre motif d’égard pour cet artiste, c’est le fait de construire un centre d’art au Cameroun où il dispose des œuvres des grands maitres de l’art universel. « Des collectionneurs africains, je pense qu’il a l’une des collections les plus impressionnantes… », a confié le Professeur Konaté. Et d’ajouter : « Je voudrais le saluer pour cette sorte de "cahier d’un retour au pays natal" qu’il signe en créant chez lui au village un centre d’art ouvert aux populations ».
Allusion faite, bien tendu au best-seller de Césaire. Une reconnaissance assumée de ses origines tels des pigments indélébiles. Evocation, tout aussi, au recueil de Damas, pour louer une négritude permanente et revendiquée pour ce citoyen du monde de plain-pied avec son temps et l’universalité.


REMI COULIBALY