Arafat DJ: Mort comme il a vécu…

Arafat DJ: Mort comme il a vécu…

De ton vivant, je ne t’ai pas célébré, tu étais l’idole de ma fille qui m’imposait, chaque fois l’an, le prix fort du ticket d’entrée de tes concerts ; ce que je faisais pour ne pas la frustrer du bonheur de côtoyer sa star de ses jeunes saisons.

Ce n’est donc pas aujourd’hui, mort, que je vais me vêtir du pagne de deuil du bal masqué et tomber dans les dithyrambes commodes.

J’avais toujours cette interrogation : comment tout cela allait finir ? Cette fureur de vivre, cette envie d’aller au-delà de ses limites, dans l’insouciance de ses jeunes âges, sans personne à lui donner des conseils ? Comment tout cela allait finir ? Dans la mort. Comme tout le monde certes, mais dans la violence. Comme tu as vécu. Intensément. Avec fureur, avec rage.

La vie ne t’a pas fait de cadeau. Tu n’étais pas un enfant de la rue, mais tu n’eus pas le choix que de la prendre comme demeure, y vivre et survivre dans les rues et bleds où il y a peu de place pour la morale. La vie t’y mordait à pleine dents. Á ton tour, tu la mordais à pleine dent, comme compensation et pension de tes efforts. Surtout quand s’ouvrirent, très tôt, les portes du salut. Tu devins icône. Très tôt. De milliers de jeunes, de toutes les couches sociales, mais surtout de ceux à qui l’on n’offre que très peu de chance de sortir de cette vie dans la ville cruelle, sous les soleils de nos Républiques désolantes : tes chinois.

L’ivresse de la réussite

Modèle à suivre ? Non, je ne franchirai pas cet escalier pour aller au bal masqué. Mais j’ai admiré ta manière de te battre pour sortir de cette misère, avec les armes que cette rue t’a fournies. Dans cette rue, par tatouage, l’on ne parle pas avec des mots de tout le monde, mais avec ceux de la tribu - lexique spécial. Et tes milliers de fans te comprenaient, ils comprenaient ce qui ne s’expliquait pas et ne pouvait s’expliquer.

C’était un délire-délice pour eux. Á une question d’un confrère te demandant si tu pouvais répéter ce que tu chantes et ce que tu voulais y dire, tu n’eus, de manière sereine, que cette réponse : « ça ne veut rien dire, tu ne fais qu’écouter pour danser ».

Dans cette rue, non plus, on ne sait pas ce que murmurer veut dire – on crie et hurle comme un fauve blessé, écorché vif. Dans cette rue, on aime à s’habiller en noir, comme la vie elle-même qui ne t’a pas fait de cadeau. Les enfants dans cette rue sont habités par des générosités violentes, à cause des enfances ratées, des chaleurs familiales jamais connues, etc.

Cette rue sans encadrement, sans père ni mère, sans boussole t’a alors formaté et tu as voulu en être le seul enfant légitime, le fils de « zeus » sorti de ses entrailles qui parlât en son nom et portât le costume taillé sur mesure pour vivre ta vie. En leader. Quel autre choix s’offrait à toi ? Tu connus très tôt la gloire et ce fut l’ivresse de la réussite.

La vie ? Tu la prévoyais sans doute courte et la voyais avec démesure et excès. En tout. Il paraît que c’est le destin de certains artistes : ils naissent, connaissent très tôt la gloire et meurent. Très tôt. Toi, à 33 ans. Comme… Jésus. Moi, je ne suis et ne serai jamais un fan de ton évangile sonore, bruyant et tympanisant qui fait vibrer tant et tant de jeunes. Ton mérite : avoir saisi l’âme en peine de son époque des jeunesses orphelines, livrées à elles-mêmes dans des quartiers de tous les manques, au point de représenter pour elles un modèle de réussite, un exemple à suivre. Faillite des politiques de socialisation et de resocialisation. Hélas !

Les étoiles filantes chutent aussi

Au moment où des milliers de fans vont t’accompagner – il y en aura plein de faux aussi, par effet de mode - m’habite cette conviction : on meurt comme on vit. Or, il y en a qui meurent sans avoir vécu. Vivre pour toi, ce n’est pas dans la durée, mais dans l’intensité, en vibrant et faisant vibrer les autres au rythme de tes folies, de tes fureurs de vivre. Sans limite. Tu étais le leader de la planète des damnés de la terre. Ils ne se refusaient rien à t’accompagner dans tes frasques, dans tes dérives insupportables ; ils « étaient rienneux », et tu étais tout pour eux, une étoile vibrante, une sorte d’El commandante à moto, en jaguar avec la vitesse chevillée au corps. Or, les étoiles…filantes chutent aussi.

Je revois encore cette scène, avant la fin : cette moto et toi, en T-shirt blanc dans cette nuit, la poussant à sa puissance extrême. C’était comme un jeu de la mort. Jeu mortel. La moto que tu cabrais, lui imposant ce que tu entendais ou attendais d’elle, elle la docile à ta fureur de vivre.

C’était comme si tu allais la chercher au bout de cette nuit, cette mort. Tu ne roulais pas cette moto, tu voulais t’envoler avec elle, vers où ? Je comprends maintenant, ce discours prémonitoire plein d’arrogance et de suffisance : « Le jour je fais un accident de voiture ou de moto, je touche du bois, personne ne va cotiser pour moi. Je vais me soigner. Si c’est chaud, je paye mon billet d’avion, je vais en France… Maintenant, si pendant l’accident je suis mort sur le coup, c’est que Dieu l’aura voulu. »

Plusieurs fois, dit-on, tu en es sorti vainqueur, de ce défi à la mort. Mais cette nuit, cette moto et son bruit pétaradant qui hurlait déchirant le calme de la nuit, poussée jusqu’au bout aussi, c’était comme un râle. C’était comme si tu voulais qu’elle rendit l‘âme, en même temps que toi. Cette nuit, il était sans doute écrit que c’était The last death game. Car, à quoi pouvait ressembler cette parade suicidaire ? Appel de la mort, défi à elle ? Ou surestimation de soi, de se croire immortel, élu de Dieu ?

Michel KOFFI