Alpha Blondy, depuis Paris : “ Le problème du foncier en Côte d’Ivoire est une épée de Damoclès sur nos têtes ”

Alpha Blondy
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Alpha Blondy, depuis Paris : “ Le problème du foncier en Côte d’Ivoire est une épée de Damoclès sur nos têtes ”

Comment expliquez-vous votre longevité artistique  ?

Vous savez, tout ce qui commence avec le nom de Dieu est béni car c’est Dieu lui-même qui pilote cette carrière-là. Quelque part, j’avais tellement peur, qu’avant de me lancer dans ma carrière musicale en tant que professionnel, j’ai beaucoup prié et demandé à Dieu de m’aider. Je suppose que c’est ce qu’il a fait.

“Pardon” est l’un des titres de votre dernier album Mystic Power. Quel message renferme-t-il exactement ?

En tant qu’ambassadeur de la Paix de la Cedeao et de l’Onu, j’avais pris acte des problèmes générés par la crise ivoirienne. Et, peut-être ai-je été naïf en croyant vraiment pouvoir trouver une solution pacifique à cette crise-là. Je m’y suis investi pleinement. J’ai pris ces coups, mais je croyais qu’au finish j’aurais gain de cause et que la Côte d’Ivoire éviterait cette guerre que nous avons connue. Sans prétention aucune, j’ai été le précurseur du dialogue direct entre l’ex-président Laurent Gbagbo et Soro Guillaume des Forces Nouvelles. Et ce dialogue direct a abouti sur les accords de Ouaga. J‘étais donc optimiste. Même s’il existait quelques points qui ne rencontraient pas mon adhésion. Je me disais qu’avec cette atmosphère de confiance qui régnait, je pouvais croire à une issue heureuse pour tout le monde. Hélas ! C’est donc devant ce triste constat que j’ai écrit cette chanson pour demander pardon. Car il y a des gens qui ont cru que je pouvais réussir. Ceux qui m’ont nommé ambassadeur ont, eux aussi, pensé que je pouvais réussir ma mission. Mais devant tant de morts, je demande pardon.

Meiway et Monique Séka figurent sur votre album. A quoi répond cette présence?

je dois dire un infini merci à mon petit frère Meiway qui, lorsque je lui ai parlé du projet, est venu me rejoindre aussitôt. La voix de Meiway que l’on entend sur l’album a été posée dans ma chambre d’hôtel, sans la moindre retouche. C’est dire combien ce chanteur-là a de la valeur ! Enregistrer dans de telles conditions, franchement il faut le faire ! Je pense la même chose de Wiper Saberty qui est venu de Grenoble.

 Quant à Monique Séka, elle a placé ses voix dans le très beau studio de notre soeur Madeka. Ismaël Isaac, lui, l’a fait dans mon studio à Abidjan. Les Magic System n’ont pas été retenus à cause de l’entêtement de mon conseiller juridique que j’ai d’ailleurs viré. Mais, ils figurent quand même sur la version ivoirienne de la chanson.

Votre orchestre, le Solar system, a fait sa mue depuis quelques mois. A quelle nécessité répond ce changement de musiciens ?

Ecoutez, quelqu’un a dû dire à mes musiciens que le Président de la République a donné 1.3 milliards de Fcfa à Alpha Blondy seul comme cachet pour la caravane de la réconciliation. Alors ils ont dit : “Nous voulons 1 million de F  cfa par concert et par musicien !” J’ai beau leur expliquer que ce n’était pas vrai, rien à faire. A la dernière minute, mon manager a été obligé de procéder à des recrutements. Cela dit, il y a quelques-uns qui ont accepté de revenir comme Charly le batteur, Eddy le saxo et Jules le lead guitar.

Vous affirmiez récemment dans la presse française que vous avez eu la chance de manger à la table de plusieurs chefs d’état à travers le monde- à l’Elysée notamment. Que faut-il en conclure?

Je pense qu’en m’invitant à leur table, c’est pour moi un très grand honneur ! Pour quelqu’un comme moi qui vient d’Adjamé-Bracodi bar. Moi, le proscrit, le laissé-pour-compte, le marginalisé. Celui-là même qu’un Secrétaire général de parti n’osait même pas saluer, qui se retrouve à la table du Président de la République ! Vous vous rendez compte ? Imaginez que les Présidents, Houphouët, Bedié, Gbagbo et Ouattara vous invitent à leur table. Mon Dieu, quel honneur !

Vous avez refusé l’invitation du Général Guéï pourtant ?

Ecoutez, c’était le premier coup d’Etat que connaissait la Côte d’Ivoire. Et cela m’avait scotché au plafond ! Et puis comme vous le savez, j’ai toujours eu peur des armes. Lorsque les jeunes gens (les soldats) sont venus chez moi pour me dire que le Général Guéï voulait me voir, j’ai fait dire à mon gardien que je n’étais pas là. Parce que j’avais peur tout simplement. Et avoir peur n’est pas un délit, que je sache (Rires).

Je pense aussi c’est parce que mon travail de musicien leur plaît. Puisque j’essaie de faire des critiques constructives. Je me dis qu’ils sont sensibles à ces critiques-là. Moi je ne suis pas méchant; je les critique tout en les ménageant. Ils savent bien que je ne suis pas un homme politique et que par conséquent leur poste ne saurait être menacé. Je suis un citoyen à l’écoute de son pays et qui critique.

C’est comme quand tu regardes un match de foot devant ta télé en critiquant tel ou tel joueur qui a raté une talonnade ou un penalty you know. Or tu n’aurais pas fait mieux sur le terrain (Rires). Donc, je ne fais que des critiques constructives, pas méchantes.

La caravane de la paix semble être restée en travers de la gorge de plusieurs artistes ivoiriens. Quel commentaire en faites-vous ?

Absolument aucun commentaire. Chacun a négocié lui-même son contrat ! Avec ceux qui les ont contactés. Le manager de Monique Séka n’est pas tombé d’accord avec les organisateurs et la chanteuse n’est pas venue. Moi je n’ai pu négocié que les contrats de Meiway et de Tiken Jah, c’est tout !

Au départ, vous étiez aux commandes de cette organisation.

Oui, et nous étions tombés d’accord avec le Président de la République sur une base de 1,3 milliard de Fcfa. A un moment donné l’organisation m’a été retirée pour être confiée à une structure du nom de Voodoo Communication. Le budget -entre temps- est passé à 840 millions de F cfa. Mon équipe a donc négocié mon contrat. Et toutes les autres équipes en ont fait autant pour leurs artistes.

Que celui ou celle qui a signé son propre contrat ne vienne pas dire qu’il a été mal payé. Monique Séka a estimé que son cachet etait trop bas et elle n’est pas venue voilà !

Ceci dit, je profite de vos colonnes pour remercier tous ceux qui ont pris part à cette caravane. Je veux parler du Président de la République, du ministre Bandama, de  l’équipe de Voodoo Communication, des artistes eux-mêmes,  des autorités politiques locales et des populations qui nous ont accueillis dans la ferveur. Je prie aussi pour le repos de l’âme de notre frère Houon Pierre qui a perdu la vie au cours de cette caravane.

Les prochaines élections municipales en Côte d’Ivoire se feront vraisemblablement sans le FPI. Qu’en pensez-vous ?

Je n’en pense rien du tout. Mon souhait en tant qu’Ivoirien, c’est que les politiques s’entendent. Parce que durant la Caravane de la réconciliation par exemple, le constat que nous avons fait est le suivant : Les Ivoiriens ne se haïssent pas, ce sont les politiques qui ont manipulé ces populations-là. Les affrontements entre les communautés ne sont que la conséquence de la politique  du”Diviser pour mieux régner” qu’utilisent nos leaders politiques. Voilà tout. Si le FPI ne veut pas aller aux élections, que voulez-vous que nous disions, nous le peuple ? C’est pourquoi je leur demande encore une fois de s’entendre. Que leurs réflexions aboutissent à des consensus pour que le pays avance. Car, à trop tirer sur la corde, elle finit par se  casser.

L’Ouest de la Côte d’Ivoire continue de souffrir terriblement de cette crise qui n’en finit plus. Que faut-il faire à votre avis pour arrêter cette effusion de sang ?

Vous savez, les conflits fonciers sont devenus un très sérieux problème suspendu comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Il faudra que nos gouvernants prennent ce problème à bras le corps car non seulement, il est grave, mais il est récurrent. Depuis déjà très longtemps, les litiges sur le foncier existent et ne sont pas traités comme il faut. Aujourd’hui, cela refait surface et il va falloir que nos gouvernants prennent cette affaire très au sérieux. Nous avons enregistré trop de pertes en vies humaines ! Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités et trouve des solutions justes. Car il y a risque d’implosion, et croyez-moi, ça risque de “péter” très fort si l’on n’y prend garde.

Un mot sur la crise au Mali ?

Je crois une fois de plus qu’il est très difficile de guérir d’une maladie quand le malade lui-même est complice de sa maladie. Dans la mesure où il contribue à l’aggravation de celle-ci. Les hommes politiques maliens doivent s’entendent. Que les militaires maliens - j’entends par-là les bérets verts et les bérets rouges- arrêtent de se taper dessus. Et qu’ils sachent que le Mali est prioritaire.

Je ne connais pas réellement les tenants et les aboutissants de cette guerre, mais en ma qualité d’ambassadeur de la  paix de la Cedeao, je ne peux que les inviter au dialogue afin de trouver un terrain d’entente. De sorte que les islamistes au Nord Mali n’aient point gain de cause. L’Union africaine doit arriver à protéger nos souverainetés sur le continent. Car la souveraineté se mérite, se défend et se protège. C’est quand même aberrant que ce soit la France qui vienne s’interposer entre l’ancienne colonie et des jihadistes armés jusqu’aux dents. C’est inacceptable que c’est l’armée française qui vient empêcher les Ivoiriens d’aller au génocide ! Il faut donc que l’Union africaine revoie sa copie. Et qu’elle constitue une force collégiale capable d’intervenir rapidement partout sur le continent. Pour éviter ce qui arrive au Mali et ce qui a failli arriver à la Côte d’Ivoire.

Votre ami Youssou N’dour est entré au gouvernement de Macky Sall. Songez-vous à faire de la politique un jour ?

Je suis très fier de Youssou Ndour ! On m’a souvent demandé si je voulais faire comme lui, j’ai répondu non. Tout simplement parce que les Sénégalais sont en avance sur nous en matière de démocratie. Les Ivoiriens sont devenus tellement violents. Cela dit, je ne me sous-estime pas mais je ne me surestime pas non plus. Je pense que chacun doit rester à son poste de sorte que les moutons soient bien gardés. Je me sens bien dans mon domaine, c’est l’essentiel. D’ailleurs c’est plus agréable, à mon sens, de critiquer les politiques.

Les Eléphants ont encore raté leur coupe d’Afrique des Nations cette année. Ça commence à faire beaucoup.

Nous, ivoiriens, sommes des supporters sado-maso : On sait qu’on va nous la mettre mais on est là quand même (Rires...) On supporte, on encaisse des buts, on gueule, on insulte. Et dès qu’on nous rappelle pour une autre campagne sportive, on oublie tout et on repart en oubliant le passé (rires).

Nous sommes sensibles aux heures glorieuses que nos footballeurs nous ont fait vivre. Ne soyons tout de même pas ingrats vis-à-vis des Eléphants! On a eu de grands frissons, on crié jusqu’à on a eu “dagbè” (ndlr : on a salivé), et quand ils perdent, on les insulte. Conclusion : nous sommes de mauvais perdants comme tous bons supporters. Que voulez-vous ? C’est la règle du jeu. Mais on les aime quand même. C’est vrai qu’on les insulte, mais en même temps nous ne voulons pas que les autres pays les insultent à notre place. Voilà pourquoi nous sommes des supporters sado-maso (rires).

Votre fille Sarah vient de prendre des galons au sein de votre staff managérial. Allez-vous poursuivre l’expérience avec vos autres enfants ?

Non. Je crois que Sarah voulait s’occuper de la maison d’édition et puis aider son papa. Je pense d’ailleurs qu’elle s’en sort très bien dans la mesure où elle est bien conseillée par Michel, mon manager. Et moi, ça me plaît car le travail se passe en famille. Je l’ai même surnommée “Claude Chirac”.

Interview réalisée par

Momo Louis

Correspondant permanent à Paris