2e édition du Didiga : Plus de 10000 festivaliers en extase

2e édition du Didiga : Plus de 10000 festivaliers en extase

2e édition du Didiga : Plus de 10000 festivaliers en extase

La rencontre des 23, 24, 25 mars 2018 de l’expression culturelle par le chant et la parole, a connu un franc succès à Yacolidabouo- Soubré. Didiga festival ? C'est où ? C'est quand ? C'est quoi ce festival dans un village ? C'est un très grand festival dans un petit village du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, situé à 65 km de Gagnoa et à 350 d’Abidjan, dans le département de Soubré et la région de la Nawa.

On ne l’atteint pas aisément en un clin d’œil. Mais bien vite l’inconfort par endroits du trafic routier, cède la place à la tranquillité. A l’émerveillement même. Extirpé des ténèbres, Yac la précieuse mousse de rayons lumineux de nuit comme de jour.

Le cœur du Festival bat sur la place, sous les bâches du centre culturel, au terrain de l’école primaire, pas loin de la tombe de Bernard, dans le centre de la formation, à la Radio Ouyiné (entraide). Oui une radio, car la communication est importante. Pour ce faire, le Wi-Fi est accessible. Il peut tanguer comme un certain temps, mais à la décharge de Yac la précieuse, même sur les sites huppés d’Abidjan, c’est pareil.

Une destination touristique intelligente 

Radio, Wi-fi, haut-parleur, affichage numérique, bornes électriques, objets connectés constituent les principales infrastructures qui font de Yac la précieuse une destination touristique intelligente où se crée une relation personnelle avec le festivalier qui a la bonne information au bon moment. Ni Asalfo et ses amis, ni la dizaine de préfets, la demi-douzaine de députés, les ministres, ni la presse, n’a été privé d’informations  pertinentes et accessibles en temps réel, trois jours durant.

A l’arrivée de tout  ce beau monde, on a cédé au rituel traditionnel fait de libations, d’offrande de coq, passé autour du corps de l’invité spécial, le groupe Magic system. Ce mixage modernisme-tradition a fait céder le Directeur de Côte d’Ivoire tourisme visiblement heureux de rencontrer un festival partenaire. Un vrai dès le premier jour.

Le lendemain matin, place à la réflexion. 10h 10, le professeur Séry Bailly dans la salle de formation Gbaloan Séri, livre une  communication. « Le cheminer ensemble », du bété, Waa-Bhli-Niê, en est le thème. A ses côtés le professeur Paulin Zigui Koléa qui se chargera de rendre intelligibles, par traduction, tous les textes des poètes bété. Devant les balbutiements lors de notre quête de réconciliation, le conférencier propose le cheminer ensemble préalable au vivre ensemble.

Il a les ressources nécessaires pour un tel exposé. Ancien membre de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) puis  de la Commission Nationale pour la Réconciliation et l'Indemnisation des Victimes des crises survenues en Côte d'Ivoire (Conariv), sachant de terrain donc, le disciple de Zadi Zaourou et de Mémel Fôté a également eu recours à un texte du dernier cité, datant de 1973 et intitulé : « Le vent et la toile d’araignée ou l’unité du monde dans la pensée négro-africaine ».

Le cheminer ensemble

Sur la base de son propre vécu et de la théorie de Fôté, Séry Bailly a trouvé trois parties à son travail : l’unité du monde, les  exigences du cheminer ensemble et son intérêt. « L’unité est une sorte  d’avoir ensemble qui inclut dans une même fraternité êtres humains, animaux, plantes, et minéraux ». Condamnés à partager la même soierie sociale, les êtres sont soumis à des exigences. Séry Bailly en relève 4. La conscience de la destination, le choix de la route entendons la méthode, la gestion des  carrefours (croisée de chemins) et le rythme lent ou rapide.

La dernière partie du travail a consisté à éclater l’intérêt de Waa- Bhli-Niê en 5 niveaux. Niveau psychologique par l’estime de soi, éthique par l’éducation et donc la transmission, écologique avec le respect de la terre commune, économique avec l’entraide Ouyiné et enfin niveau politique par une vision panafricaine voire globalisée. Il s’agit, conclura, Séry Bailly reprenant Memel Fôté : « De remettre sans cesse l’homme en amitié avec lui-même, avec la communauté et avec le cosmos ».

A la fin de son intervention, des rafales d’applaudissements ont percuté la salle de formation et sont allées se loger dans les consciences de l’auditoire. Dans cet auditoire Asalfo du groupe Magic system, visiblement sous le charme de la communication du professeur qui semblait trouver écho favorable à l’expérience de ses amis d’Anoumanbo et lui, a pris la parole : « Ce que le professeur Séry Bailly dit nous touche. Le succès de Magic se résume au nombre d’années que nous avons su passer ensemble. Nous avons su cheminer comme le professeur l’a dit. Nous avons tenu plus de 20 ans parce que nous regardions dans la même direction et partagions des valeurs communes  telle que la persévérance. A notre premier album nous avons connu un échec qui nous a rendus plus forts, plus unis, plus solidaires. »

Puis, Asalfo de poursuivre en illustrant le dernier volet de l’intervention de Séry Bailly relatif aux 5 niveaux de l’intérêt du Waa-Bhli-Niê : « Le professeur Séry Bailly a raison car Magic System était composé de 32 membres. Aujourd’hui nous sommes 4. Sont restés ceux qui ont cru. Je suis chef de groupe parce que je n’ai ni voulu être l’ouragan, ni le vent faible auquel a fait allusion le professeur, mais plutôt le conducteur,  le vent modéré le grand frère car c’est la fraternité qui empêche la séparation. » ‘‘Séparation’’.

A l’évocation de ce mot, les souvenirs des afflictions refont surface et Asalfo manque d’écraser une larme. Larme de chagrin ou Jeu d’alarme ? Ration de simulation ou traduction réelle de compassion?  L’artiste se ressaisit pour ensuite s’adresser au conférencier. « Professeur, ne soyez pas surpris d’entendre dans l’une de mes chansons votre propos : la destination n’est pas le terminus. Votre phrase est belle et véridique car l’on n’est jamais arrivé et il y a une chanson Zouglou qui traduit cette  idée : quand on a 10000f on a problème de 100000f ».

BB

L’échange enrichissant s’est poursuivi avec le public. Puis une visite guidée de la radio, du centre hospitalier, de la maternelle, de (presque) tous les acquis infrastructurels a eu lieu. De tant parler, tant déambuler, ça creuse. 13h le soleil de plomb mène les festivaliers au Banquet bété bio (Bb), autour d'une belle restauration bété élaborée à partir de produits bio locaux.

Des mets obéissants à l’hygiène et au scrupuleux respect de la diététique sont exposés mais bien protégés sous un abri de paille qui anesthésie la canicule. Il fait alors frais à Yac la précieuse. Et le Bb pour reprendre le propos du commissaire général Eugène Zadi « se tient pour rappeler à nos invités et à nos populations que nous consommons quasi instinctivement et naturellement bio avant la mode. Nous gagnerons à vulgariser nos acquis, nos mets non gras». 6 mets courent la table : le Tikriti (sauce de jeunes pousses de feuilles utilisées également par les Ebrié pour préparer le N’tro), le gblé (des asperges), Négboko (épinard champêtre en boulettes) ou Négboko Himehoun (épinard à la sauce claire) pour pallier les déficiences en fer et assurer un bon transit, le Gbogbolo (purée de  gombo), Gadré Zohoun (Cœur de palmier à la sauce claire ou graine), le siôkô (sauce gluante nommée Kplé chez les wê).

Après un repos mérité sous forme de quartier libre, retour au Centre culturel pour la soirée de contes tenus par 4 orateurs. Dès 19h, le doyen Obin Manféi avec Les  poussins qui savent comment se nourrir, ses  trois poulains et pouliches, Lago, Thérèse Yao et Princesse Glai la plus ovationnée avec L’alliance gouro et wê. S’ensuit la compagnie Didiga composée de noms connus comme Amélie Wabéhi et Clémentine  Papouet qui propose une sorte de pot-pourri de la Guerre des femmes de Zadi Zaourou. Puis place aux poètes de Wiegweu (source du pleur) où la  parole nue, psalmodiée sans  instruments se garde de se faire chant.

Chapelet d’oralités

Le premier Gobé Blè Thomas de Nahio (Issia) ayant pratiqué lui-même de la boxe, pendant 3 ans est le frère du boxeur ivoirien Gobé Allou. Le septuagénaire est imposant : 1,72m pour 105 kg. Sa voix emplit l’espace et cherche dans la foule GbiZrê (panthère rouge, pseudonyme de Zaourou). Sans succès. Il pleure son sort d’orphelin. Plus jeune, le deuxième Wiegweu est également imposant : 1,79m pour 80 kg. Boda Débré de Dalébré est couvert de kaolin, le maquillage des temps funèbres. La foule hurle de joie surtout quand il fait la doléance de la révision à la hausse du prix d’achat de l’hévéa pour ne pas que se meurt la Nawa.

Puis trois Tohourous genre oral le plus populaire en pays bété chargé de réguler la société, chantent. D’abord, Tapé Oré Félix de Digbapia invite Eugène Zadi à prendre soin de lui, il est l’espoir de toute une  région. Blè Wanguy poulain de Tima Gbai raconte l’histoire de Babo Naki chanté par son maitre. Zomassa intervient entre les deux sus cités. Il aura été précédé de Koom Bb un duo constitué par Makagnon Goh Prince, lead vocal et Gae Torouri Franck, tous deux originaires de Lakota et dont les voix rappellent fortement Sakoloh.

Changement de scène. On quitte le centre culturel pour le  terrain de l’école primaire où la scène attend le mythique Magic system. Aucune chanson n’est méconnue le public exulte et reprend tous les titres. Asalfo en profite pour prodiguer des conseils aux jeunes comme ils boivent les paroles : « la méditerranée ne doit pas devenir un cimétière pour les Africains. Si nous avons-nous réussi à partir d’Anoumanbo un quartier moins élaboré que Yacoli, c’est que vous aussi vous pouvez réussir. Il suffit de  travailler et de croire au métier que vous choisissez ». Dans cette nuit à cheval entre deux jours samedi et dimanche la jeunesse de la Nawa s’est vu répéter ce qu’elle a toujours entendu dire par Marcel Zadi Kessy et Zaourou.

ALEX KIPRE




Regard

Yac la précieuse

Chaque année le week-end le plus proche du 20 mars, date anniversaire de la  disparition de Bernard Zadi, excellent professeur et artiste de classe d’exception, la scénographie s'organise dans les rues bitumées et adressées. D’abord avec les 3660 habitants (2018) auquel il faut ajouter un nombre consistant de ressortissants non-résidents. Ce festival référencé Didiga met à l'honneur l’expression vocale, la parole psalmodiée. Mais aussi la danse, l’art gastronomique...Il est total.

Né autour d’une quatraine d’irréductibles férus des lignes qui bougent, rejoints par de  nombreux bénévoles, d'envergure nationale, il est mu par l’audace du visionnaire de Kessy, par la générosité transitionnelle de Bernard qui ont su offrir un capital humain à nul autre pareil. 

Qui sont ces bénévoles ? Pourquoi le sont-ils ?

Des gens de Yac la précieuse et des alentours, des femmes, des vieux, des jeunes, des amis des amis, des « bien insérés » dans la société, des « cabossés » de la société... tous différents, tous égaux. Ensemble, ils vivent une belle aventure collective au service de l'artistique, l’outil politique le plus fédérateur. Alors ils partagent. Donnent. Reçoivent.

Qu'a-t-il de particulier, ce festival ?

Rien. Tout. Et c’est ce rien du tout qui fait-mine de  rien- tout ce festival. Il place l'Humain au centre. Il prend soin de chacun : l'artiste, le public, le bénévole, le citadin, l’hôte, l’égaré. La bienveillance, la qualité, l'accueil, le respect, la joie, la rencontre, y sont des mots bien vivants ! Cet événement participe au développement culturel, social et économique du territoire.

Qui est le public ? Une élite ?

Tout le monde vient : les amoureux du verbe qui annonce et dénonce, de la strophe qui acclame, déclame, proclame, réclame, les férus de la voix qui indique la voie, les familles, les précieux Yacoliens, les gens de la campagne, les gens de la ville, les riches, les moins riches, les chômeurs... Ceux en quête d'ambiance dont on sort la mémoire tatouée... Les curieux des spectacles en chantier ou/et abouti. Mieux que proscrite la concurrence n’existe pas. L’art lui, si !... Ils sont plus de 10000...fidèles et nouveaux et ont tous soif ! Le festivalier a soif et doit pour un autre moment de bonheur, attendre mars 2019. Oh ! Yaco ; Lis la précieuse en attendant.  

ALEX KIPRE

 


Ils ont dit

Alliali
Kouadio, préfet de la région de la Nawa, préfet du département de Soubré : « Il faut soutenir ce festival »

« Ce à quoi nous avons assisté est beau. Je suis ravi de ce festival haut en  couleur. L’ambiance festive mais aussi les textes instructifs changent de ce que l’on a l’habitude de voir. J’ai apprécié que la population s’entremêle et que les artistes bété et non bété frottent leur culture. J’adresse mes félicitations au comité d’organisation et souhaite que ce festival se perpétue. Il faut que tous ceux qui ont les moyens de le soutenir le fassent. On en a besoin »

Manadja, chanteur Magic system : « Je sais maintenant d’où vient le Zouglou »

« Je suis arrivé expressément de Paris car je ne pouvais rater ce rendez-vous avec la population. J’ai été émerveillé par ce grand art de la parole bété et je vous avoue que je reconnais car je viens de le voir d’où vient le zouglou. Sa source est ici chez ces poètes. Je souhaite longue à ce festival qui est différent des autres ».

Serebo Ika, chef de canton : « On prépare déjà la prochaine édition »

« En 2 éditions, le Didiga festival a progressé. La deuxième est au-dessus de la première par la qualité des artistes et l’affluence du public. J’ai reconnu les frères de Yacolo, de Meagui, de Mayo, de Daloa, Gagnoa, Gbada, d’Abidjan. C’est dire que le Didiga est suivi. On va commencer à préparer la 3e édition. »

Valen Guédé, artiste musicologue : « Des moments qui font grand bien »

« J’ai trouvé ça bien. Ce sont des moments qui font grand bien surtout pour moi qui me remets et retrouve mon équilibre physiologique »

Propos recueillis par

ALEX KIPRE