Célébration des 25 ans du Djeli Théâtre/Gbi de Fer « Le Djeli fait vivre le théâtre »

Célébration des 25 ans du Djeli Théâtre/Gbi de Fer « Le Djeli fait vivre le théâtre »

Beaucoup de troupes de théâtre ont disparu, au point qu’on se demande si le Djeli théâtre vit toujours.
Oui, le Djeli théâtre vit, il est toujours en activité. Il n’y a pas longtemps on a réalisé une pièce intitulée ‘’Au cœur du pouvoir’’. Mais en réalité, tous les groupes de théâtre ont disparu parce que, aujourd’hui nous ne sommes plus à l’époque où des comédiens arrivaient dans les troupes pour apprendre. L’évolution de l’art et les difficultés de la vie aidant, ceux qui s’inscrivent dans les troupes veulent tout de suite vivre de leur art. Ce qui fait que lorsqu’ils jouent, il faut les payer. Alors qu’il est aujourd’hui difficile de faire des spectacles. Par conséquent, un directeur de troupe sérieux hésite beaucoup avant de se lancer dans une création. Autre obstacle : nos comédiens sont plus portés sur des rôles dans des films et séries plutôt que sur la scène théâtrale.

Dans cette grisaille, on se demande bien comment vous avez survécu pendant 25 ans !
Il faut dire que je n’aime pas souvent avoir la mainmise sur les comédiens. Les comédiens qui ont transité par le Djéli Théâtre d’Abidjan ont la liberté d’expression et de mouvement. Ils ont leurs femmes et enfants. Alors, je ne peux pas les maintenir sous le couvert du Djéli Théâtre d’Abidjan et ne pas être en mesure de leur trouver de quoi vivre. Pour faire face à leurs besoins quotidiens, il faut qu’ils aient de l’argent. On leur donne la latitude d’aller monnayer leurs talents ailleurs. C’est pourquoi, on verra beaucoup de comédiens qui jouent dans des téléfilms et dans des émissions télé. Mais lorsque nous avons besoin de ces artistes-là pour une création commune, ils répondent tous présents.

Nous connaissons Gbi de Fer, Gbazé Thérèse. Quels sont les autres noms que le Djéli théâtre a produits ?
Au commencement de la troupe, il y avait Jimmy Danger (Ibo Laurent), c’était le premier d’ailleurs. Il y a eu Gaston Jupon qui est toujours-là. Nous avons aussi Djemi, Prince Bill et Ataho Bernard qui se portent à merveille. Tous les acteurs sont-là, à part ceux qui sont décédés. Paix à leurs âmes. Je veux parler de Vieux Kokorê et de Chantal. Même Bulldozer, c’est moi qui l’ai détecté. J’étais un jour de passage à Marcory. J’ai vu un monsieur costaud qui était arrêté devant une villa. Et j’ai dit à Prince Bill de l’appeler. Il est venu et a accepté d’embrasser le métier de comédien qui lui réussissait bien. Hélas, Dieu l’a rappelé.

Que réservez-vous à vos invités le 16 novembre à la salle François Lougah du Palais de la Culture ?
Je ne sais pas tellement raconter des histoires. Je ne dis pas que ceux qui le font ne sont pas bons. Ils ont un talent. Chacun de nous a un talent. Celui qui peut faire du mono théâtre a un talent. Ce 16 novembre, ce sera une création collective bien ordonnée et agencée qui donne lieu à une pièce de théâtre. C’est-à-dire qui a un début et une fin. Pour cela, vous verrez un spectacle de 2 heures, dont les idées se suivent. J’aimerais donc que les populations viennent pour voir un art total et une pièce respectable. C’est-à-dire avec un grand décor, de beaux costumes et des belles lumières.

Pourquoi le nom ‘’Djéli’’ ?
C’est Jimmy Danger qui a proposé Djéli. Il a affirmé qu’il avait vu cela quelque part et que Djeli signifie griot. La petite sœur de Kader Ndao, Maïmouna, jouait avec nous. Elle nous a demandé d’adopter cette appellation. A cette époque, c’est elle qui nous finançait. Et c’est comme ça qu’on a gardé ce nom. Après, on a collaboré avec Diallo Ticouaï et le Soleil de Cocody. On a aussi travaillé avec un ami, Séri Philippe. Eux, ils jouaient au Zoukougbeuli et nous au Djeli, mais c’étaient des troupes sœurs. On a beaucoup voyagé ensemble.

Pouvez-vous nous raconter votre carrière en quelques lignes ?
Le Djeli théâtre a 25 ans. J’ai 30 ans de pratique artistique. J’ai commencé au collège moderne de San Pedro. Après, j’ai créé le Guesabo Théâtre avec Baboté François, paix à son âme, puis j’ai collaboré avec Assandé Fargas et le N’zassa théâtre. J’ai également collaboré avec Asso Wognin, Mansa. Ensuite, je suis allé au Dadica Théâtre avec Fernand Dadjé. Après quoi, la troupe a cessé ses activités et on a créé le Djeli Théâtre d’Abidjan.

Pensez-vous qu’investir aujourd’hui dans une bonne production peut être payant ?
C’est absolument rentable. Une grande production théâtrale peut intéresser le public ivoirien. Au Burkina Faso et au Sénégal, on fait beaucoup le théâtre. Pareil pour le Togo et le Bénin où il y a de nombreux festivals de théâtre. La Côte d’Ivoire est le seul pays qui est en retard. On ne fait rien du tout et on pense qu’on est au-devant de tout. Imaginez, un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a été le premier à produire un film, est aujourd’hui dernier lors des classements au Fespaco. Je vous le dis, l’art est bien vivant en Côte d’Ivoire, mais c’est difficile de créer. Conséquence, de grands créateurs ivoiriens ont été contraints de s’exiler. Momo Ekisi est en Allemagne, Assandé Fargas se trouve au Burkina, Alexis Don Zigré au Niger et j’en passe. C’est une triste réalité. Sur place, nous sommes tous obligés de nous débrouiller dans les petits espaces. Voilà ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui.

Est-ce que la Côte d’Ivoire a encore des scénaristes ?
Oui il y en a, mais au niveau de la production, il y a des problèmes. Quand tu fais un scenario, tu es confronté à des problèmes de financement. C’est difficile parce que quand tu collabores avec des personnes qui ne savent rien de ton métier, ils estiment que tu es exigent quand tu leur fais des remarques. Ils pensent même des fois que tu deviens fou. Regardez une dame comme Akissi Delta. Aujourd’hui, toute la Côte d’Ivoire est fière d’elle. Elle a eu une montée fulgurante. Mais quel calvaire n’a-t-elle pas vécu ? Tu vas déposer une demande de création, on te sort des papiers à fournir et quand tu regardes la liste, tu es déjà découragé. Si tu le fais, tu comprendras qu’en fait, on voulait juste que tu abandonnes.

Malgré les difficultés, vous êtes resté dans le théâtre ?
Je n’ai pas le choix. Je suis resté dans le théâtre grâce à l’apport de personnes de bonne volonté. C’est d’ailleurs pourquoi, je ne cesserai jamais de remercier un homme comme feu Camara H. Lorsqu’on a créé notre troupe, il fallait s’affilier à la Fédération nationale de théâtre dirigée par Pierre Ignace Tressia. On n’avait pas d’argent pour payer les frais de notre affiliation. C’est lui qui l’a fait pour nous. Lors de cette célébration, nous allons lui rendre hommage. Nous allons rendre également hommage à l’ex-maire de Yopougon, Doukouré Moustapha, qui nous a également aidés à nos débuts. Sans ces personnes, nous n’en serions pas là aujourd’hui ? Les membres de la troupe et moi n’avions rien. Nous n’exerçons aucun autre métier. Quand je vois aujourd’hui comment nous avons évolué, je suis fier de mes compagnons. Si on s’était découragé, on n’aurait pas pu atteindre les résultats que vous voyez aujourd’hui. Nous continuons de préserver notre métier pour vivre décemment de notre art.

INTERVIEW REALISEE PAR BLEDSON MATHIEU
Collaboration : Cheickna Salif, Edouard Koudou et Marie-Ange Akpa