Rwanda: Peines et espérances des étudiants ivoiriens

Malgré les difficultés, les étudiants ivoiriens sont contents d'être en terre rwandaise.
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Rwanda: Peines et espérances des étudiants ivoiriens

Ikaze ! ikaze ! Bienvenue en kinyarwanda (la langue nationale au Rwanda), nous lance un jeune homme en T-shirt noir et jeans bleu. Lorsqu’il décline son identité, ô agréable surprise, c’est un compatriote, un étudiant ivoirien venu nous accueillir à l’aéroport international de Kigali pour nous conduire à l’hôtel. Adjoumani Kobénan, 23 ans, s’est vu confier cette tâche par les organisateurs du Ceo Forum (25 et 26 mars 2019), une rencontre à laquelle nous avions été invitée par le Groupe Jeune Afrique média.

Il est 11 heures, heure locale (9 heures Gmt), à bord du véhicule de type 4x4 qui nous mène à l’hôtel, nous sommes subjuguée par la beauté de Kigali, la capitale rwandaise : une ville d’une propreté irréprochable, aux rues bien tracées et bordées d’arbres ; de fleurs de toutes sortes et de toutes les couleurs (bleu, rouge, jaune, violet, mauve, orangé, blanche…). De part et d’autre de ces avenues, se dressent avec fierté d’imposantes bâtisses futuristes… Le spectacle est simplement impressionnant !

25 ans après le génocide, le Rwanda, petit pays d’Afrique de l’Est, de quelque 12 millions d’habitants, a fait des pas de géant sur la route du développement. Difficile de trouver des sachets plastiques et autres ordures jonchant les rues. La raison en est qu’au pays du Président Paul Kagame, la discipline est de fer. Les motocyclistes portent tous des casques.

Dans cette ville très coquette réside une forte communauté d’étudiants ivoiriens inscrits à l’African Leadership University, un établissement qui forme les leaders africains de demain pour développer et transformer l’Afrique dans tous les secteurs d’activité. Les filières qu’on y trouve, à savoir l’entrepreneuriat, le leadership, le management, etc., répondent à cet objectif.

Adjoumani Kobenan, notre guide circonstanciel très chaleureux, vit dans ce pays depuis plus de deux ans. Il nous fait savoir qu’en plus de la barrière linguistique, les étudiants rencontrent d’autres difficultés au niveau de l’obtention des stages, des logements. Il s’est d’ailleurs proposé de nous conduire dans cette université pour nous imprégner des réalités.

Au cœur des réalités

Il est 12 heures, heure locale (10 heures Gmt), ce 26 mars 2019. Nous sommes bel et bien à l’African Leadership University. Elle est située au cœur de la capitale, dans un environnement sain et écologique. Dans cet établissement, les études coûtent 4 000 dollars (2 millions de Fcfa) environ par an pour une formation de trois à cinq ans. Ce sont des Ivoiriens enthousiastes et heureux de retrouver des compatriotes que nous avons rencontrés.

Francis Eboh, étudiant boursier en licence, explique les raisons qui l’ont motivé à aller étudier dans ce pays cité en exemple sur le continent en termes de progrès. « La manière dont les études se déroulent est vraiment spéciale. Nous faisons beaucoup de pratique ; chaque année, nous avons l’opportunité d’aller en stage dans n’importe quel pays. Soit c’est nous-mêmes qui cherchons ou c’est l’université qui le fait. Après la licence, nous avons 12 mois de stage qui nous permettent d’être compétitifs sur le marché de l’emploi devenu aujourd’hui très rude en Afrique. Ce qui est différent du système ivoirien », a-t-il confié.

Même si ce jeune reconnait la qualité de la formation, force est de reconnaître qu’il est difficile de trouver un stage ; que ce soit en Côte d’Ivoire ou au Rwanda. « La difficulté première est la recherche de stage pour valider l’année. Et comme nous sommes à l’étranger, pour avoir un stage, c’est difficile. Il en est de même en Côte d’Ivoire, notre pays. Ici, c’est la promotion de l’entrepreneuriat ou les jeunes Rwandais d’abord. Nous nous battons comme nous pouvons », a-t-il expliqué avec mélancolie. Idem pour le jeune Adjoumani qui a bien voulu nous partager son expérience.

« Je devais faire un stage. Pour cela, j’ai déposé mon dossier à l’Agence emploi jeunes ; le processus a été long mais on a tout fait pour avoir un stage non rémunéré en Côte d’Ivoire. En fin de compte, l’université a pu trouver une opportunité pour moi en Afrique du Sud. Mais là, le billet d’avion est à ma charge tout comme l’argent de poche. J’avoue que ce n’est pas facile. Certains étudiants sont amenés à faire des stages hors du Rwanda, soit à Dubaï, soit en Ile Maurice, etc. » L’étudiant ivoirien suggère que les stages soient rémunérés pour leur faciliter la tâche.

Difficile de se loger…

Pour les étudiants non boursiers, la question du logement reste un vrai casse-tête. Le coût du logement étant estimé entre 300 et 400 dollars, (150 000 à 200 000F cfa), des étudiants sont contraints de faire de la co-location. « Ce n’est pas facile de trouver des maisons moins chères et proches de l’établissement. Nous nous mettons donc à 5 ou à 6 pour prendre un logement. La scolarité coûte 4000 dollars par an », renchérit Assana Coulibaly, étudiante en environnement. Elle déplore que les bourses d’État prennent souvent du retard.

Quant aux étudiants envoyés par leurs parents, ils dépendent totalement de ces derniers qui doivent consentir d’énormes sacrifices pour payer les frais de scolarité, la nourriture, le déplacement et l’hébergement. Pour soulager un tant soit peu leurs parents, certains étudiants donnent des cours ou exercent de petites activités génératrices de revenus. Ces activités parallèles aux études ne manquent pas justement d’impacter négativement sur leurs résultats scolaires.

La barrière linguistique

Au pays des Mille collines, la langue nationale est le kinyarwanda. De nombreux jeunes Ivoiriens ne comprenant un traître mot de langue locale voient donc en cet essentiel instrument de communication un véritable obstacle à leur intégration. Difficile donc pour eux de participer à des débats avec leurs frères Rwandais pour comprendre le système local. « Nous venons d’un pays francophone, alors que le Rwanda est devenu, depuis quelques années, anglophone. En outre,  vu que nous ne comprenons pas non plus la langue locale, il est vraiment difficile de s’intégrer ici », fait savoir Assana Coulibaly.

Clin d’œil aux autorités ivoiriennes

Au Rwanda, les jeunes innovent, créent leurs propres entreprises, des start-up. Les étudiants ivoiriens veulent  en faire de même : mettre leur savoir-faire au profit de la Côte d’Ivoire. Tous affirment avoir foi en leur pays. Mais ils ne demandent qu’une chose aux autorités ivoiriennes : être en relation avec les acteurs du secteur privé ivoirien.

« Nous étudions le leadership, l’entrepreneuriat, nous voulons connaître le climat des affaires, et être en contact permanent avec le secteur privé ivoirien. Nous avons des projets, et voulons mettre notre savoir-faire au service de la Côte d’Ivoire. Grâce au Rwanda qui est un modèle de développement réussi, nous avons eu des compétences particulières, et des capacités pour créer de la richesse. Nous voulons développer la Côte d’Ivoire », indique, au nom des étudiants rencontrés, N’Guessan Kangah, 23 ans. Ceux-ci souhaitent également la mise en place d’un établissement comme celui de l’African Leadership University en Côte d’Ivoire pour que les étudiants ivoiriens soient compétitifs tant sur le marché ivoirien qu'africain.

EMELINE PEHE AMANGOUA
envoyée spéciale au Rwanda


Heureux de l’expérience rwandaise

Malgré les difficultés, les étudiants ivoiriens affirment être assez bien intégrés et contents d’être en terre rwandaise. « Ils sont accueillants dans tous les domaines ; j’ai été sélectionné pour être volontaire et participer à la conférence internationale du Next Einstein forum Kigali, en 2018 où j’ai travaillé à l’enregistrement et l’accréditation. Je ne suis pas Rwandais, mais j’ai été sélectionné. C’est facile de s’intégrer, si on répond aux normes », avoue Adjoumani.

Cet avis est partagé par des étudiants rwandais. « Je pense que mes amis Ivoiriens apprennent beaucoup de notre pays qui a réussi son développement. Les Ivoiriens sont formidables. Mon souhait est qu’ils soient utiles à leur pays, aux entreprises ivoiriennes pour y développer le savoir-faire rwandais », espère Jane K, étudiant rwandais.

EPA


Plaidoyer pour l’ouverture d’un consulat ivoirien

« Nous plaidons pour l’ouverture d’un consulat à Kigali. L’une des fonctions premières d’un consulat est de protéger la communauté », c’est le cri du cœur d’Esse Wognin, président de l’Association des étudiants ivoiriens à l’African Leadership University. Il fait savoir que ses compatriotes sont obligés d'avoir recours à la République démocratique du Congo (pays frontalier du Rwanda) pour un simple papier ; ce qui occasionne de grosses dépenses comme l’achat du billet d’avion.

Conséquence : certains étudiants n’ont pas de papiers. « Certains avaient perdu leur passeport l’année dernière. Ils étaient donc obligés de s’adresser à l’ambassade du Congo pour avoir un laissez-passer afin de pouvoir rentrer en Côte d’Ivoire. Évidemment, ces démarchent leur coûtent cher. Pour résoudre ce problème, un consul a été nommé. Mais depuis, lors nous attendons. Vivement qu'il prenne fonction pour nous aider sur le plan administratif ».

EPA