Tuberculose: Quand les enfants sont “victimes” des parents

Tuberculose: Quand les enfants sont “victimes” des parents

S.K, mère de deux enfants dont le dernier a deux ans, est atteinte d’une tuberculose pulmonaire. Ce lundi 15 octobre, il est 7 heures, elle est déjà sous le préau du centre antituberculeux d’Adjamé. Adjacent au marché gouro de cette commune commerciale, ce centre de dépistage et de traitement de la maladie, accueille, par semaine,  plus de cinq cent  malades. Cette jeune dame de 25 ans porte son petit garçon de deux ans dans ses bras quand celui de cinq ans est assis à ses côtés, sur le banc. Visage  osseux, marqué par la douleur, d’ossature frêle, visiblement fatiguée,  S.K tousse constamment. Elle tient une pochette sur le nez et un gobelet en main.

Des mesures de précaution respectées sur instruction des agents de santé de ce centre, d’autant plus que les personnes atteintes de cette maladie toussent, éternuent ou crachent constamment, répandant ainsi les germes de cette pathologie dans l’air. Il suffit d’en inhaler une infinitésimale quantité pour être infecté. « Mon fils de cinq ans a été contaminé, celui de deux ans suit un traitement bien que n’ayant pas la maladie. Au début, j’avais négligé cette  toux, mais  j’ai fini par consulter   un tradipraticien sans succès. Par la suite, j’ai constaté que mon fils avait une forte fièvre, perdait l’appétit et du poids, maigrissait, devenait moins réactif. Après l’examen du crachat, il a été déclaré atteint de  tuberculose », témoigne S.K.

Contrairement à elle, M. H, rencontrée sur les lieux, ne fait pas la maladie. Mère d’un petit garçon d’un an, elle vit avec son père qui, lui, souffre de cette maladie infectieuse depuis trois semaines. Sur instruction du médecin qui suit son père, elle est là ce matin, sous le préau, attendant les agents de santé pour prendre des médicaments en vue de prévenir la maladie et pour elle-même et  pour son fils. « Etant donné que la tuberculose est très contagieuse, le médecin a souhaité que nous soyons sous contrôle médical, pendant environ six mois ou davantage jusqu’à ce que son père soit totalement guéri, et la vie de mon enfant soit sans danger », a-t-elle révélé.

En effet, les parents contaminés sont un risque pour leurs enfants. Cependant, le diagnostique n’est pas du tout évident chez ces derniers.

Comment le diagnostic se fait chez l’enfant

Retrouver  la tuberculose infantile, n’est pas aisé, d’autant plus  que l’enfant n’a pas la facilité de cracher comme un adulte.  « Il faut aller avec d’autres types d’exploration et ne pas se limiter au simple examen de crachat. Dans le cas de l’enfant, nous recommandons un tubage gastrique, c’est-à-dire qu’on fait entrer un tuyau dans l’estomac de l’enfant pour y recueillir du crachat en aspirant avec une seringue placée au bout du tuyau. Ce n’est pas toujours facile. Cet examen  nécessite un certain nombre de conditions à remplir. Les agents de santé  s’ils ne la recherchent pas minutieusement peuvent passer à côté d’une tuberculose pensant à une toux ordinaire», fait savoir Dr Diaby Moustapha, médecin au Programme national de lutte contre la tuberculose.

L’un des meilleurs moyens de détecter cette maladie, c’est de faire un interrogatoire aux parents de l’enfant, s’intéresser à son entourage pour voir s’il est en contact avec un tuberculeux, s’assurer qu’il a été vacciné au Bcg à sa naissance et  que le contrôle de ce vaccin a été fait. C’est pourquoi, l’une des priorités du Pnlt est de former les médecins, pédiatres, sages-femmes, et autres infirmiers, pour qu’ils détectent ces signes. « S’ils ne sont pas bien formés, les agents de santé peuvent penser à d’autres maladies et prescrire d’autres médicaments alors que c’est la tuberculose», a-t-il laissé entendre.

Attention à la négligence !

Chaque année, de nombreux enfants meurent de la tuberculose à cause de la négligence de leurs parents. Qui, au lieu de faire suivre leur progéniture au centre antituberculeux, préfèrent s’orienter vers les lieux de prière, les tradipraticiens, ou faire de l’automédication. C’est cette triste réalité qu’a connue le petit Y.Z, dont le père, croyant avoir affaire à un mauvais sort, a eu recours à un tradipraticien. Convaincu du contraire, il s’est résolu à se rendre dans un centre de prise en charge, mais il déjà trop tard. L’enfant en est décédé. Raison pour laquelle, le Dr Diaby Moustapha invite les parents à la vigilance et à signaler tout cas de toux allant au-delà de deux semaines.

«Cette maladie est due à un microbe qu’on appelle Bacille de Koch (Bk). Ce n’est ni un sort, ni l’œuvre du diable. Si elle est dépistée tôt, et que vous prenez correctement le traitement, selon les prescriptions des agents de santé, vous en guérissez au bout de 6 mois. Mais si la maladie est vue tardivement ou que vous ne prenez pas les médicaments comme il le faut, vous pouvez développer des complications voire en mourir » fait-il savoir. Certains malades arrêtent, par négligence également, de suivre leur traitement quand ils se sentent mieux au bout de six mois.

Or, interrompre prématurément son traitement favorise au contraire des rechutes et le développement des formes résistantes de la maladie. « Le premier environnement d’un enfant, c’est la cellule familiale. Si par négligence, un patient qui a des enfants arrête de prendre ses médicaments, il peut en mourir et mettre la vie de son entourage en danger», avertit Dr Diaby.

EMELINE PEHE AMANGOUA


Le traitement en six mois et gratuit

Comme chez les adultes, le traitement de la tuberculose chez l’enfant, ne dure que six mois et est gratuit. On peut guérir de cette maladie à 100%. La tuberculose infantile, est guérissable à condition de venir tôt à l’hôpital, et de prendre correctement les médicaments ».

C’est l’appel lancé par le Dr Rigobert Gbitry, médecin chef au Cat d’Adjamé. Il assure que c’est le Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, en partenariat avec le gouvernement de Côte d’Ivoire, qui finance les soins des patients. «La radio est gratuite, l’examen de crachat également. Tout ce que nous demandons aux parents, c’est de venir avec leurs enfants pour le traitement jusqu’à ce qu’ils guérissent. Seul le médecin autorise l’arrêt des prises de médicaments».

A propos des ruptures de médicaments, le Dr s’est voulu rassurant. «Chaque centre qui fait la prise en charge est sensé avoir un stock de sécurité d’au moins trois mois en son sein, au-delà du stock en cours de distribution, pour ne pas être en rupture. Au Programme national  de la  lutte contre la tuberculose, il y a un stock de sécurité d’au moins six mois».

À l’en croire, il peut avoir un surstock dans certains centres et un sous-stock dans d’autres.  Ce qui est parfois dû à des problèmes de régulation interne. Mais, insiste-t-il «il ne s’agit pas, de rupture de médicaments en termes de disponibilité ».

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La Côte d’Ivoire enregistre des avancées

La Côte d’Ivoire a enregistré de grandes avancées dans la lutte contre la tuberculose, selon le Dr Kouakou Kouakou Jacquemin, directeur coordonnateur du Programme national de lutte contre la tuberculose (Pnlt). Le taux de succès du traitement est passé de 68% en 2001 à 83 % en 2017.

À l’en croire, ces avancées se caractérisent,  par la gratuité du traitement, l’acquisition de nouveaux outils permettant un diagnostic plus facile chez les enfants, ainsi que la décentralisation et la réhabilitation des centres de prise en charge dont le nombre est passé de 57 en 2000 à 300 en 2018. Mieux, le pays est partie prenante de deux projets internationaux. À savoir, le projet Cap Tb, développé par Egpaf, lequel vise à renforcer la détection de la maladie selon les procédures habituelles, et le projet Tb Speed de Pac-Ci qui se focalise sur la mise en place du Genexpert, permettant de diagnostiquer plus aisément la tuberculose infantile.

Toute chose qui permet aux agents de santé de détecter de nouveaux cas chez l’enfant. « Nous avons plus de 5% de taux de détection de la maladie par rapport à l’année 2016. Globalement, il y a eu beaucoup d’avancées. Avant, c’était le microscope ordinaire qui était utilisé avec la technique du Zeel-Nielsen. Aujourd’hui, nous avons évolué avec la technique à l’auramine qui permet de voir plus facilement le Bk. La Côte d’Ivoire a la capacité de faire le diagnostic de la tuberculose multirésistance qui n’épargne pas non plus les enfants. À ce jour, 24 centres antituberculeux du pays disposent du Genexpert pour faire le diagnostic de la tuberculose multi résistante », s’est réjoui le directeur coordonnateur.

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Une armée de bénévoles en action

La lutte contre la tuberculose n’est pas l’affaire des seuls agents de santé, des autorités. Les Ong y jouent un rôle très déterminant. En témoigne la présence des agents de santé communautaire déployés au Cat d’Adjamé qui reçoit une subvention du Fonds mondial de la lutte contre la tuberculose.

Ces bénévoles (hommes et femmes) sont formés à la lutte antituberculeuse, à l’observance et au contrôle de la prise des médicaments. Ils rendent aussi régulièrement  visite aux malades à leurs domiciles.

« Nous suivons plus de soixante-dix malades du Cat d’Adjamé. Nous allons dans les familles pour constater s’il y a  des gens qui  toussent afin qu’ils fassent leur visite. Dans le cas de la tuberculose infantile, la sensibilisation se fait au niveau des parents. Nous vérifions avec eux  si effectivement les dates de contrôle des visites sont respectées », explique Honozo Koré Séverin, agent communautaire à l’Ong flambeau.

Quant à Souhélé Aka Jules, agent communautaire Ong Fraternité tous les matins à 7 heures, pendant 30 min sous le préau, il est déjà là pour sensibiliser sur les modes de transmission de la maladie, le  régime alimentaire, le suivi du traitement et au respect des rendez-vous, ainsi que  des conseils hygiéniques à suivre au cours du traitement  de cette maladie.

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