Les femmes dans les industries extractives: C’est pénible, mais elles tiennent bon

Les femmes sont de plus en plus présentes dans les industries extractives.
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Les femmes dans les industries extractives: C’est pénible, mais elles tiennent bon

Quinze mars 2019. Une semaine après la journée internationale dédiée à la femme.Nous sommes dans la région du Lôh-Djiboua, dans le département de Divo et précisément dans la commune de Hiré. à 230 km d’Abidjan. Il est 10h30, lorsque la cité minière nous ouvre ses portes, après quatre heures de route depuis la capitale économique.

Dans cette localité, deux multinationales se partagent l’exploitation aurifère. Afrique Gold, détenteur des mines d’or de Bonikro et Hiré et Endeavour Mining, qui exploite celle d’Agbaou. Doris Okoli, spécialiste senior de la communication d’Afrique Gold, fait office de guide. Nous empruntons une route non bitumée, mais praticable menant à la fosse d’Akissi-So, sur la mine d’Hiré. C’est ici que se fait l’extraction du métal jaune. Sur cette mine à ciel ouvert, de gros engins impressionnent d’emblée : des excavateurs et des pelleteuses géantes plongent leurs puissants bras métalliques dans le sol, pour en extraire de gros tas de terre ocre, qu’elles déversent lourdement dans des camions ; les fameux dumpers de type Caterpillar, qui ont plus de 5 mètres de hauteur avec des pneus de plus de 2 mètres. Vraiment impressionnants !

Ces mastodontes s’ébranlent ensuite lourdement les uns après les autres, pour d’interminables rotations. Sur le chemin, des montagnes de roches visibles de part et d’autre indiquent que des travaux herculéens ont été effectués sur le site, à la recherche du précieux métal, l’or.

Les femmes en action

Hommes et femmes s’y activent de jour comme de nuit. 24 heures sur 24. Des femmes ? Bien sûr ! Elles y sont bel et bien présentes. Rachel Kogbo, Marina Seisa, Véronique Koffi, Viviane Taho, pour ne citer que celles-là, rivalisent d’ingéniosité et d’ardeur avec les hommes dans cet univers considéré à tort ou à raison comme un domaine réservé à la gent masculine.

Depuis 5 heures 30, elles sont sur pied. Chaussées de bottes, casques vissés sur la tête, paire de lunettes de protection, ces jeunes dames qui tiennent la dragée haute aux hommes, sont admirables dans leurs blousons haute visibilité orange posés sur leurs pantalons. Souriante, Rachel Kogbo, 36 ans, travaille dans cette mine depuis plus de 10 ans. « Je commence le travail à 7 heures pour descendre à 19 heures avec une heure de pause. Pendant deux semaines dans le mois. Je suis conductrice de machine », dit-elle.

Quoique enthousiaste, elle reconnaît que ce travail est loin d’être une partie de plaisir. « Je suis conductrice de machine de forage. Ce qui est compliqué, c’est la manœuvre de ces engins lourds. Ce n’est pas aisé, mais, on finit par acquérir les techniques. C’est un métier très prenant, comme celui des conductrices qui font des services de nuit comme leurs collègues hommes. Mais une fois qu’on est piqué par le virus des mines, difficile de changer de secteur », soutient la jeune dame. Et Viviane Taho, conductrice également d’engin, d’ajouter: « J’ai commencé à travailler dans les mines en 2009. J’avais peur de conduire le Dumper Caterpillar, tellement l’engin est énorme. Cette machine à une hauteur de 5 mètres avec des pneus. Ce travail demande de la concentration et beaucoup de courage ».

La fosse où ces femmes travaillent, (Pit en anglais) a une profondeur de plus de 115 mètres, et une forme elliptique. C’est énorme, ça donne le vertige, vue de là-haut, et la chair de poule à tout profane qui s’y approche. « Nous avons surmonté cette peur. C’est dans cette fosse que nous conduisons les machines pour le transport des roches. Il y a constamment de nouveaux challenges, nous travaillons à les relever », poursuit Viviane Taho.

Dans cette mine, il n’y a pas que des conductrices de machines, on y trouve également des femmes métallurgistes. Elles opèrent dans le processus de récupération de l’or tout en faisant fonctionner les circuits de production du métal précieux. C’est le cas de Natacha Sarret. Nous avons rencontré cette jeune fille de 32 ans sur la mine de Bonikro. Elle partage son expérience. « C’est un travail physique ; il demande beaucoup d’endurance. Nous avons un objectif bien précis de lingots d’or à produire. Ce qui n’est pas facile vu que la teneur en minerai n’est pas forte à Bonikro », fait-t-elle savoir.

Avant d’expliquer le processus d’obtention de l’or. à l’en croire,  l’obtention de l’or commence par l’identification d’un gisement.

Une fois le gisement découvert, les blocs rocheux contenant le minerai sont extraits et stockés pour un traitement particulier, dans l’objectif de ne récupérer que les substances recherchées. « L’exploitation industrielle s’intéresse à l’or disséminé dans les roches, en proportions rentables (gramme d’or par tonne de bloc rocheux; g/t). Pour ce faire, les blocs rocheux de grandes tailles (dans l’ordre du mètre) doivent être fragmentés et concassés puis broyés dans l’objectif d’exposer l’or disséminé qui sera récupérer par des méthodes diverses de traitement (lixiviation et absorp- tion). Le métal précieux sera par la suite concentré pour obtenir des lingots d’or ayant une pureté comprise entre 80 et 92%, ou plus selon l’étape de l’affinage. »

Face aux préjugés

Les femmes sont fragiles, incapables de supporter la pénibilité du travail dans les mines ; elles ne sont pas endurantes… Autant de préjugés dont sont victimes les femmes dans ce secteur. « Nous étions quatre femmes parmi plus de cent hommes. Ils se moquaient de nous et disaient que nous ne serions pas en mesure de tenir pendant deux mois dans la mine. Nous avons pu relever le défi. Aujourd’hui, nous conduisons de grosses machines, et les fameux Dumpers, mieux que certains hommes qui en ont peur », raconte, avec un brin de fierté, Rachel Kogbo.

Dans ce métier, des phallocrates les poussent régulièrement au découragement. Ils tentent de les convaincre qu’elles ont fait fausse route, en venant travailler dans le secteur minier. « Quand je suis arrivée, certains collègues trouvaient que j’avais fait un mauvais choix en venant dans ce secteur parce qu’il y a du matériel lourd à soulever ; un exercice qui n’est pas à la portée des femmes. Mais des hommes ont dû abandonner et moi je suis encore à mon poste », a laissé entendre Natacha Sarret. à vrai dire, la ténacité, la bravoure, le dynamisme de ces femmes ne laissent personne indifférent. Après tout, les hommes reconnaissent à ces femmes leur courage. M. S, superviseur dans cette mine, est formel: « Sur cette mine, il n’y a pas de distinction entre les femmes et les hommes. En tant que superviseur, j’avais pensé qu’elles seraient incapables de conduire ces machines. Mais elles le font aussi bien que les hommes et nous sommes satisfaits d’elles ».

Faire carrière dans les mines n’est pas une sinécure pour les femmes, surtout qu’elles assument déjà d’énormes responsabilités familiales. Malgré tout, elles tirent leur épingle du jeu. D’ailleurs, Lawrence Manjengwa, directeur général de la mine d’or de Bonikro, reconnait la bravoure de ces femmes et ne manque pas de vanter leur mérite. « Ce secteur est dominé par les hommes, mais les femmes s’y intéressent de plus en plus. Leur nombre a progressé ; elles sont 55 femmes sur 500 employés, (soit un taux de 11% - Ndlr). Elles nous donnent entièrement satisfaction. Beaucoup hésitent encore, mais nous les encourageons à le faire », affirme le manager.

Loin de leurs familles

Laissant époux et enfants pour se consacrer à leur métier, ces braves dames disent ressentir quelquefois de la solitude. « Ma famille est à San Pedro. Compte tenu des contraintes du travail, je communique avec elle pendant mes heures de pause. Le travail demande beaucoup de concentration et je préfère ne pas communiquer pendant mon service », dit-elle, mélancolique.

Certaines profitent de leur jour de repos pour visiter leurs familles. Tandis que d’autres ont dû mener des démarches pour le rapprochement de leur conjoint. Celles qui n’ont pas de compagnon s’en trouvent quelquefois sur place. Car, ce lieu d’intense activité est également un endroit où se font des rencontres qui aboutissent à des mariages.

On y enregistre plusieurs couples. « J’ai rencontré mon mari sur le lieu de travail. C’est moi qui ai fait son entretien d’embauche quand il était en quête d’emploi. Aujourd’hui, nous nous sommes mariés », confie toute souriante Marie-Ange N’Guessan du département des Ressources humaines. Idem pour Viviane Taho. « Le père de mes deux enfants travaille sur la mine également. Nous nous sommes rencontrés sur ce site », dit-elle visiblement heureuse.

EMELINE PEHE AMANGOUA


7,8 % de femmes actives dans le secteur formel

Selon les statistiques du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (Gpmci), il y a 862 femmes sur les 10 750 emplois directs que compte ce secteur minier ivoirien en 2018. Soit 7,8 % de femmes actives dans l’industrie minière formelle. Pour Christine Logbo-Kossi, présidente du Réseau des femmes du secteur minier de Côte d’Ivoire (Femici), par ailleurs, directrice exécutive du Gpmci, ces chiffres se sont améliorés en dix ans.

S’appuyant sur la première étude faite par l’Agence d’études et de promotion de l’emploi (Agepe), aujourd’hui Agence emploi jeunes (Aej), la présidente soulignera que le taux de présence féminine était d’un peu moins d’un 1% en 2009. « Le secteur minier demeure contraignant pour les femmes. C’est un secteur qui exige beaucoup de technicité, de manipulation scientifique, car les mines ont une forte concentration technique; le cœur du métier représente 20% de l’activité minière. Aussi contraignant qu’il soit, ce secteur restera longtemps dominé par les hommes », explique Christine L-K. Et d’ajouter : « Les mines sont souvent situées dans des zones reculées et de surcroit dépourvues de toute commodité. La femme devant gérer la famille, vous comprenez qu’il lui est difficile de tout abandonner pour aller dans ces zones. C’est dire qu’il n’est pas aisé pour elles de concilier vie professionnelle et vie familiale ».

La présidente du Femici justifie, par ces raisons, la rareté des femmes dans ce secteur d’activité. C’est la raison pour laquelle elle ne manque pas d’encourager celles qui ont bravé ces obstacles. « C’est possible d’entreprendre une carrière dans les mines. Des femmes arrivent à y percer », affirme Christine Logbo-Kossi. Elle fait un plaidoyer auprès des autorités compétentes, des chefs d’entreprise du secteur ainsi que du ministère du Pétrole, de l’énergie et des énergies renouvelables.

« Il faut une bonne politique en faveur du maintien des  femmes dans ce secteur, surtout lorsque les sites sont en exploitation. Il convient de mettre en place un plan d’action pour intéresser les femmes aux métiers des mines, et voir comment les faire progresser dans leur carrière. C’est ce que le Réseau que nous dirigeons s’attelle à faire ».

Fondée en mars 2015, le Femici a pour objectifs de donner toute la place qui revient à la femme dans l’industrie extractive, sensibiliser les jeunes filles des lycées et collèges à embrasser les filières scientifiques et techniques pour qu’elles saisissent un jour les innombrables opportunités et métiers offerts par l’industrie minière en Côte d’Ivoire.

E. P. A.