Noé /Elubo : Mille et Une choses s'y passent chaque semaine

MILLES ET UNES CHOSES S’Y PASSENT CHAQUE SEMAINE
MILLES ET UNES CHOSES S’Y PASSENT CHAQUE SEMAINE
MILLES ET UNES CHOSES Su2019Y PASSENT CHAQUE SEMAINE

Noé /Elubo : Mille et Une choses s'y passent chaque semaine

Noé /Elubo : MILLE ET UNE CHOSES S’Y PASSENT CHAQUE SEMAINE

Il est 11h00 mn ce samedi 23 septembre. Plusieurs commerçants de friperies, arrêtés sous un soleil de plomb, crient à tue-tête pour appeler les clients. Alors que des haut-parleurs d’une discothèque distille à fond la caisse de la musique ‘’high life’’.

De l’autre côté de la voie marchande, des vendeurs de lingeries féminines hèlent les passantes pour leur présenter les derniers modèles. Un vendeur de jouets pour enfants, lui, posté devant son magasin essaye de vendre plusieurs articles à un officier de la douane ivoirienne. Alors qu’apparemment celui-ci ne veut qu’une voiturette pour son fils de 3 ans qu’il tient par la main.

Fasciné par un petit vélo, le bambin s’y agrippe de toutes ses forces. Tandis que son père discute le prix de la voiturette avec le vendeur. Voulant s’en aller après avoir conclu l’affaire, son fils le  retient tout en pleurnichant. Il veut aussi le vélo. Son père refuse. Il lui explique qu’il a déjà acheté la voiturette qu’il voulait.

L’enfant qui n’entend pas les choses de cette oreille, sanglote de plus belle et sollicite le soutien de sa mère. Qui, jusque-là, admirait des poupets qu’elle veut offrir à sa fillette de 9 mois.  « Je t’avais prévenu. Il ne fallait pas l’emmener ici », indique la mère à l’endroit du père. 

Après une quinzaine de minutes de négociations, le douanier et sa petite famille quittent le commerçant avec la voiturette et le vélo. Au grand bonheur de l’enfant et certainement du...commerçant.

Non loin de là, plusieurs conducteurs de véhicules immatriculés à Abidjan ont du mal à trouver une place dans les parkings autorisés pour les stationnements.

Ces différentes scènes se déroulent sur la place du marché hebdomadaire d’Elubo, un village ghanéen situé à la frontière du Ghana et de la Côte d’Ivoire, du côté d’Aboisso. Malgré la canicule  de ce jour, le marché grouille de monde, essentiellement  des Ivoiriens.

Selon les habitués des lieux, c’est le même constat tous les mercredis et samedis, jours de marché. « La veille des différentes fêtes, on peut enregistrer de l’affluence tous les jours de la semaine », explique un policier ghanéen  en poste à Elubo.

Qu’est-ce qui peut bien attirer, chaque semaine, ces nombreux Ivoiriens et autres populations vivant en Côte d’Ivoire dans cette localité ghanéenne, semi- urbaine, d’environ 4000 habitants ?

En effet, avant d’accéder Elubo, il faut d’abord passer par Noé, le poste frontalier ivoirien. Ce village dispose aussi d’un petit marché hebdomadaire où on n’y trouve principalement  que les produits vivriers. Cependant, il est moins animé que celui d’Elubo qui se tient tous les mercredis et samedis, et qui attire le plus de monde.

 

La ruée des Ivoiriens vers le marché

À Elubo, divers types de transactions commerciales ont cours pendant les marchés hebdomadaires. Elles portent sur plusieurs articles exposés aussi bien dans les magasins qu’aux alentours du marché, sur des étals et / ou à même le sol.

Il y a certes les traditionnels articles du Ghana dont les Ivoiriens sont si friands : pagnes Kita, chaussures traditionnelles ‘’Assandrè’’, couvre-lits, serviettes de bain, etc. Mais il y a également des produits bien connus en Côte d’Ivoire, d’usage courant, proposés à des prix abordables. Il s’agit des produits cosmétiques, de la lingerie féminine, des boissons, etc.

En tout cas, de tous ces produits, les vins en carton restent les plus vendus. C’est que le carton de 12 vins se négocie entre 6500 Fcfa et 9 000 Fcfa selon les différentes variétés. En détail, il se vend entre 700 et 800 Fcfa. Alors qu’à Abidjan, la même boisson est vendue en détail entre 1000 et 1500 Fcfa.

« Chaque fin de semaine, je fais venir dans mon magasin plus de 1000 cartons de vins. Mais cela s’avère insuffisant. J’écoule toute ma marchandise le même jour », révèle dame Akouba Jeannette, une Ghanéenne vendeuse de vin en carton à Elubo. Avant d’ajouter que ses principaux clients sont des Ivoiriens de conditions sociales diverses ; venant aussi bien d’Abidjan et que de certaines villes de l’intérieur du pays.

Mme Akouba soutient également que pendant les périodes de fêtes, elle double ses commandes sur Accra.

À côté du vin, les produits cosmétiques sont très prisés. Les tubes de déodorants de 75ml vendus d’ordinaire à 1000 Fcfa sur le marché ivoirien sont échangés contre 500 Fcfa l’unité à Elubo. Soit une différence de prix de 50%.

Le coffret de défrisant pour cheveux, lui, s’achète dans ce premier village ghanéen à 2500 Fcfa. « Alors qu’à Abidjan, le prix d’achat est de 5000 Fcfa », commente Mlle Alphonsine M’bra.

Au dire de nombreux commerçants ghanéens d’Elubo, les Ivoiriens ont la réputation d’être de bons payeurs et de ne pas beaucoup marchander.

Mais, après tous ces achats,  il faut bien passer par les douanes pour sacrifier au »rituel » du dédouanement des articles. C’est là le hic. Parce que peu de personnes sont disposées à se mettre en règle vis-à-vis de la douane ivoirienne. Aussi, usent- t- elles de toutes les stratégies, même les plus inimaginables pour se retrouver à Abidjan sans dédouaner leurs marchandises.

L’une des techniques les plus prisées consiste à confier ses articles à l’un des nombreux passeurs professionnels qui proposent leurs services à tous les clients. « Ils traversent la frontière de jour comme de nuit en empruntant  les pistes villageoises  reliant le village d’Elubo à la ville d’Aboisso », relève un douanier. Avant de préciser que ces ‘’passeurs professionnels’’ disparaissent très souvent avec les articles des nouveaux  venus dans ce système.

Les commerçantes les plus avisées, empruntent des véhicules personnels de certaines personnes qui, du fait de leur fonction ou de leur qualité, ne sont pas soumis aux contrôles et autres tracasseries  des forces de l’ordre sur la route. En clair, ces personnes se font passer pour les propriétaires des marchandises. Une fois à Abidjan, le ou la vrai (e) propriétaire vient récupérer son colis. Le coût du service oscille, selon les habitués du coin, entre 35000 Fcfa et 50000 Fcfa ;  mais ce prix est fonction du volume et de la qualité des produits.

À côté du trafic de marchandises, prospère le trafic illicite de carburant qui semble ne déranger personne dans la région. Et une simple désapprobation de ce trafic par le nouveau venu, les non initiés,  ne manque pas d’irriter plus d’un habitant.

C’est que, les stations d’essence des villes du Sud Comoé font les frais d’une concurrence déloyale du fait du carburant  frauduleux provenant du Ghana. Le carburant du Ghana est très prisé par les chauffeurs de la région. Il provient  d’Elubo par le biais d’un réseau de trafiquants bien organisés.

Nombre d’observateurs et habitués des villages frontaliers de Noé et Elubo affirment qu’en dehors de son aspect de haut lieu de commerce entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, ces localités sont aussi de grands centres de plusieurs trafics illégaux.

 

Plaque tournante de la drogue

Elubo et Noé sont des pôles de migration, qui abritent ou voient passer les migrants internationaux. Beaucoup d’argent y circule, ainsi que la …drogue.

En tant que l’une des principales portes d’entrée de la Côte d’Ivoire, Noé est un important centre de transits et de transactions.

Plusieurs personnes rencontrées dans ce village frontalier reconnaissent que c’est un centre d’affaires mais aussi une place où se pratique intensément le  trafic de drogue. Il en  est de même d’Elubo

Cette situation s’est aggravée avec la crise militaro-politique qui secoue la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002. En fait, profitant du désordre qui règne en Côte d'Ivoire depuis la guerre, les trafiquants de drogue ont fait de ce pays, une plaque tournante du trafic en Afrique de l'Ouest. Aussi, leur itinéraire préféré est la frontière Noé–Elubo.

Ces localités qui comptent respectivement 5000 et 4000 âmes comptent 14 hôtels au total. En leur sein, se trouvent des bars dancing, où plusieurs  dealers et passeurs se rencontrent une fois la nuit tombée.

Le rapport 2005 du Comité interministériel de lutte anti-drogue (Cilad), dirigé par M. Ronsard Kouakou Yao ne dit pas autre chose. En effet, selon le document, ce sont 5 tonnes de cannabis, 20 kg de cocaïne, 12 kg d'héroïne et un demi-million de doses d'amphétamines qui ont été saisies en 2005 en Côte d’Ivoire. Et 70% de la drogue entre en Côte d'Ivoire par la région d'Aboisso, frontalière avec le Ghana.

Selon un policier chargé de la lutte contre les stupéfiants, en poste à Aboisso, les prises opérées ne représentent rien à côté de la drogue qui réussit à rentrer dans le pays à partir des nombreuses pistes villageoises.

Certains trafiquants de drogue empruntent la lagune Aby à partir de la frontière de Fombo, dans le département d’Adiaké, un autre poste frontalier entre le Ghana et la Côte d’Ivoire de la région du Sud-Comoé.

Une fois à Grand Bassam, en passant par le canal de Mondoukou, ils déchargent la drogue des pirogues et autres pinasses. Par la suite, ils chargent leurs colis dans des véhicules à destinations d’Abidjan. Où, ils s’organisent pour l’acheminement ‘’vers l'Europe et dans une moindre mesure, l'Amérique du Nord", soutient le coordonnateur du Cilad M. Ronsard Kouakou Yao.

Les agents des forces de défense et de sécurité de la région du Sud-Comoé pointent du doigt l’insuffisance de moyens adéquats pour la surveillance de nos frontières et de nos côtes.

Les spécialistes estiment que la Côte d’Ivoire doit se doter "de vedettes pour contrôler les 1.050 km de côtes sur le golfe de Guinée" et disposer aussi d'argent liquide pour payer les informateurs.

 

Terrain très  favorable… à la prostitution.

La pratique du plus vieux métier du monde connaît un réel succès dans les localités de Noé et d’Elubo.

Malgré leurs petites tailles, ces deux villages frontaliers comptent 14 hôtels. Les plus connus sont les Hôtels Tanoe et Matignon du côté de Noé en Côte d’Ivoire et les  hôtels Cocoville et Falun Hôtel du côté d’Elubo en territoire Ghanéen.

« Ces endroits servent de maisons de passe », affirme Justin Ekra, un jeune ivoirien très actif entre les deux côtés de la frontière. Il explique que très souvent les employés des hôtels et des bars font office d’intermédiaires entre les prostituées et les clients.

Ici, les « travailleuses de sexe » sont en majorité des Nigérianes, des Togolaises et des Ghanéennes. Il existe aussi des ivoiriennes, mais ces dernières se font le plus souvent discrètes.

«Toutes ces prostituées sont très mobiles et franchissent régulièrement les frontières, au gré du marché ou pour des raisons de discrétion », indique Martin Kodjo, un ami Ghanéen de Justin. Avant de préciser que les principaux clients de ‘’ces belles de nuits’’ sont les voyageurs en transit. Mais aussi… des forces de l’ordre en fonction à la frontière.

«Les ouvriers agricoles de l’entreprise agro-industrielle de palmier basée non loin d’ici sont aussi de fidèle clients. Ils viennent surtout les week-end », précise L. A, un employé d’un hôtel d’Elubo.

Selon lui, outre les locataires de maisons closes, certaines femmes mariées et commerçantes, jeunes filles du village et certaines femmes fonctionnaires, fréquentent ces lieux avec des personnes autres que leur compagnon habituel.

 Le hic, c’est que ces comportements à risque ne sont pas toujours accompagnés de mesures de protection. Et pourtant, depuis quelques années, un Projet de Prévention et de Prise en charge des Ist/Vih/Sida dans le Corridor de migration Abidjan-Lagos (Psamao) été initié avec le concours de l’Onu-sida et la Banque Mondiale, met à la disposition des villageois et des passants, des préservatifs.

 

Théodore Kouadio

Envoyé spécial à Noé et Elubo

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Pas moins chère qu’Abidjan.

Contrairement aux idées reçues, les articles vendus à Elubo ne sont plus abordables qu’à Abidjan. En effet, il ne faut pas uniquement se limiter aux prix d’achats de l’article pour faire les comparaisons.

Prenons l’exemple  d’un tube de déodorants de 75ml. Il est vendu à Elubo à 500 Fcfa et 1000 Fcfa à Abidjan.

À priori, le produit est plus abordable à Noé. Cependant, lorsqu’on prend en compte le coût du transport Abidjan/Elubo 7000 Fcfa au minimum—Si vous y allez en voiture personnelle, il vous faut au minimum 21 000 Fcfa de carburant-- et les autres tracasseries – vaccination et autres rackets pour traverser la frontière--on constate que le même article revient plus cher à un individu qui se déplace pour de petits achats à Abidjan.

À la vérité, pour tirer un meilleur profit d’un déplacement à Elubo, il faut effectuer des achats d’un gros montant.

Un douanier en poste à Noé dit la même chose quand il indique sous le couvert de l’anonymat que le marché d’Elubo est rentable pour les commerçants et non pour les particuliers.

T K