Développement communautaire: Quand l’argent de l’or crée la polémique

Développement communautaire: Quand l’argent de l’or crée la polémique

Dans les cantons Wata et Zego de la région du Lôh-Djiboua, précisément à Hiré, situé à 37 km de la ville de Divo, les relations entre les communautés villageoises, les autorités préfectorales et dirigeants des compagnies minières, ont été la plupart du temps tendues depuis l’exploitation de l’or dans cette localité du pays. De la mine d’or d’Agbaou à celle de Hiré en passant par la mine d’or de Bonikro, que de remous et tensions sociales. Et la tension est montée d’un cran, ces dernières années, avec l’avènement des Comités de développement local minier (CDLM), institués par l’alinéa 1 de l’article 124 de la loi n°2014-138 du 24 mars, portant Code minier de la Côte d’Ivoire. Précisons que les minerais sont extraits à Hiré et transportés sur environ 12 kilomètres pour être traiter à Bonikro.

A Bouakako, le village à qui a cédé ses terres pour la construction de la mine d’or de Hiré-exploitée par la société australienne Newcrest, les propos de l’adjoint au chef, Komenan Christophe, signalent déjà le malaise. « Si vous voyez de petites réalisations dans notre village, cela ne provient pas du CDML. Rien n’a été proprement dit encore fait pour notre village », affirme-t-il.  Les femmes sont du même avis que le notable. Kouassi Adjoua Lucie, la présidente de l’association l’exprime ainsi : « nous attendons toujours qu’on prenne en compte nos préoccupations ». Même son de cloche du côté du Gogobro, l’autre village ayant donné ses plantations pour la construction la mine de Bonikro, exploité par la même société. Yao Kodjo, le chef est sans équivoque. « Pour nous, le CDLM n’a pas encore commencé à travailler»,  dit-il.

D’une localité a une autre, le scénario est le même dans les neuf villages et campements visités sur les seize impactées par l’exploitation de la mine d’or de Hiré (1 commune, 6 villages et 9 campements).

Le procès-verbal

En poussant plus loin les investigations, le Procès-verbal de la réunion de l’Assemblée générale ordinaire relative à l’examen et l’adoption du bilan de gestion de l’exercice 2017, du CDLM de la mine d’or de Hiré, l’Arrêté interministériel n°640/MIM/MEMIS du 22 décembre 2015 portant  création, attributions et fonctionnement dudit CDLM, confirme des dires des villageois. A la page 5, il est écrit: « après une année, il n’y a pas eu d’activités au chapitre des investissements et donc les 92% du budget qui y étaient consacrés, n’ont pas été touchés car le Plan de développement  local minier (PDLM) qui est la boussole du CDLM n’était pas disponible ; or le CDLM a pour rôle la mise en œuvre du PDLM et donc pas de PDLM, pas d’investissement ». Cette Assemblée générale, faut-il le souligner, a été présidée par le préfet de la région du Lôh-Djiboua, Kouakou Assoman avec Okou Agoh, le directeur régional des mines et de l’industrie de Divo, comme secrétaire de séance. Qui a été assisté par Yao Boussou Pierre. Mais, qu’est-ce qui explique cette situation ?

Le nœud gordien

Le fond du problème se trouve dans la structuration du CDLM de Hiré.  En s’appuyant sur l’Arrêté interministériel, l’article 5 donne une idée précise de  la manière dont le CDLM doit être composé. Cet Arrêté stipule, en même temps, en son article 14 que : « le CDLM élabore et adopte un règlement intérieur et le soumet à l’approbation  du ministre chargé des Mines ».  C’est la base sur laquelle une Assemblée générale constitutive a été organisée, sous la houlette du préfet de région et certains cadres de la localité, le 1er avril 2017, la salle de mariage de la Mairie de Hiré. (Voir Encadré 1). Il en est ressorti la (re) organisation du CDLM de Hiré en deux grandes entités distinctes. L’Assemblée générale (AG), l’organe qui regroupe la quasi-totalité de personnes énumérées dans l’article 5. Mais, qu’est-ce qui a amené le président du CDLM à agir ainsi ?

Les témoignages convergent pour dire que l’ex-préfet de la région du Lôh-Djiboua, Kpan Droh Joseph, avait jugé le dispositif tel que prévu par l’article 5, trop lourd à gérer. C’est la raison pour laquelle un Bureau exécutif (BE), fort de 21 membres. « Il y avait un bureau quasiment prêt avant la tenue de l’AG, et c’est sur place que nous avions fait pression pour être dans ce bureau exécutif », témoigne l’un des membres. Douze personnes des communautés villageoises se sont alors hissées dans l’organe de direction et de gestion du CDLM. Plus deux commissaires aux comptes choisis sur place. Ce BE est composé de : « représentants de l’administration publique, des collectivités décentralisées et des villages et campements impactés », précise l’article 11 du Règlement intérieur dudit CDLM.

Aussi, faut-il relever qu’il a fallu près d’un an et demi après la signature de l’Arrêté interministériel (le 22 décembre 2015) avant que les choses ne commencent à bouger. En effet, c’est le nouveau préfet hors grade, Kouakou Assoman, qui a signé l’Arrêté n°33/P.DIV/CAB portant nomination des membres du CDLM de la mine de Hiré (le Bureau exécutif- NDLR), le 22 mai que 2017.

Conséquences directes

Certains ayants droits, notamment ceux des communautés impactées : «le chef de chaque village impactés (16 localités identifiées)  ou leur représentant ; une représentante des femmes de chaque village ; un représentant des jeunes de chaque village (article 5 de l’Arrêté interministériel », se voient exclus de l’instance décisionnelle.  Cette injustice irrite le chef du village de Gogobro. « Il y a aucun chef de village qui siège dans le bureau exécutif. Mais, que voulez-vous qu’on fasse devant tous ces hauts fonctionnaires ? », proteste Yao Kodjo. Et d’autres chefs interrogés sont plus qu’indignés. Eux, sont tous relayés au rang de membres de l’AG. Au même titre que les jeunes et les femmes qui se sentent également frustrer. Pour preuve, il y a aucune femme des communautés affectées par l’exploitation de l’or à Hiré présente dans le BE du CDLM.

Le président de la Mutuelle de développement de Hiré (MUDH), Dr Dago Célestin, lui, rejette carrément cette décomposition du CDLM. « Tout le dysfonctionnement réside dans le fait qu’un règlement intérieur vienne créer des organes que l’Arrêté interministériel ne prévoit pas. Ce n’est pas normal... Si la base est faussée, il va s’en dire que tout le processus va prendre un coup », dit-il. Et de révéler l’antécédent qui existe. Sa mutuelle a, en effet, déposé une plainte devant la Chambre administrative de la Cour suprême contre le CDL (Comité de développement local), qui a été remplacé par le CDLM, faute de bilan de sa gestion du plan triennal 2012-2014. Cette plainte porte sur une affaire de 2,51 milliards F Cfa, dit-il. Avant d’indiquer que la MUDH, qui regroupe onze villages dans cantons Wata et Zego, a organisé un séminaire, les 11 et 12 décembre 2015, sur le thème central ‘’Besoin de développement et exploitation minière à Hiré’’ pour faire des propositions. « Malheureusement, le CDLM n’a pas pris cela en compte », martèle-t-il.

Le cas d’Agbaou surgit…

D’autres faits expliquent le malaise de Hiré. La mine d’or d’Agbaou qui avait été exploité par la société LGL avant de passer aux mains de la société canadienne Endeavour mining, a son CDLM créé par l’Arrêté interministériel n°375/MIM/MEMIS du 27 novembre 2014. Là-bas, cinq communautés sont impactées. Au village d’Agbaou- qui a sacrifié ses terres pour l’exploitation de cette mine, les principales réalisations du CDLM sont : un bâtiment de trois classes à l’école primaire, quatre logements d’instituteurs et un Centre de santé rural (infirmerie et maternité). « Cet hôpital a été financé à hauteur de 170 millions F Cfa », précise Grah Yao Aïtti, le nouveau chef du village d’Agbaou. Zaroko et Douaville ont bénéficié, entre autres, d’une maternité chacune. A Zebo, l’argent du CDLM a servi à la construction du bureau et la résidence du nouveau sous-préfet. Et les informations recueillies parlent de 627 millions de francs Cfa déjà investis dans les cinq villages affectées.

Mais, ces investissements et particulièrement celui de Zebo ont suscité des remue-ménages dans la localité de Divo. Et les positions sont bien tranchées… « Ce sont les populations de Zebo qui ont manifesté le besoin », dit un cadre de la région. Tandis que des villageois estiment que « cela n’est pas normal ». Ils indexent alors le CDLM d’avoir pris leur argent pour réaliser des investissements réservés à l’Etat. (Voir Encadré-Regard) « Il faudrait qu’on fasse louer ces édifices à l’Etat pour que le CDLM perçoivent des loyers mensuels », propose K. B, un membre de la société civile à Divo. Et plusieurs voix se sont levées pour protester contre les choix, la pertinence et la surfacturation de certains projets réalisés autour de la mine d’Agbaou.  « L’argent ne sert pas directement aux populations mais à l’Etat », pensent-t-ils.

Pour preuve, le chef du village d’Agbaou évoque le fait que « seulement 1 280 000 F Cfa aient été injectés l’année dernière pour financer les Activités génératrices de revenus (AGR) de trois jeunes dont une femme dans son village ». Et d’ajouter que CDLM vient  d’entamer les travaux de la clôture du centre de santé dudit village, évalué à 20 millions F Cfa. Tandis que l’hôpital a un déficit criard d’équipements et de médicaments pour bien fonctionner. L’électricité avait même été interrompue, lors de notre passage le 18 mai 2018, faute de compteur de la CIE (Compagnie ivoirienne d’électricité) propre au centre hospitalier. Le campement Baoulé délocalisé, était aussi privé d’eau potable. La raison, un cumul de plus 800 millions de F Cfa de factures d’eau impayés (…). « Et les femmes sont obligées d’aller en brousse pour puiser de l’eau pour leurs besoins quotidiens »,  explique péniblement le chef du village d’Agbaou.

Tous ces problèmes ont créé des soubresauts au sein des communautés villageoises qui ont joué sur la marche du CDLM de Hiré.

Deux poids deux mesures

On retrouve deux villages Zaroko et Douaville dans les deux CDLM. Un autre point de discorde.  « Aucun village de Hiré ne figure dans le CDLM d’Agbaou. Nous sommes plus proches de la mine d’or d’Agbaou que Zaroko et Douaville le sont de la mine de Bonikro. Il y a là deux poids et deux mesures. Parce que nous n’avons rien reçu de la mine d’or d’Agbaou », s’irrite le chef de village de Gogobro.

Le vrai enjeu…

Une affaire d’argent. Car, conformément à l’article 10 de l’Arrêté interministériel, « les ressources du CDLM de la mine d’or de Hiré proviennent du ‘’Fonds de développement miniers’’ constitué par la société conformément  à l’article 129 du décret n°2014-397 du 25 juin 2014 susvisé. Ce fonds est alimenté, chaque année, par un prélèvement de 0,5% du chiffre d’affaires de la société d’exploitation », la société Newcrest Hiré Côte d’Ivoire (NHCI) a mis 482 928 442 F Cfa à la disposition du CDLM de Hiré, pour ses exercices 2016 et 2017. Même si aucun investissement n’a été fait, le CDLM a tout de même fonctionné. Là, le rapport général de l’exercice 2017, dans ses commentaires, donne des éclairages. « Sur un budget prévisionnel de 38 655 000 F Cfa de fonctionnement, 23 895 151 F Cfa ont été réellement utilisés ; ce qui représente 4,9% de l’ensemble du budget de l’exercice.

Le solde financier du CDLM de Hiré, au 27 mars 2018, est de 459 033 151 F Cfa ». Il n’y a pas de problème à ce niveau puisque les fonds dépensés s’inscrivent dans les normes de 8% requis. En poussant plus loin les recherches, on s’aperçoit que la compagnie minière a en plus reversé 501 830 662 F Cfa pour l’exercice 2018. Cette CDLM se retrouve présentement avec plus de  960 863 813 F Cfa dans son compte bancaire. Sans oublier l’argent qui viendra les prochains trimestres.  Le Plan de développement  local minier (PDLM) étant maintenant quasi prêt, son Tableau 12 relative à la Planification des idées de projets éligibles au financement du CDLM, indique une budgétisation de 1 376 187 000 F Cfa. (Voir Tableau). Les dépenses que le CDLM s’apprête à faire.

Face à de réelles inquiétudes

En voyant l’importance du montant disponible, les antécédents d’Agbaou et les problèmes propres à Hiré, les communautés impactées se disent très préoccupées. A Bonikro, une dotation de 80 tables-bancs est prévue pour l’école primaire. « Ce n’est pas ce que nous avions demandé. Mais, on m’a répondu que tout est pour le moment basé sur Hiré commune », assène le chef, Boni Jacques. Il fait alors savoir que le projet qui tient à cœur à son village est l’équipement de la maternité abandonnée dans la broussaille. Hélas, le Bureau exécutif n’a pas pris cela en compte. Précisions que Bonikro a été le premier campement délocalisé en mars 2008,  avec l’exploitation de la mine de Bonikro. Et le budget alloué aux habitants de Bonikro n’est que de 2,4 millions F Cfa. Là encore le chef est scandalisé : « je sais que les tables-bancs sont fabriqués à 10 000 F Cfa, l’unité à Hiré. Comment 80 tables-bancs peuvent être facturé à 2,4 millions ? D’ailleurs, l’école en n’a pas besoin pour le moment ».

A quelque 300 mètres, se trouve un autre campement, le deuxième relocalisé en juillet 2010. Les fils de Bandamakro, eux, peuvent se réjouir. Puisque deux de leurs projets sont inscrits dans le plan d’actions à hauteur de 7,5 millions F  Cfa. Mais, les femmes (de façon générale) ne sont pas contentes. La présidente des femmes, Bandama Adjoua Marceline  réclame une place dans le Bureau exécutif pour défendre les intérêts de ses sœurs. La question genre ! Elle rejoint l’avis de la secrétaire exécutif du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI), Christine Logbo-Kossi : « les femmes sont marginalisées dans le secteur minier ». Au CDLM de mine d’or de Hiré aussi. « Nous souhaitons, par le biais du CDLM, avoir des formations qualifiantes dans le secteur agricole (l’utilisation des produits phytosanitaires), des fonds pour les cultures maraichers et faire le commerce », ajoute la fille de Bandamakro. Et elle espère que la décortiqueuse de riz de son campement en panne, depuis belle lurette, sera remplacée.

Un membre du BE, sous anonymat, explique alors la manière dont les projets ont été validés. « Il a été demandé à chaque village et campement affectés de définir les projets (5 au total) et les classer par ordre de priorité. Le BE s’est appuyé la dessus pour faire son travail », justifie-t-il.

Un autre couac

Les populations de Carrière, le seul campement de la sous-préfecture d’Oumé, dans le CDLM de Hiré, eux, bénéficieront de 72,95 millions d’investissement. La troisième plus grosse dotation après la ville de Hiré (566 millions) et Kagbé 91,233 millions. Certaines personnes crient à l’injustice. Selon eux, Carrière ne devrait pas figurer dans la liste des localités impactées. Tandis que d’autres disent le contraire argumentant que : « les camions et engins des mines de Bonikro et Hiré passent à proximité de cette localité ». « On est bien concerné puisque la poussière et les bruits des engins nous affectent aussi », justifie Allou Konan Nestor, le président des jeunes. 

Et à Kouassi Maurice de faire comprendre que : « il a été demandé de transformer les gros campements en villages dû au fait que Gabia devrait être érigé en commune rurale ». Ce qui justice certainement les grands investissements que le CDLM veut réaliser à Carrière, à l’instar de l’électrification de la localité (2km et 40 poteaux) à 50 millions F Cfa ; le lotissement de 200 lots ; la réhabilitation de trois forages, etc. Les mécontents trouvent aussi anormal que des campements ait plus d’argent que des villages, et particulièrement celles qui ont cédé leurs terres. Le cas de Gogobro et Bouakako qui n’auront respectivement que 17,322  millions et 22 millions F Cfa.

GUY-ASSANE YAPY

«Cet article a été produit par Emergence Economique et rédigé dans le cadre d’un programme de développement des compétences medias dirigé par la Fondation Thomson Reuters. Le programme est financé par le Ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) et exécuté par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH. Le Ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) et la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH ne sont pas responsables des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs ».