Peinture: Un nu de Modigliani affole le marché
Peinture: Un nu de Modigliani affole le marché
En 2015, un nu couché peint par Modigliani devenait la seconde œuvre d’art la plus chère de l’histoire des enchères. Trois ans plus tard, un autre nu du même artiste emblématique fait son apparition sur le marchés. Avec cette toile spectaculaire, dévoilée à Hong Kong avant New York, Sotheby’s caresse l’espoir d’un nouveau record.
Entre la dispersion de la collection Rockefeller chez Christie’s – incluant une rare toile de Pablo PICASSO Fillette à la corbeille fleurie de 1905 attendue pour plus de 100 millions de dollars – et le grand Nu Couché (1917) de Amedeo MODIGLIANI estimé 150 m$ chez Sotheby’s (soit la plus haute estimation fournie dans l’histoire des enchères), les ventes de prestige du mois de mai à New York sont particulièrement attendues. Contrairement au Picasso de Christie’s, le Nu couché de Modigliani n’est pas une œuvre vierge sur le marché. Elle est déjà passée sous le feu des enchères il y a 15 ans, pour atteindre 26,8 m$ lors d’une vente Impressionniste et moderne de Christie’s à New York (Nu couché, sur le côté gauche).
Depuis, le club des oeuvres à plus de 100 millions n’a cessé de s’étoffer dans la course aux chefs-d’œuvre menés par les grands collectionneurs privés et les nouveaux musées créés de part le monde. Les 150 m$ annoncés ne constituent qu’une estimation que Sotheby’s espère bien dépasser, d’autant que cette œuvre s’impose comme la plus grande toile connue de l’artiste (89.5 x 146.7 cm). Dans quelques jours, elle pourrait devenir la plus chère dans l’histoire des enchères de Modigliani, à condition qu’elle passe le seuil des 170,4 m$, atteint le 9 novembre 2015 pour un autre Nu couché, vendu chez Christie’s à New York.
Pourtant, lorsque les nus de Modigliani furent exposés pour la première fois à Paris, ils furent jugés obscènes par un commissaire de police logeant en face de la galerie Berthe Weill où ils étaient accrochés. Un petit scandale éclata… Le temps ayant fait son œuvre, ces nus sont aujourd’hui recherchés par les publics des plus grands musées du monde, parmi lesquels le Metropolitan museum of art et le Guggenheim à New York, le Courtauld Institute of art ou le Long-musée de Shanghai. Notre nu couché était par ailleurs à l’affiche d’une récente exposition entièrement dédiée aux nus de l’artiste, organisée à la Tate Modern (23 novembre 2017-2 avril 2018). Le prestige d’une telle visibilité constitue bien sûr un atout supplémentaire pour stimuler son prix…
Les promesses d’une plus-value exceptionnelle
Comme pour Andy Warhol, Pablo Picasso ou Frida Kahlo, une dimension irrationnelle et passionnelle emporte le prix des oeuvres mythiques. Au début de l’année 2013, le portrait de Jeanne Hébuterne (Au chapeau), muse et amante de Modigliani de 1917 à 1920, passait les 42 m$ à Londres, affichant une plus-value de près de 12 millions de dollars en sept ans. Quel type d’œuvre de Modigliani peuvent-elles générer de telles plus-value ? Sans aucun doute les plus mythiques dans l’histoire de l’artiste. En l’occurrence, ce portrait d’une Jeanne Hébuterne élégante, chapeautée, cou sinueux, geste de la main en suspend, affichait une absolue modernité, avec des formes stylisées et synthétiques ayant digéré les leçons du cubisme. Outre les qualités plastiques de l’oeuvre, on ne saurait trouver modèle plus important que celui de Jeanne Hébuterne chez l’artiste. Le romantisme et le tragique de leur brève aventure participe au « mythe Modigliani » : dans la nuit du 25 au 26 janvier 1920, Jeanne, enceinte de neuf mois, se jetait par la fenêtre au lendemain de la disparition de l’artiste…
Ainsi, les femmes alanguies de Modigliani disent l’amour, mais elles disent aussi la mort. Et elles sont rares… or la rareté est un critère de valorisation essentiel sur le marché très haut de gamme. Seuls 22 nus allongés sont recensés dans la trop brève carrière de l’artiste et celui proposé par Sotheby’s le 14 mai prochain est annoncé «l’une des œuvres les plus emblématiques et les plus spectaculaires de Modigliani» selon les termes de Simon Shaw, co-responsable du département Impressionnisme et moderne de Sotheby’s. La « plus grande » et « spectaculaire toile » de Modigliani devrait afficher une plus-value de l’ordre 120 millions de dollars en l’espace de 15 ans…
Modigliani en Bref
L’italien Amedeo Modigliani (1884-1920) s’installe à Paris en 1906, à une période clef de l’avant-garde. Le Fauvisme bouscule alors les habitudes artistiques et Picasso prépare la révolution cubiste en multipliant les études pour l’élaboration des fameuses Demoiselles d’Avignon (1907). Modigliani s’imprègne des recherches de ces éminentes personnalités du monde de l’art, tout en renouant avec des influences classiques. Il s’imprègne des arts traditionnels africains, de l’antiquité égyptienne et grecque, et de la sculpture khmère autant que de Brancusi, Toulouse-Lautrec ou Cézanne. Il trouvera finalement une voie indépendante, privilégiant les portraits et les nus féminins aux silhouettes longilignes, aux longs cous et aux yeux en amandes caractéristiques..
Déjà copié de son vivant mais reconnu véritablement seulement après sa mort, Modigliani offre une production ténue, composée d’environ 460 tableaux, d’un millier de dessins et de 25 sculptures. Il subsiste peu d’oeuvres car la plupart d’entre elles ont été brûlées ou perdues. Sur les vingt dernières années, 1 400 oeuvres signées de sa main furent soumises à enchères (cas de reventes inclus)… contre plus de 61 000 œuvres de Picasso par exemple.
Rappelons que Modigliani est parti prématurément à l’âge de 36 ans, fragilisé par ses excès d’alcool et de drogue, et finalement emporté par la tuberculose. Le critère de rareté et le caractère singulier de sa production explique en partie l’envolée de ses prix aux enchères. Lorsque l’effet de rareté se combine au contexte du marché de l’art actuel, où la demande internationale n’a jamais été si forte pour les oeuvres emblématiques, il paraît délicat d’anticiper le prix d’une œuvre de Modigliani au million près.
Source: Artprice