
Commissaire divisionnaire Bakayoko Soualiho: ‘’Impossible d’être dans la base de l’Oni et espérer frauder sur son identité’’
Quel est le rôle des policiers au sein de l’Oni ?
Je voudrais rappeler que le Service d’investigations et du contentieux (Sic) existait déjà dans l’organigramme de l’Oni depuis 2004. Ce service était animé par des policiers puis par des civils. Mais son fonctionnement a connu une inertie d’avril 2012 à décembre 2016.
Face aux cas fréquents de fraudes documentaires et à l’identité qui impactent nécessairement sur la sécurité nationale et la crédibilité de l’Etat, l’actuel directeur général de l’Office national d’identification, Konaté Diakalidia, a pris la décision de réactiver le Sic. Par la suite, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité d’alors et le directeur général de la Police Nationale ont bien voulu mettre à la disposition de l’Oni dans le mois d’avril 2017, dix-neuf autres fonctionnaires de Police. C’est cette équipe de démarrage qui anime actuellement le Sic dont les échos vous sont parvenus.
Le service dont nous avons la charge assure les missions de collecte, de centralisation et d’exploitation de toutes informations relatives à tous faits présentant un caractère irrégulier dans les domaines de l’identification, de l’immigration et de l’émigration. Il a aussi l’initiative d’actions ou d’opérations d’investigation nécessaires à la découverte des infractions concernées, à l’arrestation de leurs auteurs et à leur conduite devant l’autorité compétente ; la conduite des recherches, enquêtes et opérations de toute nature en liaison avec les structures internes de l’Oni et les administrations concernées par la lutte contre la fraude à l’identification et à la migration ; la coordination de l’action des administrations et services sous tutelle du ministère chargé de l’administration du territoire, impliqués dans la prévention et la lutte contre les infractions dans les domaines de l’identification, l’immigration et l’émigration.
Il en découle que le Sic reste le bras armé de l’Oni dans son le but d’assainir et de moderniser l’état civil comme mentionné dans son décret de création.
Malgré toutes ces dispositions, la fraude sur l’identité des personnes prend de l’ampleur…
La fraude sur l’identité n’est pas un phénomène spécifique à la Côte d’Ivoire. Il est mondial. Toutefois, il nous appartient à nous, services d’investigations (de la Police comme de la gendarmerie nationale), de répondre aux défis de la protection de l’identité, assurer l’égalité entre les citoyens et renforcer la crédibilité de l’Etat quant à la fiabilité des documents administratifs depuis l’état civil jusqu’à la production du titre d’identité.
Au titre des dispositions que nous prenons face à ce fléau, il y a la sensibilisation et la répression. En interne, nous avons eu des séances de travail avec tous les départements de l’ONI. Cela nous a permis de leur présenter notre service et d’attirer leur attention sur le fait que plus rien ne sera comme avant. Ils devront donc adapter leur conduite de tous les jours au fait que nous suivons leurs faits et gestes.
La même démarche a été menée en externe vis-à-vis des centres d’état civil que nous avons visités pendant nos enquêtes. Et je profite de l’occasion que vous m’offrez pour remercier très sincèrement les sous-préfets qui, conscients de l’ampleur du phénomène, ne ménagent aucun effort pour nous faciliter la tâche. Pour ce qui est de la répression, nous menons nos investigations à l’effet de débusquer les faussaires et les mettre hors d’état de nuire. Cela se traduit par des infiltrations et l’instruction des dossiers contentieux.
Pour cela, nous bénéficions de l’appui des autorités judiciaires qui nous accompagnent au quotidien. Il ne s’agit pas d’un combat qui pourra être gagné seul et encore moins en un temps record. De concert avec les autres services d’investigations, nous sommes à la tâche. Pour ce qui est des cas de dossiers contentieux, ils font suite à des réclamations ou plaintes adressées directement par courrier à monsieur le directeur général de l’Oni lorsque le requérant constate un retard dans la production de son titre d’identité.
Après audition sur procès-verbal, il apparaît que 90% des personnes entendues, confrontées à leurs fiches d’identité existant dans la base de données de l’ONI, avouent avoir modifié des éléments (date et lieux de naissance, nom du père ou de la mère ou parfois même les deux…) sur leur extrait d’acte de naissance. Concernant les motivations à cette pratique, les personnes auditionnées disent l’avoir fait pour des raisons scolaires ou parce que leur âge réel ne leur permettait plus de présenter un concours ou même d’avoir accès au marché de l’emploi.
A ceux-là, il convient d’ajouter les dirigeants de clubs de football qui usent de ce stratagème pour réduire l’âge de leurs joueurs afin de leur permettre de tenter une aventure professionnelle en Europe. Egalement les personnes engagées dans un problème de succession sont concernées par la récupération de leur identité initiale ou par le souci de faire coïncider leur identité avec celle de leur « géniteur ».
L’avantage que nous avons sur les autres services d’investigation, c’est celui de disposer d’une base de données dans laquelle est figée comme dans du marbre, la biométrie et les données alphanumériques de toute personne s’étant faite enrôler au moins une fois dans sa vie.
Quel bilan faites-vous de cette de lutte contre la fraude ?
Dans le cadre de notre lutte contre la fraude à l’état civil et à l’identité, nous avons eu à conduire des investigations dans les localités suivantes : District d’Abidjan : Abobo, Yopougon, Attécoubé, Plateau, Koumassi, Cocody, Marcory, Adjamé, Bingerville, Dabou, Anyama, etc. A l’intérieur du pays : Bouaké, Danané, Bangolo, Mahapleu, Bieby, Yakassé-Attobrou, Duekoué, Odienné, etc. Soixante (60) dossiers ont connu une instruction judiciaire. A cet effet, le SIC a effectué cinquante-trois (53) missions sur le terrain qui ont conduit à l’interpellation de quarante-six (46) personnes.
Après compte rendu à Monsieur le Procureur de la République Adjoint, trente et un (31) faussaires ont été interpellés et déférés devant le parquet. Les personnes mises en cause se répartissent comme suit : 04 agents d’état civil de Sous-préfecture dont (02) de Bingerville et un (01) de Biéby dans le département de Yakassé-Attobrou et 01 à Mahapleu; 04 Burkinabés, 02 Nigérians, 01 Malien et 21 Ivoiriens. Rien que pour les deux premières semaines du mois de janvier 2018, nos enquêtes nous ont permis d’interpeler cinq personnes qui ont toutes été conduites devant les tribunaux. Au nombre de celles-ci, figure une dame ressortissante d’un pays de la sous région pour fraude à la nationalité ivoirienne.
Il convient de rappeler que suite à la saisine de l’Ambassade de Côte d’Ivoire en Italie, une équipe du SIC a effectué une mission dans les localités de Bangolo, Danané et Mahapleu. Il s’agissait de vérifier l’authenticité des extraits d’actes de naissance ayant servi à établir des attestations d’identité et des certificats de nationalité produits par deux (02) individus de race blanche se disant Ivoiriens, vivant en Italie et qui sollicitaient des passeports biométriques ivoiriens. Il en a résulté que l’ensemble des documents produits étaient faux. Outre ces missions, des enquêtes, en vue d’élucider des cas de présomption de racket au sein même du personnel de l’Oni, sont également ouvertes.
Relativement aux cas de contentieux, un total de cinq cent cinquante-six dossiers a fait l’objet d’investigation à l’effet d’approfondir les recherches sur des irrégularités constatées sur certains documents. A l’analyse : Quatre cent vingt-trois dossiers comportent des anomalies relatives à la modification volontaire d’un élément sur l’extrait d’acte de naissance (Nom, prénoms, date et lieu de naissance ou la filiation du requérant) ; Cent trente-trois dossiers comportent des erreurs à l’enregistrement ou des photos interverties (dossiers Alpha numériques). Les investigations concernant ce genre de dossiers sont menées avec l’appui du service en charge de l’informatique.
Dans les deux cas de figures, le Sic appelle téléphoniquement les requérants en vue de leurs auditions sur procès-verbal.
En interne, quelles dispositions prenez-vous pour assainir aussi bien l’environnement de l’enrôlement et de la distribution des titres d’identité ?
Il s’agit d’un pan important de notre activité car les agents de l’Oni, à tort ou à raison, ont régulièrement été accusés d’entretenir des réseaux favorisant le racket sur les citoyens en quête de titre d’identité. Et cela ne concerne pas seulement la Cni ou l’attestation d’identité.
Les demandeurs du Titre Provisoire de Séjour (Tps) qui existait avant la mise en circulation de la Carte de Résident avaient parfois les mêmes griefs. Afin de mettre fin à cette mauvaise manière de servir, nous avons obtenu du directeur général de l’Oni la nomination d’un Officier de Sécurité. Son action à ce jour nous permet de faire des rondes au sein du site central et d’opérer des visites inopinées sur les autres sites. Cette stratégie nous a permit d’éloigner les rabatteurs, « démarcheurs » et autres « margouillats » qui pullulaient à l’intérieur et dans les environs immédiats de l’Oni.
L’usage de la biométrie pour accéder au site de la production des titres d’identité, l’obligation faite à chaque agent à être porteur de son écusson d’identification, de même que le port de tenues et de cravates à l’effigie de l’Oni et l’interdiction de commercer sur le site sont autant de mesures qui réduisent les risques de racket.
Deux procédures en cours qui ont permis d’entendre sur procès-verbal un grand nombre d’agents dans des cas de présomption de racket constituent à ce jour une épée de Damoclès qui les obligent à rentrer dans les rangs. Par ailleurs, nous pouvons affirmer que des agents de l’Oni ne peuvent plus se sucrer sur le dos des pétitionnaires encore moins sur celui de l’Oni. Des campagnes de sensibilisation ont été menées à leur endroit.
Des difficultés ont été signalées dans la production des cartes d’Identité, que faites-vous pour y remédier?
Effectivement, la production des titres d’identité Cni et cartes de Résidents avait connu un ralentissement en raison des travaux de maintenance du matériel. Afin d’assurer une remise en route définitive et un traitement diligent des dossiers de demandes, le directeur général a mis en place une équipe Projet pilotée le chef du Sic.
A ce jour, je peux vous assurer que la production a repris et connaîtra son rythme normal sous peu. Cela nous a permis depuis un mois environ, de mettre à la disposition des centres d’enrôlement des Cni de nouvelles demandes et des duplicatas. Nous avons établi un chronogramme de distribution qui suit son cours. Une équipe basée à l’Oni, en face de la cathédrale est chargée d’appeler ceux dont les cartes ont été confectionnées et de leur fixer le lieu et la date de retrait. Nos administrateurs sont également très actifs sur notre page Facebook et répondent en temps réel aux préoccupations des internautes.
Notre site web qui vient de connaître des aménagements présentera désormais de nouvelles rubriques qui permettent de savoir si votre carte est produite, si elle est en cours de production, si votre dossier comporte une ou des anomalies ou si votre carte égarée a été déposée dans nos services rien qu’en introduisant votre numéro d’enrôlement à la Cni ou à la carte de Résident.
Votre tâche est bien vaste…
Nous mesurons en effet, l’étendue de la tâche qui est la nôtre. Nous ne sommes pas sans savoir que la question de l’identité personnelle est aujourd’hui l’une des plus vives et des plus ouvertes de notre ère et l’une des questions les plus difficiles à gérer dans la mesure où elle est souvent source de conflits.
La mise en place du Registre National des Personnes Physiques (Rnpp), constitue à n’en point douter, le début d’une réponse durable aux questions de fraude liée à l’identité. Je voudrais inviter nos concitoyens à s’abstenir de toute manipulation irrégulière de leur état civil car ils seront non seulement rattrapés par la base de données de l’Oni, mais aussi, des poursuites judiciaires seront ouvertes à leur encontre.
Interview réalisée par
GERMAINE BONI