Alpha Blondy (la star mondiale du reggae): ‘’Les hommes politiques doivent libérer la Côte d’Ivoire’’
Cela faisait longtemps qu’Alpha Blondy n’avait pas joué à Abidjan. Pour la fin de l’année 2017, vous avez offert, aux Ivoiriens, un concert mémorable le 24 décembre 2017 au stade de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Quelles sont vos impressions après ces retrouvailles ?
C’est un sentiment de joie. Mais je crois que tout le mérite revient aux organisateurs. Ce sont eux qui ont mis les petits plats dans les grands pour que ce concert devienne une réalité. Cela fait en effet longtemps que je n’ai pas joué à Abidjan. Il faut dire que tout dépend des propositions qu’on nous fait. Nous voulons des promoteurs sérieux et professionnels. Ce n’est pas l’artiste qui fait la qualité du concert, c’est plutôt le sérieux des promoteurs. Nous sommes sollicités de partout. On va jusqu’à l’ile De Pâques, au Chili, en Argentine, au Brésil, sans compter les tournés européennes. Si des promoteurs ivoiriens sérieux nous invitent, on viendra. Si les critères de qualité que nous exigeons sont respectés, alors nous viendrons. La preuve, Mtn a respecté ces critères de qualité-là et nous avons joué.
Personnellement, quel bilan professionnel établissez-vous pour 2017
Vous savez, le bilan appartient à Dieu. Tant que tu bénéficies encore de ses faveurs, tu ne peux pas avoir la prétention de faire un bilan. Je pense que chacun de nous a une feuille de route. La mienne, c’est Dieu qui l’a tracée, c’est lui qui en décide les grandes lignes. Donc, les bilans, c’est lui qui les fera, moi, je me contente d’être à la hauteur de la mission qu’il m’a confiée. Ma part de mission, je voudrais la réussir. Je voudrais que mon créateur soit fier de moi.
Qu’est-ce que cela vous fait de savoir qu’aujourd’hui beaucoup vous qualifie de grosse star mondiale du reggae et en même temps de dernier dépositaire du reggae africain ?
En vérité, sans fausse modestie, je fais tout simplement ma part. D’autres également feront la leur et, après eux, d’autres viendront faire leur part. Dieu est un grand bâtisseur. Quand il construit, il confie une tâche à chacun, selon ses compétences et après, lui, Dieu fait l’assemblage. L’univers n’est qu’à ses premiers balbutiements. Il n’a que 13 milliards 500 millions d’années. Cela n’est rien comparé à l’infini. Nous sommes donc au commencement de tout. Le maître du temps ne nous a donné qu’une infime partie. Mais avec notre naïveté, nous pensons connaître le temps. Dieu dit que cette vie-ci n’est que jeu et amusement. La vraie commencera que quand nous allons mourir, il va nous ressusciter et nous juger en fonction de nos bienfaits ou méfaits sur cette terre. Moi, j’ai foi en lui et je crois en sa parole. C’est pourquoi, dans ma petite vie, j’essaie de conjuguer le maximum de bienfaits. C’est pour vous dire que je ne me laisse pas enivrer par les superlatifs. Je bosse. Telle est ma mission jusqu’à ce que mon créateur me rappelle à lui. Il m’a donné une chance inouïe pour que ma carrière dure. Et aussi pour mes fans, ces invisibles faiseurs de rois. C’est Dieu et tous ceux-là qu’il faut remercier.
C’est vrai que chacun joue sa part mais pensez-vous que la relève du reggae ivoirien et même africain est assurée ?
L’Africain a une véritable obsession pour les mots : relève, héritage et succession. Avez-vous une fois attendu parler de la relève de Michael Jackson ou Elvis Presley? Pourquoi ce n’est que chez nous les Africains qu’on parle de tout cela. Je l’ai dit tantôt, nous sommes dans un marathon, une mission que Dieu nous a confiée. Il y a des gens qui vont continuer le travail qui a commencé. Je suis fier de tous ces jeunes, il y en a même qui n’ont pas encore fait de disque mais qui sont pétris de talent. Le reggae africain est en train de prendre son envol, mais, il ne faut tout de même pas verser dans le ‘’complimentarisme’’ vaniteux, car, il y a du chemin et du travail à faire. J’aimerais qu’au lieu que ce soit seulement Tiken Jah et Alpha qui soient dans des festivals en Europe, qu’il y ait aussi d’autres personnes. Ismaël Isaac a du talent, Fadal Dey aussi, Ras Goody Brown, Sparow, Kajeem, Naftaly et j’en passe. J’adore ce qu’ils font car leur reggae est de qualité. Mais tout est une question de temps et chacun jouera sa part. Dieu le créateur, c’est lui qui décide de tout.
Un Dieu créateur qui semble être véritablement au centre de votre vie…
Dieu ne semble pas être, il est au cœur de ma vie, c’est à lui qu’appartient le temps. C’est un honneur d’avoir été créé par lui. C’est aussi un honneur de mourir et d’aller dans les bras du créateur. J’ai été au planétarium en France et j’ai observé l’univers cosmique. La terre n’est qu’un grain de sable dans cette immensité. Alors, tu te rends compte de la bonté de Dieu et de l’honneur qu’il t’a fait en te créant. Alors, ce Dieu, lorsqu’il te dit de venir, tu ne peux qu’être heureux. Moi, j’ai la crainte de Dieu parce que je l’aime. Ma vie et ma mort sont ses œuvres.
A présent, et si on parlait un peu de vos affaires, plus particulièrement de votre radio, Alpha Blondy FM, créée il y a deux ans ?
J’ai toujours rêvé d’avoir une radio. Je nourrissais donc ce projet depuis longtemps avec mon manager Koné Dodo. Ensuite, j’ai rencontré en son temps feu Hervé Corneille qui m’a conseillé et donné une liste de matériel à acheter. J’ai même eu une fréquence à Grand-Bassam. Mais je voulais être à Abidjan. Malheureusement, au moment de commencer, Corneille est décédé et cela a freiné mon élan. Aujourd’hui, Dieu a bien voulu que le rêve devienne réalité. Et depuis, les choses se passent bien. Nous sommes bien partis pour devenir une radio commerciale. On pourra émettre sur Yamoussoukro, Korhogo, Man. J’ai même des attaches au Burkina Faso. Les perspectives sont bonnes. Affaire donc à suivre.
Toujours dans les perspectives… le Festa, votre festival, reviendra-t-il ?
Si nous avons un bon sponsor oui. Vous savez, les politiques ont tué l’esprit du Festa. Ensuite, je le finançais sur fonds propre. A un moment donné, l’investissement n’était plus rentable. Et comme ici le bénévolat n’existe pas comme dans les grands festivals en Europe, je payais tout. Moi, je suis pragmatique dans mes projets. Je vois les faisabilités, quand ça me cause préjudice, je passe à autre chose. Le but était de créer un festival comme chaque Eté en Europe, pour que les artistes d’ici et d’ailleurs se retrouvent pour faire la grande fête. Mais Dieu en a décidé autrement.
Sous quel signe placez-vous l’année 2018 ?
2018, c’est un Alpha Blondy qui appelle à la paix, à la solidarité, à l’apaisement, à la réconciliation vraie et à l’unité de toutes les ivoiriennes et tous les ivoiriens autour de notre beau pays la Côte d’Ivoire.
A ce propos justement, quelle analyse faites-vous du message de nouvel an prononcé par le Président de la République, Alassane Ouattara, qui s’est félicité du retour de la Côte d’Ivoire dans le concert des grandes nations ? Il a, par ailleurs, félicité les organismes et les syndicats qui ont œuvré à apaiser le climat social. Appelé les jeunes à beaucoup plus d’efforts et les Ivoiriens au pardon et à la réconciliation. Enfin, il a relevé la bonne santé économique du pays.
Lors de la caravane de la paix, j’ai vu un pays en lambeaux physiquement et psychologiquement. Aujourd’hui, je pense que son équipe et lui méritent un grand respect car, ils ont vraiment bossé et ce n’est pas fini. Comme il l’a dit dans son adresse à la nation, les perspectives sont bonnes. Sur le plan social, la crise est partout et la Côte d’Ivoire ne fait pas exception. C’est pourquoi nous devons encourager nos dirigeants pour qu’ils aillent encore plus loin. Pour ce qui est de la réconciliation, je dis que le poisson pourri toujours par la tête. Et le poisson Côte d’Ivoire pourri par la tête de sa famille politique dans son ensemble. Il faut que cette famille politique se réconcilie. Elle est divisée. Le Fpi se bouffe le nez, pareil au Rdr. Au Pdci, le micro et le haut-parleur sont en guerre. Il est temps que la famille politique ivoirienne se ressaisisse. Les Ivoiriens n’ont pas de problème entre eux. Les politiques sont le vrai problème des Ivoiriens. Comment voulez-vous que les Ivoiriens se réconcilient alors que les politiques sont incapables de se réconcilier ? Quand la nation est en péril, les politiques doivent pouvoir taire leurs rancœurs pour faire bloc autour de l’intérêt commun.
N’est-ce pas au nom de cet intérêt commun que chaque camp prétend agir ainsi aujourd’hui ?
Sincèrement, il faut arrêter les discours de slogans. J’en appelle aujourd’hui à une prise de conscience. A une Côte d’Ivoire qui prend conscience de ce qu’elle veut être et de sa destinée. J’ai eu la chance d’échanger avec le Président Ouattara qui est un homme de grande valeur. Mais à quoi servira un homme de valeur s’il est entouré de personnes qui sont incapables de mettre en valeur ses projets de société. Sans compter avec les caporaux qui ont fini par confondre militaire et mercenaire. Je pense que tout cela doit être corrigé. C’est pourquoi j’encourage le chef d’état-major qui, à l’occasion des présentations de vœux du nouvel an, a promis au Président une armée désormais républicaine au service du pays. Lorsque j’écoutais le message du Président, a un moment donné, j’ai eu de la compassion pour lui. J’ai l’impression que c’est lui qui tire tout le monde alors que c’est l’entourage qui doit l’encadrer, l’accompagner afin de lui permettre d’accomplir sa mission.
Cela est-il aussi valable pour l’opposition ?
Absolument. Je voudrais qu’elle copie l’alliance Bédié-Ouattara. Il n’y a pas de honte à se réconcilier et à se mettre ensemble quand on aime son pays. C’est ce que j’attends de la famille politique ivoirienne dans son ensemble. Nous sommes fatigués de leurs désaccords. Comme aux États-Unis, après les attentats du Wall Trade Center, nous voulons voir à la télévision, partout dans le pays, tous les leaders politiques ivoiriens, ensemble et parler le même langage. Celui du bien-être du peuple et de la grandeur de la nation ivoirienne. La famille politique ivoirienne donne l’impression qu’elle n’est pas consciente de ses responsabilités.
Outre la réconciliation entre leaders politiques, certains évoquent également le retour des exilés et la libération de prisonniers politiques comme préalable…
Croyez-moi, si la tête est réconciliée, le reste coulera de soi. J’ai moi-même appelé à une amnistie. Mais pendant qu’on envisage une telle solution, des commissariats sont attaqués, on parle de match retour, du chiffre 6 qui va devenir 9 sur les réseaux sociaux, le ‘’tamerconnisme triomphant’’ et autres rancœurs inondent la toile. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu’on fasse des efforts pendant que la menace de la guerre est toujours brandie. Quelqu’un m’a même demandé si j’étais prêt à garantir qu’il n’y aura pas de la violence quand on va libérer tout le monde, y compris Laurent Gbagbo et Blé Goudé. Violente question. Les uns et les autres doivent aspirer à une paix véritable et non une paix teintée de menaces. Celui qui, par ses réseaux, peut contribuer à sortir Gbagbo et Blé Goudé de prison, ainsi que tous les autres prisonniers, se nomme Alassane Ouattara. Mais il faut lui donner des gages de confiance. Mais quand on l’insulte grossièrement et qu’on le menace, on oublie que lui aussi est un être humain. Un homme qui a aussi des sentiments et des émotions. Soyons donc responsables en lui démontrant qu’il peut nous faire confiance en posant cet acte majeur. Car, Alassane Ouattara n’est pas fait d’acier, il a aussi un cœur.
Au stade actuel des choses, comment voyez-vous donc les élections de 2020 qui, pour des observateurs, comportent des risques ?
Je vais peut-être vous décevoir. Mais je m’en fous éperdument de 2020. Si la famille politique ivoirienne veut avoir le Prix Nobel de l’imbécilité et de l’irresponsabilité, c’est son droit. Mais qu’il sache qu’un jour, s’ils continuent dans leur guéguerre, ce peuple ivoirien qu’ils ne respectent pas va se révolter contre eux. Quand tu as des incapables politiques qui ne peuvent pas trouver des solutions à des crises et qui comptent sur le sang du peuple pour se maintenir là où ils sont, et bien, ils se feront balayer par le peuple. Ou pire, par un petit caporal. Que Dieu sauve ceux qui n’ont rien fait et châtie ceux qui seront à l’origine de ce futur bain de sang, si cela venait à se réaliser.
Que pensez-vous des rapports actuels entre les dirigeants africains et ceux d’Europe, notamment la France ?
Une nouvelle génération est en train de se mettre en place et nous avons espoir que les lignes vont bouger véritablement. Mais la politique de la France-Afrique est encore bien ancrée en Afrique surtout dans la partie francophone. Les lignes bougeront véritablement lorsque les mentalités africaines auront changé. Tant que certains politiciens africains vont continuer de pratiquer cette politique de mendicité, de soumission et d’éternels assistés, rien ne changera. Je suis par exemple la France. Je n’ai pas de pétrole, je n’ai pas d’uranium ni d’or et de café, de cacao, ni de diamant, de forêt. C’est vous mes colonies qui détenez ces ressources naturelles en abondance. Donnez-moi une seule raison pour que je vous laisse vous affranchir. Pour que je vienne vous aider à vous organiser, vous mettre ensemble pour lutter contre moi. Nous sommes dans un schéma où les Africains demandent à la France de venir les aider à se libérer de la France. Personne ne viendra faire notre bonheur à notre place. Il nous appartient nous Africains de nous battre pour nous affranchir comme l’on fait nos ancêtres d’ailleurs lors de la colonisation.
Mais on sait aussi que cette volonté d’indépendance dont vous parlez n’est pas sans risque pour les dirigeants africains ?
Effectivement. Le combat pour la liberté n’est pas facile. Je vais vous faire une confidence. Si nous sommes arrivés à cette terrible guerre en Côte d’Ivoire, c’est parce que la France l’a voulue. Il lui suffisait seulement, dès le début, de déployer ses forces et dire aux chefs militaires d’éviter le bain de sang pour qu’on évite tous ces morts car, un tel scénario aurait fait céder Gbagbo. La France a préféré manœuvrer pour ses intérêts. Aujourd’hui, j’ai le net sentiment qu’il fallait laisser les choses perdurer pour faire d’une pierre deux coups. D’abord, une leçon à tous les Présidents francophones. Tous ceux qui auront des velléités d’affranchissement à la Gbagbo subiront le même sort que lui. Ensuite, développer un sentiment de redevabilité du nouveau régime vis-à-vis de la France. Or, qui dit redevabilité parle de marchés, affaires et autres avantages. Voilà comment la France a pris au piège Gbagbo et son frère Alassane. Imaginez la Côte d’Ivoire avec Gbagbo et Alassane, ensemble, travaillant main dans la main pour le pays, sans redevabilité à qui que ce soit. C’est vous dire que les intérêts de la France passeront toujours avant les nôtres. C’est pourquoi, il faut que les intelligences africaines s’éveillent et se mettent ensemble pour penser une Afrique qui travaille pour ses propres intérêts, partenaires et non suppôts de l’Europe. En Afrique, il y a beaucoup d’analphabètes politiques parce qu’on a trouvé un raccourci pour devenir riche : la politique. Donc n’importe quel quidam se proclame politicien. Il va donc falloir faire un tri entre les politiciens vrais et les ‘’politichiens’’ dont le règne a mis le continent dans cet état pitoyable.
Pour finir, quels sont vos vœux de l’année 2018 ?
Au gouvernement ivoirien, je dis bravo. Le Président Alassane Ouattara et son équipe ont fait un gros travail et je suis agréablement surpris de voir comment ils ont pu transformer ce pays physiquement défiguré. A présent, je les encourage à travailler davantage pour la réconciliation. Et je le répète, la réconciliation véritable ne se fera que lorsque les politiques seront réconciliés. C’est à eux que nous avons confié la destinée du pays et nos vies. Ils ne doivent pas prendre leur responsabilité à la légère. Nous ne sommes que les caisses de résonance et les victimes de leurs désaccords. La réconciliation entre eux est donc un devoir et une obligation afin de libérer les Ivoiriens. Car quand ceux-ci verront cela, alors naîtra une Côte d’Ivoire forte et réconciliée. Aux Ivoiriens, je demande de taire nos rancœurs, pour laisser parler le cœur, l’amour et le pardon. A la jeunesse, je conseille la solidarité et l’entrepreneuriat. Mettez-vous ensemble pour lancer des projets et persévérez dans l’effort car le succès est toujours au bout du travail bien fait. Bonne et heureuse année 2018 à tous et que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR
SERGES N’GUESSANT