Polygamie : Des femmes pour le meilleur et contre le pire

Polygamie : Des femmes pour le meilleur et contre le pire
Polygamie : Des femmes pour le meilleur et contre le pire
Polygamie : Des femmes pour le meilleur et contre le pire

Polygamie : Des femmes pour le meilleur et contre le pire

Laissant les hommes à leur infidélité congénitale. Regards croisés

« Ce que je veux, c’est un homme qui a déjà une épouse », nous lance Massara Doumbia  en décroisant ses longues jambes, confortablement installée dans son luxueux fauteuil de bureau. La jeune femme qui a fêté récemment son 30e anniversaire est cadre dans une grande entreprise de la place. Le port de tête altier, elle nous explique en riant : « Un homme à la maison pour moi toute seule, c’est trop. Je n’ai pas le temps de m’occuper quotidiennement d’un mari. »

B.G., alertée par le tic-tac de son horloge biologique, a accepté, il y a cinq ans, d’être la seconde épouse d’un médecin. « J’ai eu le temps de faire mes enfants. Ce qui était essentiel pour mon équilibre. Pour le reste, ce ménage à trois me convient parfaitement », nous assure-t-elle.

 

D.Y. est une femme bien connue dans la société civile ivoirienne. Ceux qui la connaissent ont du mal à croire que cette dame au caractère bien trempé partage son homme avec une autre.  « Nous avons chacune une villa construite par notre mari. Il a bien compris qu’il n’épousera aucune d’entre nous légalement et ça marche », affirme D.Y. qui a eu trois enfants avec son homme.

 

Avoir un mari sans l’avoir totalement est une situation qui convient également à Maïmouna Diarrassouba. Après un divorce difficile, elle ne veut plus former « une seule chair » avec un homme. « Mon mari est à la maison tous les trois jours.  Les autres jours, je m’occupe de moi et de mes enfants et tout le monde est content », se satisfait-elle.

Pour ces femmes, le mari devient « cet homme à la valise » qui fait la navette entre les résidences séparées de ses épouses. Chacune essayant de prendre le meilleur morceau de ce coq dans la basse-cour.

Si la grande majorité des femmes vivent l’arrivée d’une autre épouse comme un drame, il y en a de plus en plus qui disent y trouver leur compte. Elles sont en train de transformer la polygamie censée les brimer en un atout pour se réaliser pleinement. En effet, des femmes trouvent dans cette pratique très ancienne non seulement la respectabilité que confère le mariage dans nos sociétés, mais surtout l’espace de liberté qui leur permet de mener une brillante carrière professionnelle. Agenda à portée de main, elles profitent des jours d’absence du mari sous le toit conjugal pour fixer réunions rendez-vous importants.

La polygamie serait-elle en train de prendre des couleurs à l’ombre de nos hypocrisies et de nos textes de loi inopérants ?

« Aujourd’hui, des femmes chrétiennes se convertissent pour rejoindre les ménages polygames », révèle le Pr Drissa Koné, psychiatre, médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. Le font-elles par peur de mourir vieille fille ? Est-ce par amour pour un homme ? Ce type d’unions correspondrait-il à un choix de vie ? « Cela doit amener tout le monde à réfléchir », fait remarquer le psychiatre. En invitant nos sociétés à s’interroger sur le modèle de famille qui leur convient.

Face à cette pratique, la verve féministe baisse de plusieurs tons. En effet, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la messe de requiem de la polygamie n’est pas près d’être dite. Ce ne sont pas les textes de loi dans le code civil qui déclameront l’oraison funèbre de ce type d’unions. En Côte d’Ivoire, la dernière loi sur le mariage aurait dû sonner comme un tocsin. Que non !

Ceux qui devraient veiller à la stricte application de la législation sont tombés dans les filets de cette union à partenaires multiples. Repoussée par la scolarisation et le vent de l’émancipation dans les zones rurales, la pratique a, depuis, regagné nos villes. Même dans les pays qui ne la reconnaissent pas, la polygamie gagne du terrain.  Elle est présente dans des milieux intellectuels ou politiques. Les Chefs d’Etat polygames, on pourrait en dresser une bonne liste sur le continent. Tchad, Niger, Gambie, Afrique du Sud…En Centrafrique par exemple, les deux Premières dames du pays, en mars dernier, ont donné du fil à retordre à la télévision nationale en organisant, chacune de son côté, la célébration de la Journée internationale de la femme, entourée de leurs supporters. Une situation qui avait amusé les Centrafricains et animé les réseaux sociaux.

La Côte d’Ivoire a aussi de célèbres polygames…Nous avons « nos généraux » à deux, trois, voire quatre étoiles. Et parmi leurs épouses, on a des intellectuelles dont de brillantes avocates.

Interrogée, même la bouillante Anne Désirée Ouloto n’a pas de position tranchée. Lorsqu’elle était ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, celle qu’on a surnommé « maman bulldozer » n’a pas initié un « grand ménage » pour mettre de l’ordre dans ces affaires matrimoniales qui jurent pourtant avec les dispositions légales.

« La polygamie est un fait de société très sensible. Elle est prescrite par une religion. C’est vrai que l’Etat est laïc, mais la laïcité ne veut pas dire reniement d’une religion. Elle suppose qu’on tienne compte de toutes les religions. L’Etat doit se mettre au-dessus de toutes ces religions pour faire en sorte qu’aucune ne soit au-dessus de l’autre. C’est la raison pour laquelle il faut qu’on ouvre le débat. Cela pose un problème de société. Parce que vous avez une loi qui interdit la polygamie, mais vous avez une religion dans ce pays dont il faut tenir compte et qui dit que la polygamie est possible. Alors le débat est ouvert ». (Interview publiée dans Fraternité Matin du 6 mars 2013.)

Si le débat était ouvert, il mettrait en évidence les contradictions des sociétés africaines.  De nombreuses lois modernes sont souvent en opposition avec le droit coutumier et religieux. Le législateur n’a pas toujours tenu compte de nos réalités. Il y a ce qui est officiellement prescrit et ce qui est officieusement toléré.  Et qui mieux que le fringant Mamadou Koulibaly pour mettre le pied dans le plat !

« Le code civil interdit l’adultère et la polygamie. Or aujourd’hui, que voyons-nous? Les policiers verbalisent ceux qui téléphonent pendant qu’ils sont au volant de leur voiture, mais ne verbalisent pas ceux qui commettent l’adultère ou ont plusieurs femmes. Le droit, c’est le droit. Soit on l’applique strictement et pour tous ; et alors, au lieu de construire des ponts, des écoles ou des maternités, on construit des prisons pour y enfermer 98% des Ivoiriens. Soit on adapte la législation aux réalités locales », a dénoncé l’ancien président de l’Assemblée nationale. Le président du parti d’opposition Lider (Liberté et démocratie pour la République), candidat  annoncé à la dernière présidentielle, avait  réitéré son engagement à donner la liberté de choix du régime matrimonial au moment du mariage, comme cela se fait dans certains pays.

Le sujet s’est invité au 2e congrès international de la société africaine de santé mentale qui avait pour thème : « Femmes, développement et psychopathologie en Afrique » tenu du 6 au 9 mars, à Abidjan. Le Pr Aida Sylla venue du Sénégal, un pays où la polygamie est légale, a fait une communication sur le thème : « Polygamie et santé mentale de la femme. Une pratique ancienne à l’épreuve de la modernité ». Elle a partagé son expérience en tant que thérapeute familial et thérapeute de couple. La polygamie est-elle une bonne  ou une mauvaise chose?  Cette pratique peut-elle permettre à toutes les femmes d’avoir un mari ? « En tant que thérapeute, ce sont des questions que je ne me pose pas. Je me limite à entendre la souffrance des femmes et à les aider à aller mieux », nous répond-elle. Pour elle, il n’y a surtout pas d’injonction à faire.

Selon elle, une étude faite par des historiens a montré que la pratique de la polygamie, depuis les temps anciens, est liée à un certain jeu de pouvoir politique. Il traduit souvent un jeu d’alliance et de pouvoir. Epouser plusieurs femmes de différentes tribus renforce la cohésion sociale et le positionnement politique.  Le chef devenait ainsi de la famille de tout le monde. « C’est une pratique qui s’observe encore », souligne-t-elle.

 Est-ce cette donnée historique qui avait inspiré l’ex-Président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui a épousé une femme du nord du pays, en plus de la Première dame, Simone Ehivet, originaire du sud ?

« Au Sénégal par exemple, le fait d’épouser la fille d’une grande famille peut avoir une influence positive sur la carrière d’un homme. Du coup, des hommes déjà mariés prennent une deuxième ou une troisième épouse dans des familles religieuses, économiquement prospères et qui sont influentes, pour donner un coup de pouce à leur carrière », commente l’experte. Avant de souligner que dans nos traditions, la pratique était codifiée et ritualisée.

« L’homme n’attendait pas que sa première épouse soit défraîchie pour en prendre une plus jeune, comme cela se fait de nos jours », fustige-t-elle.

La polygamie a toujours été un jeu d’intérêt pour les hommes. Les contingences économiques avaient quelque peu contribué à tiédir l’ardeur des Don juan. Si les hommes, et ils sont nombreux, veulent prendre plusieurs épouses, ils ne veulent pas n’importe lesquelles. « Très intéressés, les hommes choisissent des femmes financièrement indépendantes. Ils veulent des épouses qui soient un soutien et non une charge pour eux », soutient Ardjata Kané.

Dans les mosquées, nous dit-elle, les fidèles se disputent âprement les jeunes veuves riches et les célibataires qui ont une situation financière confortable qu’ils épousent en secondes noces.

Des unions qui permettent souvent à l’heureux élu de changer de standing. De sa modeste maison dans un quartier populaire, l’homme migre au gré de ses « tours de garde » vers les riches quartiers de Cocody pour profiter des biens laissés par le défunt époux. « On lui concocte de bons petits plats. Il est reçu dans une chambre aux senteurs enivrantes et aux draps soyeux. S’endort dans une chambre climatisée. Des choses qu’il ne peut s’offrir dans son premier foyer. Et tout cela sans aucune contrepartie financière »,  indique Rachel D., commerciale, dont la meilleure amie s’est remariée après le décès de son premier époux.

Les femmes ne sont pas dupes. Elles savent que c’est à celle qui tient le mieux les cordes de la bourse que revient le mari. Même les épouses délaissées retrouvent l’amour de leur mari lorsque leur situation sociale s’améliore. Le changement de situation financière leur permet de prendre leur revanche sur une coépouse qui avait les faveurs du chef de  famille.

«C’est un fait qu’on observe. Avec l’arrivée d’une seconde épouse plus jeune, plus belle, la première perd sa place et les faveurs de son homme. Elle est délaissée. Mais on observe un mouvement de retour lorsque les enfants du premier mariage grandissent et contribuent significativement aux charges du couple. L’époux revient à la première épouse pour partager le pouvoir issu de la réussite de ses enfants. Et la deuxième femme se retrouve en souffrance parce que ses enfants n’ont pas encore un pouvoir économique », explique Pr Aida Sylla.

« Je sais pourquoi mon mari est revenu », nous confie Sanata Koné qui vit dans la commune d’Abobo. Il y a environ vingt ans, son mari, après avoir pris une jeune épouse, est allé s’installer à l’intérieur du pays. Abandonnant sa première femme et leurs cinq enfants.

Il y a un an, le père est revenu à la maison, à la faveur du retour au pays d’un de ses enfants.  Le fils aîné de la première femme est rentré au pays après avoir fait fortune en Europe. Le père a aussitôt mis fin à « son exil amoureux » pour venir s’installer dans la concession que ce dernier a achetée pour sa mère.

Et depuis, les éclats de voix entre la vieille femme et le géniteur de ses enfants sont fréquents. L’épouse abandonnée ne ratant aucune occasion pour lui rappeler sa forfaiture et sa cupidité.

Avec le pouvoir économique, les femmes soumettent le mari. Il devient un gentil toutou qu’elle enchaîne au cordon de leur bourse.

Si les femmes sont en train de prendre la main sur l’homme dans ce jeu de pouvoir et d’intérêt, la rivalité entre les coépouses reste intacte et féroce. Sans ces petites « amabilités » entre femmes autour du même mâle, le tableau de la polygamie serait trop idyllique. Ce qui, on s’en doute bien, est loin de la réalité. Même ritualisée et codifiée, la pratique est vécue comme un drame pour toute femme faite de chair et de sang.

Sethou B