Adjamé derrière rails: Ici, on fabrique tout ce qui est dans votre sauce

Adjamé derrière rails: Ici, on fabrique tout ce qui est dans votre sauce
Adjamé derrière rails: Ici, on fabrique tout ce qui est dans votre sauce
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Adjamé derrière rails: Ici, on fabrique tout ce qui est dans votre sauce

Aucun engin n’y va. Même pas le train. Les rails qui ont donné leur nom à la zone servent juste à la circulation de la locomotive. En ces lieux, il n’y a pas de place pour un engin. Chaque centimètre carré est exploité pour le commerce. Quand le train arrive, on lui cède gentiment la place. Juste après son passage, les commerces se remettent en place. Le train ne s’arrêtant jamais là, pour quiconque désire s’aventurer à Adjamé derrière rails, y aller à pied est ce qui est recommandé. En faisant attention à ne pas renverser les étalages des multiples vendeuses. « Y a pas place oh. Tout ce qu’il y a comme espace, on l’utilise pour vendre », répondent en chœur des vendeuses.

A Adjamé derrière rails, les vendeurs en gros, revendeurs et livreurs se côtoient. Les livreurs sont de deux catégories : ceux qui apportent la matière première et ceux qui les transforment pour ensuite les revendre, voire les inonder sur divers marchés. Ici, c’est une zone industrielle qui ne dit pas son nom. C’est ici qu’on pile et empile les condiments si indispensables à la préparation de nos mets. C’est ici qu’on broie divers produits de grande consommation.

Vous consommez de la sauce graine quelque part à Abidjan ? Il y a de fortes chances que les graines qui ont servi à produire la pâte soient passées par Adjamé derrières rails. Le piment qui l’a assaisonné aussi. Tout comme la poudre de poisson ou de crevette qui lui donne sa saveur.

 

Les broyeuses de pâte d’arachide

On broie tout ici. Premier rayon qui accueille le visiteur, les broyeuses d’arachide et les boulots induits dont les principaux sont les …’’grilleuses’’ d’arachide. Avec de grosses marmites, de grands feux, ces femmes et …enfants sont à la tâche du lever du jour au coucher du soleil. Elles reçoivent des sacs d’arachide qu’elles ‘’balancent’’ aux broyeurs, une fois leur tâche achevée.

Ces braves dames et les pauvres enfants qui les accompagnent dans leur labeur absorbent beaucoup de fumée. « Ça nous gêne un peu mais nous sommes habituées ; la fumée ne nous fait rien. Et puis on va faire comment ? C’est ce que nous faisons pour nourrir nos familles. » Aminata Traoré fait ce métier depuis 20 ans. Elle a fait ses classes sur un site similaire à Attécoubé. « Il y a longtemps que je vis dans la fumée », ajoute-t-elle.

La fumée, (mélange plus ou moins dense et de couleur variable de produits gazeux et de très fines particules solides, qui se dégagent des corps en combustion ou portés à haute température.) qui se dépose partout comme de la suie, n’est pas le plus gros danger auquel ces femmes sont exposées. Elles utilisent, pour activer le feu, essentiellement de la matière plastique. De vieux pneus, des bidons usés, des sachets et tout ce qui s’enflamme vite. Des produits tous toxiques quand ils passent à la combustion. La fumée d’ici donc contient des particules assez dangereuses pour la santé. « On le sait mais on va faire comment ? », les entend-on dire. Résignation suivie de l’éternelle excuse : « c’est de ça qu’on vit oh ». Pour gagner leur vie, elles mettent en danger leur vie. « Pour nous-mêmes est mieux. Et celles qui font piment ?», ajoute-t-elle.

 

Les broyeuses de piment

Les broyeuses de piment occupent une zone qu’il vaut mieux découvrir de loin, si on a les larmes faciles et la gorge sèche. Le piment en poudre vendu sur les marchés est fait ici. Le ‘’piment’’ utilisé par les vendeuses d’œufs bouillis aussi.

Il y a, à côté des broyeuses de piment, les ‘’attacheuses’’, c’est-à-dire les femmes qui font l’emballage. Elles mettent la poudre obtenue dans des sachets plastiques qu’elles vendent en gros et demi-gros. Leurs clients vont servir les revendeurs des autres marchés d’Abidjan ou de l’intérieur. Le piment qui sort d’ici va aussi hors du pays. Surtout en Europe, précisément à Paris. « Nous livrons les femmes qui vendent à Château rouge ». Château rouge, c’est le plus africain des quartiers de Paris. On y trouve, à des conditions près, un marché semblable à celui d’Adjamé. « Une grande partie de ce qu’on fait ici va hors du pays », nous rapporte l’une d’entre elles.

 

Les fabricants de…cure-dents

Il faut arriver ici pour avoir une idée de la quantité de cure-dents qu’on consomme à Abidjan. Ces brindilles de branches ou de bois qui remplacent la pâte dentifrice chez beaucoup de personnes ont une usine ici. Une usine certes artisanale, mais à la production, en termes de quantité, industrielle. « Les grandes dames que vous voyez souvent dans de grosses voiture ont des cure-dents dans leurs sacs ». J’aurais dû ne pas leur demander qui sont leurs clients. « On envoie une partie en France aussi ». Des cure-dents en France ? « Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Y a pas Africains là-bas ? » Sorry…

 

Usine de ‘’Lopko’’

Comment définir le ‘’Lokpo’’ ? Des roches ? Les géologues nous en voudraient. De l’argile ? Tiens, et si on demandait aux fabricants. « Il faut dire argile que les femmes mangent quand elles sont enceintes ».

Il y a ‘’lokpo’’ en poudre, ‘’lokpo’’ en granulat, ‘’lokpo’’ en boule. Tout cela se travaille ici et est livré en gros.   Ainsi que d’autres formes de kaolin.

 

Poudre de poisson et de crevette

On leur livre en ballots, du poisson bien sec. Objectif, les broyer pour en faire une poudre qui ira agrémenter les sauces. Autre chose fabriquée ici, la poudre de crevettes. « De grands restaurants s’approvisionnent ici.  Ils commandent des sacs et on les leur livre ». Il va de soi que nos parents vivant à Château rouge, en France, passent leurs commandes ici.

 

Tomate en pâte livrée dans des fûts de peinture

Le ‘’département’’ fabrique de tomate en pâte a quelque chose en commun avec l’activité des femmes qui livrent la pâte d’arachide : les emballages. Elles utilisent toutes des fûts ou des pots de peinture. « Les femmes qui vendent en détail sur les marchés utilisent des boîtes de tomate de conserve connues des consommateurs ». Tricherie ? « On ne cherche pas à vendre du faux. Ce qu’on fait ici, c’est plus riche parce qu’on ne mélange pas la tomate avec des produits bizarres. Mais les consommateurs sont trop compliqués, donc les vendeuses préfèrent des emballages de marques de tomate bien connues. » Sa conclusion ? « On leur vend du bon (Ndlr, allusion à la pâte qu’elles fabriquent de façon artisanale), en leur faisant croire que c’est du mauvais (tomate en boîte homologuée).»

 

BLEDSON MATHIEU