Youssouf Fofana: “ Ma vie après le football ”
Youssouf Falikou Fofana, un talent peu commun qui a conquis l’Afrique, l’Europe et l’Asie entre 1979-1997. Une période de folie que les nostalgiques ont du mal à oublier. Que devient l’artiste vingt ans après sa retraite ? Nous l’avons redécouvert.
A 51 ans, Youssouf n’a rien perdu de sa superbe. C’est au Plateau, dans les locaux de l’Asec, le club qui l’a propulsé au-devant de la scène, que l’enfant de Mankono a bien voulu nous recevoir. Il parle de sa nouvelle vie et égrène son passé. «Après ma retraite, je suis toujours dans le football (…). En somme, je suis devenu un homme d’affaires qui gagne bien sa vie. Je ne regrette pas d’avoir joué au football. J’ai connu une carrière professionnelle bien remplie (1984-1996). Le football m’a énormément servi et je suis un homme heureux », insiste-t-il pour rassurer ses admirateurs.
Parcours
Youssouf Falikou Fofana a appris à taper dans le ballon au quartier ébrié d’adjamé. C’est grâce à un frère de Paul Guéhassa (ancien défenseur central de l’Asec) qu’il intègre le laboratoire jaune et noir, dans les années 1970. il y fait toutes ses classes en compagnie de N’Diaye Aboubacar Sékou.
En catégorie Juniors déjà, ces deux adolescents se distinguent. L’entraîneur principal de l’asec séniors les jette alors, en 1979, dans la bataille à la faveur d’un classique Asec-Africa. Au cours de cette opposition de feu entrant dans le cadre du championnat national de D1, Youssouf et son compère N’Diaye enflamment la “ bonbonnière ” du Plateau. bien encadrés par leurs aînés tels que Zogbo tapé, Justice Moore (le libéro de charme des black stars du Ghana), Gaston adjoukoua, Zohouri Faustin, Mamadou Zaré, Baï César Venance et autres, ils font trembler la grande équipe des aiglons conduite par Aka Pascal Miézan, Lébry Manahoua Jérôme et Gnahoré Dépié émile. Les accélérations, crochets intérieurs et extérieurs redoutables de Youssouf donnent du tournis à Gnahoré, à la grande satisfaction des actionnaires. « Nous avons appliqué les consignes de l’entraîneur et avons réussi notre baptême du feu devant un public des grands jours. Ce match qui s’est soldé par un score vierge,nous a lancés… », se souvient notre interlocuteur.
Depuis ce jour, les deux joueurs deviennent titulaires, au grand bonheur de leurs nombreux admirateurs.
Rivalité Asec-Africa
Youssouf a vécu très tôt cette rivalité. A l’âge de 14 ans déjà, il savait son contenu. L’adversaire ne le ménageait pas du tout sur la pelouse. Le marquage était strict. La victoire ne revenait qu’à l’équipe la plus en forme du moment. Cependant, souligne Youssouf, après ces matches intenses, les acteurs (qui sont pour la plupart des amis) se retrouvaient autour d’un pot pour se taquiner.
Mais c’est au niveau des supporters et des dirigeants que cette rivalité était démesurée. « à notre époque, l’Africa était stable et organisé au niveau des dirigeants, contrairement à l’Asec où il y avait trop de palabres », fait-il remarquer, avant de revenir sur cette finale mémorable de la Coupe Félix houphouët-boigny. C’était en décembre 1983 en nocturne, dans la “ cuvette’’ du Plateau. « L’Africa, conduit par le Sierra-Léonais Brima Camara (auteur d’un triplé), menait au score (3-2) à une minute de la fin des prolongations. Son président Zinsou, qui pensait que la cause était attendue pour l’Asec, a commencé par féliciter son banc de touche et c’est à cet instant précis que sur un centre impeccable d’Ouga-Bi Germain, N’Diaye fait admirer son jeu de tête pour laisser pantois le gardien de but d’alors des Aiglons, Digbeu Denis (119e minute). à 3-3, nous passons à l’épreuve cruelle des tirs au but qui sourit à l’Asec (4-2). Ce jour-là, notre gardien de but, Bakary Koné, avait repoussé trois tirs adverses. C’était émouvant ! En tout cas, avant, il y avait de la motivation et de la qualité dans le jeu. Les clubs de l’intérieur et de la capitale étaient de valeur sensiblement égale. C’était le haut niveau. Aujourd’hui, le football a régressé en Côte d’Ivoire. On s’ennuie. Le niveau a baissé tout simplement parce que les championnats de jeunes qui préparaient la relève n’existent plus», regrette l’enfant de Mankono.
C’est pourquoi, il demande vivement le retour de ces compétitions au lieu de fonder espoir sur des centres de formation dans lesquels les soi-disant formateurs ne connaissent même pas les notions du métier.
« Les enfants qui y sont refusent d’allier sport et études. Ne sachant ni lire ni écrire, comment peuvent-ils comprendre les méthodes de travail ? Il faut que la Fif mette de l’ordre dans ce milieu et permette, par exemple, à des clubs d’avoir chacun un centre de formation comme partenaire. Comme c’est le cas au Sénégal et au Mali où il y a aujourd’hui des centres de formation de qualité (on y étudie et pratique le sport) », propose Youssouf.
Parcours professionnel
L’ancien pensionnaire de l’asec est l’un des rares joueurs de sa génération à avoir embrassé très tôt une carrière professionnelle. En 1984, alors qu’il n’avait que 18 ans, Youssouf atterrit à l’as Cannes (L1 française), entraînée par un certain Jean Marc Guillou, ancien international de France. « Jean-Marc a souffert avant de me faire signer à Cannes. à preuve, il s’est battu, un après-midi, au stade de l’Université d’Abidjan, avec Francis Ouégnin, l’un des dirigeants de l’Asec, mon club formateur. L’Asec y disputait un match amical avec l’Auc et ce jour-là, l’agent recruteur français était venu pour me superviser.
En fait, l’Asec, engagé en Coupe d’Afrique, ne voulait pas me laisser partir en France. Mais, après l’élimination de l’Asec en quarts de finale (1984), Guillou est revenu à la charge par le truchement de son épouse, Julie Guillou. Elle est passée par Me Roger Ouégnin afin que l’Asec me libère », explique-t-il au terme d’une saison positive, Youssouf est transféré à l’as Monaco où il passera huit saisons enrichissantes avec, en prime, une finale de Coupe d’Europe disputée et perdue. « Monaco qui a été sept fois européen avec moi m’a permis de vivre de grands moments. C’était une famille et aux côtés du Sénégalais Roger Mendy et du Libérien, Georges Weah, j’étais heureux », fait remarquer le ‘’diamantnoir’’. Qui, après deux ans à Bordeaux, débarque en Turquie, en 1995. Une saison après, il dit adieu à l’Europe pour poser ses valises en Asie, précisément en Arabie Saoudite. Il y met fin à sa riche carrière professionnelle et retourne à ses premières amours, l’asec, en 1997.
« Après le titre national, je range définitivement les crampons avec le sentiment d’avoir réussi une belle carrière », note, ravi l’ancien champion d’Afrique avec les éléphants. côte d’ivoire 84 et Sénégal 92 en équipes nationales (juniors et seniors), notre interlocuteur a connu des fortunes diverses.
Avec les éléphanteaux, Youssouf Fofana, fer de lance d’une génération dorée (Dubaï Léopold, Gbala Gnato, Guédé Gba, Tchétché Aimé, Atsin Sylvère, Ory Kpassokro Richard…), a disputé la phase finale du Mondial juniors en 1983, au Mexique. Malgré leur talent et leur détermination, les poulains du duo Otto Fisher Benjamin Djédjé sont éliminés et rentrent à la maison plus tôt que prévu. «La plupart d’entre nous étions élèves et étudiants. Nous étions en période d’examen et n’avions pas eu le temps nécessaire de préparer ce rendez-vous. Ce fut une bonne expérience malgré tout (...) », indique Youssouf.
Avec la sélection nationale seniors qu’il a intégrée en 1982, l’enfant de Mankono retiendra que la Can 84 organisée en Côte d’Ivoire fut l’un de ses plus mauvais souvenirs. L’organisation de cette compétition d’envergure ayant été confiée, dit-il, aux dirigeants de club, l’entraîneur d’alors, le brésilien Duqué, n’a pas eu les mains libres pour travailler, composer son équipe.
« Il était pris en otage par les présidents Zinsou (Africa), Mondon (Stade), Andoh Claude (Asec) et celui du Stella. Chacun d’eux avait son équipe. Cela a suscité de vives tensions, l’ambiance était morose. Chacun de ces dirigeants avait également son féticheur. Vraiment, c’était difficile et au final, nous avons été éliminés dès le premier tour. Je partageais la même chambre que Pascal Miézan, le capitaine. J’ai vu des choses incroyables. Le fétichisme primait », raconte-t-il avec peine.
Contrairement à cette campagne, celle de 1992, au sénégal, fut fabuleuse. Dans un esprit de corps, la solidarité, le groupe a triomphé. « Au cours de cette Can, j’ai été blessé dès la phase de poule contre le Congo (O-O). Je suis resté sur le banc durant le reste de la compétition.
Après le sacre, nous avons été accueillis en fanfare et honorés par le Président Houphouët-Boigny et la nation. Un moment inoubliable », souligne, avec fierté, l’ailier de charme de l’époque. Youssouf était aussi de la can 86 (les éléphants ont été médaillés de bronze), de celles de 88 et 90. Mais, blessé, il était absent à la phase finale de la can 94 (tunisie) où la Côte d’Ivoire a terminé troisième et a été classée meilleure équipe sous la férule de l’entraîneur Henri Kasperzack.
Jean-Bapatiste Béhi