Basile Ébah (Administrateur, directeur général de la Sodeci): “Avec la 2e tranche de Bonoua en 2017, la demande croissante sera couverte’’
Monsieur le directeur général, le pays enregistre, ces derniers temps, de fréquentes coupures d’eau tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays. Quel est l’état des lieux en matière de production et de fourniture d’eau aux populations ?
Je voudrais nuancer concernant la fréquence des coupures parce qu’elles ont considérablement baissé. Il y a eu effectivement des perturbations sur notre réseau du 17 au 20 mars, à Abidjan. Elles sont essentiellement dues à une coupure d’électricité. En effet, dans le processus de production, les installations utilisent beaucoup de pompes qui, elles-mêmes, fonctionnent avec l’électricité. Ainsi, lorsqu’il y a une interruption d’électricité, elles s’arrêtent. Par conséquent, les réseaux et réservoirs ne peuvent être remplis pour satisfaire les besoins des populations. Lorsque l’électricité est rétablie, il faut observer un temps avant de fournir l’eau, parce que les réservoirs sont vides. Il faut donc remplir les conduites et les châteaux d’eau. Cette opération de remplissage prend 18 heures, quand il n’y a pas de consommation, sinon elle peut aller jusqu’à 3 jours. Dans le cas de la ville d’Abidjan, le volume total des châteaux d’eau est de l’ordre de 300 mille mètres cubes et nous produisons environ 500 mille mètres cubes par jour.
Qu’en est-il de l’intérieur du pays ?
Là aussi, les coupures sont saisonnières et se produisent surtout en période de saison sèche. Simplement parce que les installations de production utilisent en eau brute, les eaux souterraines à travers des forages. Or, il se trouve que la configuration hydrogéologique de l’intérieur du pays est moins favorable qu’à Abidjan. Donc en saison sèche, ces forages tarissant, la quantité d’eau baisse, entraînant des baisses de pression et des manques d’eau. Il en est de même dans certaines localités alimentées par des eaux de surface (rivières). En saison sèche, le débit de la rivière baisse et cela se ressent. Globalement, la situation s’est considérablement améliorée depuis la sortie de la crise.
Et pourtant, les programmes de Bonoua et Songon devaient juguler tous ces déficits, notamment à Abidjan.
Avant 2010, le déficit de production représentait environ 30% des besoins. Nous avions des interruptions d’eau structurelles dues à l’insuffisance d’infrastructures. Aujourd’hui, à Abidjan, ce déficit est couvert pratiquement à 90%. Reste 10%, notamment dans quelques quartiers de la commune d’Abobo, mais d’ici à septembre 2016, ce déficit structurel sera comblé. Grâce aux infrastructures réalisées par l’État à partir du champ captant de Songon pour le site de production et le château d’eau de N’Dotré (inauguré mercredi). Des infrastructures mises en service depuis 2010-2012 permettent de pallier le problème progressivement. Telles que la 2e tranche de Niangon (Yopougon), la première tranche de Bonoua d’un volume de 80 mille mètres cubes par jour, inaugurée 2015, et qui règle une bonne partie du déficit du sud d’Abidjan. La deuxième partie de Bonoua, également de 80 mille mètres cubes et qui sera mise en service en 2017, renforcera la capacité de production et permettra d’avoir un supplément de production, ce qui évitera un déficit dans les trois années à venir. Nous aurons, au total, 160 mille mètres cubes par jour qui couvrira la demande du sud, une partie desservira les quartiers entre Bassam et Bonoua et le surplus servira à renforcer le nord d’Abidjan comme Cocody et Yopougon. Concernant l’intérieur du pays, l’Office national de l’eau potable (Onep) estime le taux de couverture à 60%. Et cela va s’améliorer. Je précise que la Sodeci n’intervient que dans le cadre de l’hydraulique urbaine (adduction d’eau dans les villes) conformément au contrat signé avec l’État.
Les habitants d’immeubles, y compris des quartiers huppés, sont les plus lésés en cas de manque d’eau au point de recourir aux suppresseurs. Existe-t-il une solution durable ?
Selon le contrat qui nous lie à l’État, les infrastructures d’eau sont obligées de fournir à l’abonné de l’eau à une pression à un bar à un mètre au-dessus du sol. Avec un bar au-dessus du sol (un bar équivaut à environ 10 mètres de hauteur), il est possible d’alimenter un immeuble de trois étages. Ce qui signifie que les propriétaires d’immeubles de plus de trois étages sont obligés de trouver des moyens pour alimenter les étages au-dessus du troisième. Quand les immeubles sont construits conformément aux règles de l’art, l’architecte doit prévoir une bâche (cuve) située sur le toit et qui est alimentée par un suppresseur situé au pied de l’immeuble. De sorte que la cuve, une fois pleine, alimente les étages. Dans les tours de la Riviera Golf et au Plateau, des bâches et des suppresseurs sont prévus. Mais en cas de déficit, il faut des suppresseurs pour alimenter parfois le premier niveau. Aujourd’hui, avec l’amélioration de la situation, les suppresseurs ont diminué à Marcory et Koumassi où ils foisonnaient. Avant la mise en service de la station de Bonoua, tous les quartiers d’Abidjan sud (Port-Bouët, Marcory, Koumassi) étaient alimentés seulement à partir de l’usine du nord Riviera. Et les quartiers Zone 4 et Vridi étaient alimentés par une usine située à Yopougon (zone Ouest). Tout simplement parce que ces zones sont à une côte altimétrique beaucoup plus élevée que le sud d’Abidjan quand on sait que l’eau coule naturellement de haut en bas (alimentation gravitaire).
La fraude sur le réseau est un problème que vous avez du mal à juguler. Pourquoi ?
Pendant toute la crise de 2002-2011, nous disposions d’un indicateur qui permet de mesurer l’efficacité qu’on appelle le ratio de facturation. Il s’agit du rapport entre les volumes facturés et les volumes produits. Plus il y a la fraude, plus les volumes facturés baissent. Avant les années 2000, le ratio de facturation était de l’ordre de 80% sur 100 mètres cubes produits, ce qui faisait la réputation de la Sodeci dans le monde comme une société performante. Au plus fort de la crise post-électorale, le ratio est passé à 67% (juin), soit une perte de 13%. Sur Abidjan, environ 20% de pertes sont dues aux fuites, 8% à la fraude et les pertes résiduelles au réseau (canalisation). Nous sommes en train de mettre en œuvre tout un ensemble de mesures pour réduire ces pertes et retrouver le niveau de 80%. Cependant, dans le cas spécifique d’Abobo, le ratio de facturation est moins de 50% contre une moyenne de 69% à Abidjan. Cela signifie qu’il y a une fraude massive dans cette commune à cause de nombreux trous creusés dans le réseau.
Quel est l’impact de ces pertes et fraudes et les stratégies pour y faire face?
C’est d’abord l’impact financier. Quand on perd 1 point de ratio sur l’ensemble du pays, c’est une perte d’environ 400 millions FCfa. Donc pour les 10 points perdus depuis la crise, c’est au minimum trois milliards de pertes sèches de recettes pour la Sodeci en milieu urbain et environ 4,5 milliards de FCfa pour l’ensemble du secteur. Nous sommes en train de nous équiper de systèmes performants d’équipements pour superviser le réseau à partir d’un poste central sis au rond-point de la Riviera Palmeraie. Il permettra d’identifier tous les dysfonctionnements et les réparer rapidement grâce aux capteurs qui relèveront en permanence des informations sur le réseau et les stations et télétransmises au poste central. Des opérateurs vont les recevoir et les traiter via des logiciels pour ensuite aider à la prise de décisions. Déjà, sept modulateurs de pression ont été installés pour déterminer la pression aux endroits critiques. Du poste central, il sera alors possible de modifier la position d’une vanne pour laisser passer plus d’eau et améliorer la pression dans la zone critique donnée. Le bâtiment est prêt et l’activité du Centre d’appel y sera délocalisée. Il faut beaucoup de tests avant d’installer les équipements, car l’ambition est de superviser Abidjan mais aussi le réseau des grandes villes de l’intérieur. Ce centre de pilotage opérationnel de la Riviera fait partie de nos investissements en moyens d’exploitation et qui s’inscrivent dans nos ambitions de contribuer à l’émergence du pays. Puisque les investissements dans les usines de traitement, de châteaux d’eau et de réseaux relèvent de l’État.
Où en êtes-vous avec l’usage des nouvelles technologies de l’information ?
La Sodeci veut également s’insérer dans le processus de transition numérique. Nous avons commencé avec le paiement des factures d’eau par Mobile Money. En outre, les agents qui relèvent les index des compteurs n’utilisent plus les listings, mais des terminaux de saisie portables qui calculent automatiquement les données collectées et qui sont déversées dans la base informatique qui produit automatiquement les factures. De trois semaines, cette opération est bouclée aujourd’hui en une semaine. Mieux, dans quelques jours, nous procéderons à des relevés télémétriques à partir d’un véhicule équipé d’un système électronique dans un rayon de 300 mètres. Les agents n’auront plus besoin de monter dans les étages. En ce qui concerne les analyses physicochimiques pour apprécier la qualité de l’eau, nous testons, en ce moment, des analyseurs en continu. Autre évolution, ce sont les compteurs à prépaiement qui seront proposés aux volontaires. Toutes ces évolutions visent à améliorer le système d’eau potable et la qualité de service fournie à la clientèle.
Quel est votre regard sur le coût de la facture d’eau ?
Le prix du mètre cube est fixé par l’État. Une grille des tarifs est établie par décret signé par le Président de la République. Depuis 2004, le prix du m3 d’eau n’a pas connu d’augmentation en Côte d’Ivoire. Pendant ce temps, les prix des produits de traitement et tous les éléments qui entrent dans le coût de production de l’eau ont augmenté.
Quelle est votre contribution à la célébration de la Journée mondiale et de la semaine nationale de l’eau qui se déroule du 22 au 24 mars ?
Notre contribution consiste à faire passer ces messages lors des manifestations liées à cette semaine nationale de l’eau. C’est un moment pour sensibiliser le grand public aux importants enjeux que représente l’eau pour l’humanité.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR
PAULIN N. ZOBO