Qui a connu la guerre devrait aimer la paix
Qui a connu la guerre devrait aimer la paix
J’ai vécu en République démocratique du Congo le drame de 600 personnes mortes en 48 heures de combats à l’issue d’affrontements entre hommes armés affiliés à différentes chapelles politiques. Des obus tirés par des mains peu expertes ont atterri dans des ménages loin des champs de bataille.
J’ai été à Mogadiscio en Somalie où régnaient des groupes armés et où les attaques kamikazes étaient légion. Là-bas, chaque jour est une nouvelle naissance; la vie est ôtée sans raison par des illuminés et par des groupes armés animés de théories inutiles. Là-bas, au restaurant, sur votre lit, dans la rue, au marché, la mort est votre compagne patiente.
Je me suis retrouvé dans le désordre de Tripoli, en Libye, où des milices tribales faisaient la Loi. Chaque quartier avait ses propres règles, ses chefs et ses suppôts régentaient la vie publique et privée. La belle Libye, naguère prospère, n’est plus qu’un champ de ruine où la précarité de la vie est devenue maîtresse.
J’ai été en Centrafrique et au Burundi, dans les moments qui ont précédé les orages, lorsque des hommes politiques têtus et aveuglés, ont enclenché la marche de leur peuple vers l’enfer. J’ai visité au Rwanda les vestiges d’un passé récent tourmenté; les ossements humains s’étalaient en masse comme des branchages de forêts ravagés par un feu fou.
J’ai atterri au Kenya lorsque l’ouragan phénoménal venait de balayer 1500 vies après des élections contestées; partout, il y avait tristesse et désolation. Des guerriers d’un autre âge, avec des boucliers faits de peaux de chèvres et munis de sagaies et de machettes rouillées faisaient le guet devant leurs campements dévastés ou menacés.
Je me suis une fois promené dans les supermarchés de Harare au Zimbabwe où les rayons vidés de leurs contenus ne contenaient ni sucre ni pain ni fruit… ni rien. Je me suis retrouvé là au lendemain de contestations électorales, qui ont laissé le pays exsangue et appauvri. J’ai suivi l’opportunisme des hommes politiques de Guinée-Bissau, qui ont fait de leur terre le pays où la fonction de Président est la plus risquée au monde.
J’ai vu dans les rues poussiéreuses de Juba au Soudan du Sud les appétits naissants des hommes politiques à la tête d’un nouveau pays ressassant les conflits ethniques et communautaires anciens. Il était évident que la tempête violente ferait regretter une indépendance accélérée. J’ai été témoin de la guérison lente et longue de la Sierra Leone et du Liberia autrefois dévastés par des conceptions communautaristes et des divisions politico-militaires. On ne s’en remet jamais totalement avant un bon paquet de décennies. Je me suis assis à la table de femmes et d’hommes politiques à Madagascar qui prônaient l’intolérance les uns à l’égard des autres jusqu’ à ce que des bourrasques les emportent tous.
Enfin, en revenant à la maison, j’ai réalisé que mon pays n’était pas trop différent de ceux que j’ai vus; les appels à la division et à la haine nous ont aussi coûté des milliers de vies. Alors je ne comprends pas qu’au regard de notre propre expérience nationale et de l’histoire de tous les autres pays africains, nous nous risquions encore à tenir des langages d’exclusion politique, sociale ou communautaire, que nous ayons encore la force de nous insulter, que nous recourions à la violence pour nous parler et faire valoir nos points de vue.
Ce qui s’est passé à Bonoua et à Gagnoa la semaine passée est grave. Les attaques de lieux de culte, les affrontements même marginaux entre communautés, les barrages dressés sur des voies publiques, des pneus brûlés ne sont pas compréhensibles dans un pays qui aborde un processus électoral et qui doit exorciser son histoire de violence électorale. Qui n’a pas été suffisamment traumatisé par l’histoire de l’Afrique et particulièrement de la Côte d’Ivoire pour oser encore réveiller des diables endormis? A-t-on vraiment besoin d’avoir personnellement vécu les horreurs et les traumatismes dans les autres pays pour faire preuve d’humilité dans la vie sociale et dans la vie politique ? Femmes et hommes politiques de Côte d’Ivoire, retenez-vous !
Par VINCENT TOH BI IRIE