Ali Kéita : "Le karité sera l’un des produits les plus vendus en Côte d’Ivoire à l’horizon 2020"
Ali Kéita: "Le karité sera l’un des produits les plus vendus en Côte d’Ivoire à l’horizon 2020"
1- La filière karité, malgré son importance est peu connue des opérateurs, quel est le problème réel ?
Le véritable problème est que l’Etat n’a pas pris conscience que le karité est une culture d’exportation. Mais il faut dire que l’amande se porte très bien. Non seulement nous exportons l’amande, mais exportons près de 40.000 tonnes de beurre de karité. Or l’Etat ne sait pas où va ni l’amande ni le beurre de karité de Côte d’ivoire, il n’a aucune facture sur la vente du beurre de karité. Et donc, en tant que président de la structure, l’interprofession de karité de Côte d’Ivoire, nous souhaitons que l’Etat prenne conscience d’un produit d’exportation qui se vend très bien sans qu’il ne prenne une part à ces revenus.
2- Quel rang occupe le karité dans les produits agro-alimentaires, surtout les produits agricoles ivoiriens ?
Quand il s’agit de rang, nous ne pouvons pas classer le karité, puisque l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pu le faire. Jusqu’à preuve du contraire, le karité était à cheval entre deux ministères : Le ministère des Eaux et Forêts (qui soutient que c’est une plante qui sort sauvagement) et le ministère de l’Agriculture (qui affirme qu’elle fait partie des cultures agricoles).
Certes, il sort d’une manière sauvage, mais aujourd’hui il est exportable, d’où la nécessité pour le ministère de l’agriculture d’avoir un droit de regard sur cette culture de rente. Toutefois, on ne peut pas totalement loger le karité dans les cultures d’exportation parce que l’Etat lui-même n’y a pas une visibilité. C’est maintenant, avec l’avènement de l’interprofession, que nous sommes en train d’inciter nos gouvernants à porter un droit de regard sur ce qui se passe dans le secteur et ce qui devrait être fait pour mieux organiser les acteurs et aussi améliorer la culture.
En ce qui concerne l’amande et le beurre de karité. Nous sommes le troisième produit d’exportation, dans la région du nord, après le coton et l’anacarde. Ce dernier produit cité s’exporte bien, si bien que nous sommes premier pays exportateur en Afrique. Et voilà le karité qui s’ajoute sur les produits d’exportation du grand nord. Il faut que l’Etat s’investisse dans cette filière qui est très productive. En 2015, quand il verra les réalisations qui sont en train d’être fait, le regroupement qui sera fait, on pourra à partir de cet instant le loger.
3- Pourquoi cette forte implication des femmes dans le secteur ?
Dans les pays anglophones, le beurre de karité est appelé «l’or des femmes». Donc quand on part de ce principe, on peut deviner le reste. L’arbre pousse de manière sauvage. Mais puisque les hommes n’y attachent pas grande valeur, donc les femmes vont ramasser ces amandes. C’est pour cela qu’on les appelle chez nous les collecteurs. Ça peut être des hommes comme des femmes. Mais généralement ce sont les femmes qui font la collecte. Elles vont venir les entretenir, les sécher et les produire (faire la transformation). Les hommes interviennent quand il s’agit de la vente de l’amande.
4- A quoi sert le karité ? Quels sont ses vertus et dans quel domaine il est le plus utilisé ?
Lorsqu’on prend les trois produits mondialement vendus, le karité intervient dans deux produits. Le produit le plus vendu au monde c’est le pétrole, après vient l’alimentation puis le cosmétique. Or, le karité intervient dans l’alimentation, tout comme dans le cosmétique. Donc A l’horizon 2020 le karité sera l’un des produits les plus vendus en Côte d’Ivoire. Si la Côte la Côte d’Ivoire réussi à cerner les contours du secteur, je pense qu’elle va gagner.
5- Vous disiez tantôt que le karité pousse de manière sauvage. Mais vous reconnaissez qu’il y a certains particuliers qui en ont fait une culture comme les autres produit agricoles, combien de superficie de terre cultivable de karité existe ?
Il y a eu une prise de conscience de tous ceux qui avaient le karité dans leur champ. Je peux affirmer sans risque de me tromper qu’il y a une plantation de karité à Odienné sur près de 30ha appartenant à M. Koné. Ce monsieur, alors qu’il était dans une structure décentralisée du ministère de l’agriculture, avait suivi une formation « l’importance du karité dans la vie » au Nigeria. Il y a M. Nafan Diarrassouba, l’un des meilleurs experts en karité qui a aussi des hectares de plantation. Moi-même, j’ai aujourd’hui 20 ha de karité dans la région de Togognéré. A Tingrela également il y a des gens qui ont cru en cette culture. Mais comme je le disais, l’interprofession est entrain de recenser ceux qui ont d’abord des plantations de karité.
En outre, pendant les tournées dans les 7 zones productrices au nord, les préfets, maires et autre autorités des localités visitées, heureux de nous accueillir, nous ont offert des espaces.
6- ça veut dire qu’ils sont vraiment engagés à vous soutenir…
Ils sont très engagés. Si vous voulez produire, il faut avoir de l’espace. Dieu merci nous avons de l’espace à exploiter. C’est ce que nous a poussé à rencontrer l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader). Il est ressorti de nos échanges que nous avons environs 8000 ha qui ont été octroyés pour cultiver le karité. Mais le directeur général de l’Anader a insisté sur la domestication du karité pour qu’il soit une culture de rente au même titre que l’anacarde. Il y a 10 ans le karité était comme l’anacarde. Ce dernier poussait mais personne ne s’y intéressait.
Maintenant que certaines structures sont disponibles à nous aider, nous allons voir avec le responsable Centre national de recherche agronomique (Cnra) comment mener les rechercher sur les plants du karité, de sorte qu’il puisse produire en moins de cinq ans. A ce niveau, Dr Cissé (Anader) m’a dit : « M. Kéita, ne vous en faites pas, je verrai avec Dr Yté, directeur général du Cnra, nous allons vous sortir des plantes qui ne vous couteront chers. Et pourraient permettre de mettre des pépinières sur des espaces que vous avez déjà acquis par les différentes structures qui vous ont fait confiance.
7- Peut-t-on avoir une idée nette du volume d’exportation du produit?
En tout cas, nous n’avons pas de statistiques fiables, mais des pays comme le Burkina Faso, le Ghana viennent s’approvisionner ici. Beaucoup de camion viennent charger l’amande en Côte d’Ivoire. La preuve, le premier responsable de l’Anader nous dit que son village est le premier carrefour de tous les acheteurs des pays voisins.
8- Il n’y a pas de prix homologué ?
Non, pas du tout, il n’y a pas de prix homologué. J’ai eu deux rencontres, en compagnie de mon bureau, avec le directeur général du commerce extérieure M. Fadiga. Il s’agit pour nous de faire en sorte que les ministères du commerce et de l’agriculture puissent nous aider à avoir un prix homologué. Mais il faut aussi que nous nous restructurons, il faut que toutes les coopératives qui sont dans l’interprofession soient organisées. Il faut qu’on s’accorde sur un prix qu’on peut proposer à l’Etat. Et que l’Etat à son tour nous fasse des propositions.
L’amande se vend, généralement, à 100 Fcfa/kg et le beurre de karité se vend à 1000Fcfa/kg. Il faut 2 à 3 kg de l’amande pour sortir 1 kg de beurre de karité. Même si tu prends 4 kg de l’amande (400 Fcfa) pour en sortir 1kg de beurre, le gain pour l’Etat est très plus important.
Mais il faut d’abord structurer le secteur, il faut permettre aux femmes d’avoir des petites unités de production pour que l’Etat puisse véritablement intervenir. Et c’est ce travail que notre corporation est en train de mener. D’abord il faut regrouper les sociétés coopératives et les conduire vers l’interprofession. C’est en ce moment que nous aurons assez de force pour faire des propositions et doléances à l’Etat. Par exemple en proposant que l’amande de Côte d’Ivoire se vende à 2000 Fcfa, en prenant les expériences des pays limitrophes. Nous allons faire une visite dans les pays limitrophes pour nous imprégner de leurs réalités, parce qu’ils sont très en avance sur nous.
9-Cela veut dire que vous accusez un grand retard, malgré votre forte production?
Effectivement ! Je vais même vous dire que le Burkina Faso est très avancé sur nous dans ce domaine, le karité fait partie de leur troisième produit d’exportation. Il faut que le Cnra, l’Anader et le Firca nous aident à effectuer des voyages dans ces pays-là, pour d’abord un transfert de technologie sur le karité. Déjà la Côte d’ivoire (nord) et le Burkina Faso ont le même sol ; donc cela permettrait au pays de domestiquer le produit et de le rendre comme culture de rente.
Mais, hormis notre retard, il faut aussi préciser qu’il y a des gens tapis dans qui ont souhaité que l’Etat ne puisse pas s’ingérer dans la filière. Parce que ça leur profite. Pour cela, je suis combattu, mais je prie toujours Dieu pour atteindre mon objectif (professionnalisation du secteur).
10- Aucune taxe n’est prélevée?
Non pas du tout, il passe par d’autres moyens contournés, en formant les femmes sur le traitement de l’amande, et comme ils sont en complicité avec d’autres grandes structures, ils viennent acheter l’amande avec les femmes qu’ils vont revendre très cher.
Aujourd’hui, après la récente conférence mondiale sur le beurre de karité, on a constaté que le blanc n’a pas besoin du beurre de karité de Côte d’Ivoire, mais de l’amande. Effectivement il engagera des gens capables de lui fournir de l’amande et non le beurre. Je suis combattu, mais je prie toujours Dieu pour atteindre mon objectif (professionnalisation du secteur).
11- Quels sont vos rapports avec les autres filières, surtout votre ministère des tutelles ?
J’ai de très bons rapports avec le ministre Sangafowa. Après la conférence mondiale tenue à Abidjan, l’Etat s’est véritablement engagé dans le secteur karité, il y a eu même une communication en Conseil des ministres sur la conférence mondiale sur le karité ; ça veut dire que l’objectif de professionnalisation est en cours de réalisation. A la sortie de ces assises, il n’y avait d’organisation qui avait été mise en place. Certes, une structure s’était présentée aux autorités, mais n’était pas connue du ministère de l’agriculture. Et il n’y avait aucun document qui attestait que l’Etat devrait les accompagner. J’avais appelé cette structure pour qu’on puisse ensemble arrêter une plateforme qui puisse réunir tous les acteurs de la chaîne. Mais je n’ai pas eu d’échos favorables. Et comme par enchantement c’est cette structure qui manigance pour que l’Etat ne puisse pas avoir droit de regard sur ce secteur.
12- Quelles actions avez-vous menées sur le terrain et quels sont vos priorités?
J’ai sillonné certaines régions (Bondoukou, Bouna, Korhogo, Ferké, Boundiali, Odienné, Katiola, Dabakala etc). Il fallait que je parte dans ces zones pour me rendre compte qu’il y a vraiment une matière à réflexion sur le secteur karité. J’ai eu le quitus du ministre Sangafowa qui a mis à notre disposition des interlocuteurs.
Nous avons tenu une réunion au cabinet du ministre sous la présidence de Touré Abdourahamane, conseiller technique du ministre sur le karité. Cette séance de travail s’est bien passée. Et la base de l’interprofession est née ce jour-là ; nous avons créé un comité de création de l’interprofession. Pour que tous les acteurs puissent, chacun à son niveau, organiser son secteur. Nous avons mis sur place un bureau. Dans ce bureau il y a un président et 7 vice-présidents qui correspondent à chacune des régions productrices. Ces vice-présidents iront former les femmes de la filière dans leur zone.
Après la tournée de ces vices présidents, il ressort que nous avoisinons 11000 personnes qui travaillent dans le secteur karité. Le ministère de l’agriculture, à qui nous avons fait le compte rendu, à décider de nous accompagner en ce qui concerne l’organisation des femmes dans le secteur. Parce que comme je l’ai dit, le secteur concerne plus les femmes que les hommes.
Je remercie par cette occasion Mme Azo Kouamé, la directrice de l’Adopa, qui a aussi confirmé le soutien du ministère dans l’organisation des sociétés coopératives. Parce qu’à travers les sociétés coopératives, notre organisation gagnerait plus en crédibilité. C’est cette réunion que nous venons de boucler récemment avec des visites dans le Gontougo et le Boukani. Nous serons prochainement encore dans la région du Tchologo, le Hambol, le Denguélé, la Bagoué, le Kabadougou. Nous remercions par la même occasion le directeur exécutif du Firca, Dr Aka qui a promis nous accompagner dans cette initiative. M.Toguira du Firca a promis inscrire le karité dans leur agenda en 2015 comme urgence.
La visite du ministre de l’agriculture Mamadou Sangafowa est également prévue dans les localités de production. Ce, afin de se rendre compte de l’effectivité de l’enfgagement des acteurs de la filière karité. Je le dis parce qu’au moment où je prenais les rênes de la filière secteur, le ministère n’avait pas de visibilité dans le secteur.
Cette visite du ministre nécessitera une formation, une sensibilisation sur la société coopérative. Quand nous allons finir cette tournée, il nous appartiendra de rendre, compte non seulement au ministère de tutelle, mais aussi au ministère du commerce qui nous accompagne dans cette tournée avec la chambre d’Agriculture.
Le ministère du commerce est interpellé, parce que l’exploitation du produit se fait de façon artisanale, d’où son association à cette tournée pour voir comment les acteurs travaillent. Surtout il faut que ce ministère puisse nous aider à améliorer les conditions difficiles des femmes. Ainsi, nous allons effectuer le voyage avec eux pour leur monter que ce secteur est très promoteur pour la Côte d’ivoire. Et leur dire : «Même à l’état sauvage, le karité se porte très bien. Avec une petite industrialisation le pays pourrait encore mieux gagner».
Interview réalisée Kamagaté Issouf