Cinématographie: “ Le cinéma est la plus merveilleuse chose que l’homme ait inventée ’’

Timité Bassori
Timité Bassori
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Cinématographie: “ Le cinéma est la plus merveilleuse chose que l’homme ait inventée ’’

Comment est née en vous la passion du cinéma ?
Cette une longue histoire. J’ai eu la chance d’être né dans une famille ou dans un environnement où des oncles et des cousins fréquentaient l’école. J’avais donc des livres et des documents à ma portée à la maison. Et j’ai pris goût à la lecture. Après, j’ai été élevé par mon oncle Timité Inza, qui m’a mis le pied dans l’étrier sans le savoir. Parce qu’étant lui-même un homme de culture. Mais à l’époque, on ne considérait pas ces choses-là. Il aimait beaucoup lire. Il achetait toujours des livres et même était abonné à des revues et des magazines. Ce dernier m’emmenait souvent au cinéma mais on ne pouvait pas s’imaginer que les films étaient faits par des hommes. Les gens croyaient qu’on filmait les gens sur le vif. On peut donc dire que c’est lui qui m’a emmené dans l’aventure du cinéma. Car c’est à travers ses revues que j’ai commencé à me familiariser avec le monde du cinéma, qu’on ne connaissait pas bien à l’époque. Quand j’ai grandi, j’ai pris la décision de m’engager dans ce secteur. Mon oncle ne s’y est pas opposé.  J’ai alors été en France où j’ai commencé par le théâtre et terminé par le cinéma.

Vous connaissez également l’histoire du Fespaco…
Oui, le Fespaco a commencé en 1969, mais pas sous l’appellation actuelle. J’ai fait connaissance avec un Antillais,  un assistant technique et peintre à Ouagadougou. Il avait sa sœur à Abidjan qu’il allait voir souvent. Et un jour, il est passé me voir et a partagé avec moi son intention d’organiser une ‘’semaine du cinéma’’ à Ouagadougou. J’étais un peu surpris parce que jusque-là, le premier festival où le cinéma avait figuré, c’était en 1966 à Dakar, dans le cadre du Festival des arts nègres. Je lui ai donné mon accord de venir avec lui. Mais, en réalité, je ne prenais pas cela très au sérieux. C’est pourquoi j’y suis allé avec un court métrage ‘’Sur les feux de brousse’’. A Ouagadougou, j’ai rencontré Ousmane Sembène, Moustapha Alassane du Niger, Oumarou Ganda et Zelika, la première comédienne du cinéma nigérien. On a été accueilli d’une façon merveilleuse. A l’époque, il n’y avait que deux salles de cinéma. Et comme on voulait y mêler la population, on avait prévu des projections dans différents quartiers. Cela a été un réel succès, au point que le gouvernement de la Haute-Volta à l’époque a voulu le renouveler. On a, alors, saisi la Fédération des cinéastes africains (Fepaci) qui a donné son accord. C’est ainsi que le Fespaco est né en 1971. A l’époque, on avait prévu de l’organiser tous les ans, mais il n’y avait pas assez de productions et il y avait un autre festival, les Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie), le premier festival africain, créé en 1966. Si on le faisait tous les ans, ce serait les mêmes films qui reviendraient ; on a donc essayé d’alterner les deux festivals  de manière bisannuelle.

Combien de films aviez-vous déjà à cette époque ?
A l’époque, j’avais déjà les deux films. Mais il faut noter que j’avais des courts métrages de sensibilisation pour la télévision et pour la société ivoirienne. Quant aux films de fiction, j’en ai fait ‘’Lagune de la solitude’’  en 1964 et ‘’La femme au couteau’’ en 1968.

Aujourd’hui, quelle analyse faites-vous du développement du cinéma africain ?
Nous constatons un développement en dents de scie. Donc je ne peux pas dire qu’il y a une évolution du cinéma. Cette évolution est plutôt relative et propre à chaque pays. Par exemple, les pays du Maghreb, en l’occurrence l’Algérie et la Tunisie sont nettement en avance sur nous, au sud du Sahara. Dans les pays subsahariens, on a souvent un seul cinéaste bien formé qui ne saurait tout faire, lui seul. C’était mon cas, par exemple. Quand je suis rentré de France, j’étais tout seul. Mais à l’époque, il y avait la Société ivoirienne de cinéma qui était épaulée par, des assistants techniques français. Au fur et à mesure, les gens ont commencé à s’y intéresser. Cela a suscité de l’engouement chez des jeunes qui se sont lancés dans le secteur. Cependant, la plupart des cinéastes de nos pays d’Afrique noire ont fait des films de façon isolée.

Qu’est-ce que le cinéma vous a apporté  personnellement?
Rires… Le cinéma, c’est toute ma vie. Parce que je n’ai pas d’autre passion que le 7e art. Même si je n’ai pas fait beaucoup de films, j’ai toujours vécu dans le cinéma et pour le cinéma.

Et si c’était à refaire…
Je le referais avec beaucoup d’engagement. Parce que pour moi, le cinéma a été la meilleure chose qu’on ait inventée pour l’homme et pour son esprit. C’est une technique qui restitue la réalité dans l’irréalité. En regardant un film, on croit vivre la scène. Le cinéma est une sorte de messe dans laquelle, il y a une communion de toute une salle vers un écran et une histoire dans laquelle les gens se projettent. Et c’est extraordinaire. Aucun autre art ne peut le faire. C’est pourquoi, on l’appelle le 7e art. Il réunit tout. La sculpture, la peinture, la danse, la musique… Le cinéma est le seul art qui arrive à exprimer la vie, le mouvement. Je veux dire que quand vous regardez un arbre avec ses branches qui balancent sous l’effet de la brise, il n’y a que le cinéma qui peut faire cela. Les peintres et les sculpteurs le font mais c’est figé. Le théâtre aussi le fait. Mais c’est dans un espace limité. Or le cinéma le fait à travers toute la nature, c’est la création de la vie.

Comment pressentez-vous l’avenir du cinéma en Côte d’Ivoire ?
Il y a eu beaucoup de tâtonnements, parce qu’il y a des moments où on a cru que le cinéma allait rebondir avec la Société ivoirienne de cinéma. Malheureusement, on a cassé cette société et elle est morte avec tout ce qu’elle avait. On avait une équipe technique, une équipe d’ouvriers de plateau. Même des équipes venaient de la France travailler avec les techniciens ivoiriens. Et  tout cela est tombé à l’eau. On a repris avec l’Onac-ci qui vient d’être créée, la loi du cinéma votée. Les structures qui manquaient jusqu’à présent ont été plus ou moins réhabilitées. Maintenant, il ne reste qu’à étoffer ces structures pour faire démarrer le 7e art. Je constate aussi qu’il y a une jeunesse assez enthousiaste et très dynamique. Même si elle est inexpérimentée, elle se bat dans des conditions très difficiles. Parce qu’il n’y a plus de plateformes cinématographiques. Avant, quand on faisait un film, on le projetait par la suite dans les salles. Aujourd’hui, les gens réalisent des films qu’on ne voit pas. Si ce n’est dans des festivals ou ailleurs, hors du pays. Et la télévision demande d’être payée pour les diffuser. C’est incroyable. Les autorités africaines n’ont pas encore compris que le cinéma est à la fois une industrie et un des moyens les plus puissants pour se faire connaître à l’extérieur. Un film qui est vu dans un pays suscite la curiosité du public sur son origine et permet aux gens d’avoir une idée de la sociologie des hommes de ce pays. Cela, aucune action diplomatique ne peut l’égaler. Malheureusement, on ne l’a pas encore compris. Le cinéma est une industrie en ce sens qu’il emploie de nombreuses personnes et contribue à l’économie nationale.

Une vraie industrie que les autorités doivent soutenir…
Exactement. J’ai eu à discuter avec des copains, des cinéastes comme moi, et ils n’étaient pas d’accord avec moi. Parce qu’à l’époque, je leur disais qu’en Afrique, précisément au sud du Sahara, il y a des cinéastes et des films. Mais pas de cinéma. Actuellement, on peut parler de cinéma marocain, parce qu’ils ont des laboratoires, des montages…, des structures de production, de distribution. Cela fait tourner l’industrie. Parce que le cinéma, ce n’est pas le fait de produire un film par an ou tous les deux ans. C’est un circuit qu’il faut contenir, maîtriser. Le Maroc produit vingt longs métrages par an. Et puis plusieurs festivals sont organisés dans ce pays, qui font la promotion de ces films. Or, chez nous, on fait des films qui ne sont pas soutenus par des structures. Il n’y a plus de salles. L’idéal serait qu’il y ait un marché qui s’établit dans un cadre régional. Si tous les pays de l’Uemoa formaient un marché, un film qui traverserait tous ces pays serait assez rentable pour entamer un autre.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus du numérique. Vous qui êtes de l’ancienne école, quel est votre avis face au basculement au numérique ?
Il y a une confusion dans l’appréciation des choses. Le numérique, c’est un support de diffusion, et non un support de conservation. Et jusqu’à présent, on n’a pas trouvé de support de conservation qui remplace la pellicule. Donc on peut faire des films en numérique, mais si on veut le conserver, ce sera sur pellicule. En réalité, c’est une bonne chose, parce que maintenant, si je vais dans un festival avec un film, c’est une petite cassette que j’emmène, alors qu’avant c’était 20 à 30 kilos de pellicule qu’il fallait transporter. Et puis dans les projections, le numérique donne des résultats extraordinaires, semble-t-il.

Peut-on parler de cinéma sans salles comme on le constate en Côte d’Ivoire?
La Côte d’Ivoire ne devrait pas souffrir de salles de cinéma. Car elle a ouvert sa première salle vers les années 1930. En fait, les premières projections de film dataient des années 1925. C’était l’affaire d’un groupe d’Européens qui faisaient des projections chez eux à la maison. Ils se sont rendus compte que lorsque les films passaient, les Africains qu’ils employaient ne travaillaient plus, ils étaient plutôt accrochés aux films. Vu cet intérêt accordé aux films par les Africains, les patrons ont décidé d’ouvrir des salles à Treichville et Adjamé. Par la suite, là où se trouvait le cinéma ‘’Studios’’ au Plateau, il y avait une salle réservée aux Européens et à quelques Africains qui avaient les moyens. Dans cette salle, une partie était couverte et l’autre partie ouverte avec des bancs en ciment. En général, les Africains dans la partie ouverte et les Européens dans la partie couverte. L’ouverture des salles s’est multipliée à Treichville, à Adjamé avec l’Abc qu’on appelait la salle Chapale, à Treichville à l’avenue 4.  La première grande salle s’appelait la Secma et la deuxième située au Plateau s’appelait ‘’le Club’’. A Treichville, à l’avenue 8 en face du commissariat de police actuel (Ndlr : 2e), c’était le Rox. Mais dans les années 1948-1950, il y a eu le cinéma ‘’Rio’’, à l’avenue 16, ‘’El Mansour’’ entre l’avenue 16 et l’avenue 8, ensuite, le ‘’Plazza’’ à l’avenue 1, non loin de la Garde républicaine. En fait, après les indépendances, les gens ont commencé à ouvrir des salles d’exclusivité. Des films de grand standing y étaient projetés. Et à côté de cela, des salles de taille moyenne ont ouvert le ‘’220 logements’’ (Ndlr : cinéma Liberté) qui est devenue une église maintenant, le ‘’Magic’’ à Marcory, le ‘’Conseil de l’Entente’’ à Treichville. C’est dire que la question de salle de cinéma est primordiale pour le développement du secteur cinématographique.
Malheureusement, presque toutes ces salles ont fermé ou servent à d’autres activités. Il est donc plus qu’urgent que les autorités pensent à rouvrir les salles s’il l’on veut redonner vie au cinéma ivoirien.

Comment viviez-vous de vos productions pendant ce temps ?
J’étais un fonctionnaire, et Henri Duparc, de nationalité française, était assistant technique. Quand il y a eu la Semaine du cinéma ivoirien, nous percevions quelques petites recettes. Mais ce n’était pas consistant. Parce que c’était seulement sur une semaine. Je crois bien qu’à l’époque, c’était 30% qu’on nous versait. Une décision de la Fupaci est venue après ; elle  accordait 50% aux films africains.

Malgré toutes ces difficultés, la passion est restée toujours vive en vous
Mon souci était l’organisation de la société ivoirienne. Ce que je voulais, ce n’était pas de faire des films tous les deux ou trois ans, mais c’était de mettre en place une structure bien équipée qui permette à d’autres cinéastes de bien faire leur boulot. Et c’était cela le but de la Société ivoirienne de cinéma. Malheureusement, ça n’a pas marché. Certes, on avait un peu réussi vers les années 1975-1978 où des équipes françaises pouvaient compter sur la main-d’œuvre locale quand elles venaient en tournage ou en projection. On n’avait pas d’ouvriers du plateau bien formés, car c’est cela le plus important. Donc des gens comme Christophe Krobou, le chef machiniste, était sollicité par tous ceux qui venaient d’Europe. Mais malheureusement en 1978 avec la suppression de la Société ivoirienne de cinéma, tout a dégringolé.

Il y a tout de même des jeunes qui veulent assurer la relève, quel message à leur endroit ?
Ce sont des jeunes qui sont très enthousiastes, dynamiques et courageux bien qu’ils travaillent dans des conditions difficiles. Mais je pense que les structures qui sont en place sont là pour les épauler et les conduire plus loin. Je demande seulement que ces jeunes comprennent que le cinéma est une profession qu’il faut apprendre. Même si on veut être balayeur de rue, on l’apprend.  Donc, le fait d’apprendre ne signifie pas que c’est pour la gloriole. La technique cinématographique permet d’exprimer ce qu’on a au plus profond de soi. Et si vous connaissez toutes les méthodes de la technique, vous arriverez à mieux exprimer ce que vous ressentez. Or, actuellement, des gens se disent cinéastes, mais ils n’ont aucune notion du cinéma. On a que des faiseurs d’images et non des cinéastes. Et puis, quand ils viennent dans des festivals comme le Fespaco, il faut qu’ils voient le maximum de films, parce que ce n’est qu’en voyant des films qu’ils peuvent s’améliorer et parvenir à créer leur personnalité.

Interview réalisée
à Ouagadougou par
GERMAINE BONI