Jochim Beugré, maire: « Je peux dire que Jacqueville arrive »
Après 65 ans d’attente, Jacqueville aura enfin son pont dans quelques jours. Un véritable soulagement…
C’est plus qu’un soulagement. C’est un vieux rêve. Un rêve de millions de personnes qui va se réaliser le 21 mars. Certains de nos concitoyens n’y croient même pas encore. Ils se disent que c’est trop beau pour être vrai. Ils attendent effectivement ce jour-là pour croire. Nous avons attendu pendant 65 ans. Les travaux de la percée du canal de Vridi ont mis du temps et se sont achevés en 1950. Et dès que le canal a été percé, Jacqueville a été coupée du reste de la Côte d’Ivoire et s’est retrouvée du jour au lendemain, enclavée. Le pont de Jacqueville, ce n’est pas une histoire récente. C’est une histoire qui date du temps de la colonisation. C’est depuis cette époque-là, qu’en compensation de l’enclavement, la métropole, puis l’Etat, ont décidé de donner un pont à Jacqueville. Le Bac qui est arrivé sur notre sol, en 1968, n’était qu’un soulagement, en attendant le règlement définitif de ce problème.
L’attente n’a pas été facile…
65 ans, moi qui vous parle, je n’étais même pas encore né. Imaginez des gens nés en 1948, 1949 et qui trouvent leur cité enclavée, à partir de 1950. Et qui, depuis cette époque-là, ne connaissent aucune autre réalité à part cet enclavement. Nous venons de fêter, le 13 mars dernier, les 80 ans, de madame la Grande chancelière, Henriette Dagry Diabaté, qui est la figure emblématique de notre département. Figurez-vous qu’elle avait 15 ans quand son département a été enclavé. Mesurez l’écart. Imaginez ce que ressentent ces personnes-là qui, dans quelques jours, verront ce pont comme le bout du tunnel pour tout le département de Jacqueville. C’est un évènement très important.
Un véritable calvaire…
C’était pire qu’un calvaire. Je me souviens encore qu’à 2, 3 ou 4 ans, nos parents nous mettaient au dos. On partait d’Abidjan pour rallier le village. Nos parents empruntaient des pinasses, au niveau du canal de Vridi. Les gens plaçaient des planches sur les grosses pierres du canal et la pinasse. Et nos mamans, ainsi que tous les passagers, étaient obligés de jouer les équilibristes, en marchant sur ces planches, avec des enfants au dos, sans oublier tout les risques que cela comportait, pour monter dans la pinasse. La pinasse était quelques fois, surchargée. Lorsque le bac est arrivé, c’étaient des moments de joie, au début. Mais au fil des ans, le temps a eu raison des bacs. On en avait 4 au départ. Ce qui rendait la traversée aisée. Mais avec les pannes répétées des bacs, il ne nous reste plus qu’un seul. Et ce seul bac a tenu le coup, mais est souvent tombé en panne. Aujourd’hui, le Chef de l’Etat se déplace, vient nous offrir ce pont. Je me demande si le Président Ouattara lui-même mesure l’importance de l’acte qu’il vient de poser.
Jacqueville a dû prendre du retard sur le développement, compte tenu de son enclavement.
Evidemment. En vérité, Jacqueville est un des plus beaux départements de la Côte d’Ivoire. Mais son enclavement est comme un voile noir qui le couvrait et empêchait qu’on se rende compte de sa splendeur et sa beauté. Mais, avec la construction de ce pont, je peux dire au reste de la Côte d’Ivoire que Jacqueville arrive.
Jacqueville arrive. Vous avez le pont. Mais beaucoup reste à faire pour atteindre le niveau des autres départements.
Beaucoup reste à faire. Mais au moins, on peut bâtir, maintenant, de véritables projets de développement. Avant, ces projets qu’on avait pour Jacqueville butaient sur l’obstacle de l’enclavement. Mais désormais le rêve pour le développement de Jacqueville est permis. Donc, nous nous positionnons avec 75 km de plage maritime, plus de 100 km de plage lagunaire. Jacqueville est une presqu’île. Nous avons d’un côté la mer, de l’autre, la lagune et des lacs. Nous avons de petites îles. Ce sont ces atouts que le conseil municipal de Jacqueville, les cadres de Jacqueville et tous ceux qui ont des intérêts à Jacqueville s’apprêtent à mettre en valeur. Cela dit, nous allons développer Jacqueville de façon harmonieuse, en tirant des leçons des difficultés que connaissent les autres villes côtières.
Comment voyez-vous Jacqueville d’ici quelques années ?
Je vois Jacqueville comme la vitrine de la région des Grands ponts, dans quelques années. Car Jacqueville est seulement à une soixantaine de kilomètres d’Abidjan. Jacqueville désenclavé, avec ses eaux, ses plages ; avec tous les projets immobiliers annoncés, elle sera la vitrine de la région des grands ponts.
Avec la construction du pont, quel sera l’avenir du bac ?
La mairie de Jacqueville aurait voulu que ce bac qui nous a rendu d’énormes et loyaux services continue d’être à nos côtés. C’est vraiment notre souhait. Mais cela ne dépend pas de nous. Puisqu’il relève du ministère des Infrastructures économiques. Et nous sommes conscients qu’il y a d’autres localités de la Côte d’Ivoire qui restent enclavées comme l’a été Jacqueville durant des décennies. Même au niveau du département de Jacqueville. Puisque nous avons des îles telles que l’île Deblay qui regroupe une dizaine de villages et campements. Cette île est doublement enclavée. Pour se rendre à Abidjan par exemple, les gens rallient la terre ferme par pirogue et lorsqu’ils arrivent à Jacqueville, ils prennent le bac. Si ce bout de Jacqueville pouvait aussi recevoir le bac, ce serait l’idéal.
Le bac était l’une des principales sources de revenus de la mairie de Jacqueville. Comment comptez-vous combler le manque à gagner que va entraîner l’abandon du bac ?
Depuis 1980 que la commune de Jacqueville existe, ce bac a été d’un soutien inestimable. Le tiers du budget de la mairie est fourni par le bac. Et c’est là la crainte du conseil municipal de Jacqueville. On nous retire le bac et on nous donne un pont. Mais comment allons-nous combler ce vide ? Nous gardons espoir. Et nous comptons soumettre cette doléance au Président de la République. Le pont est à péage. Nous souhaiterions qu’une part des retombées de ce péage contribue au développement du département de Jacqueville. Jacqueville produit du pétrole et du gaz. Le budget de la commune de Jacqueville, est de 148 millions. Nous n’avons pas, de manière directe, les retombés de l’exploitation du pétrole et du gaz. Et si nous n’avons pas aussi les retombés du péage, ce sera la catastrophe, au niveau de la gestion communale.
Comment comptez-vous célébrer cet évènement le 21 mars ?
Nous attendons 10 000 personnes au minimum pour dire merci au Président de la République. Tous les villages veulent venir. Enfants, adultes, vieilles personnes. Tous veulent venir. Cela nous pose même, un problème de transport au niveau de la mairie. C’est un évènement sans précédent. Le 20 mars, nous attendons tous les groupes et artistes qui existent dans le département. Ils se sont donné rendez-vous pour un concert qui prendra la forme d’une fête populaire. Ce concert sera organisé au pied du pont. Aboutou Roots, Générations Mot-à-mot, Taboth Cadence, Nigui saff K-danse, les groupes traditionnels, etc., tous seront à N’Djem, au soir du 20 mars.
Vous êtes le 4e maire de Jacqueville. Et c’est vous qui recevez le pont. Quel est votre état d’esprit en ce moment ?
Effectivement, je suis le 4e maire de Jacqueville, depuis avril 2013, après Philippe Grégoire Yacé de 1980 à 1995, Edouard Etté de 1995 jusqu’en 2000 et Avi Adroh de 2001 à 2013. Je suis très heureux que ce soit moi qui reçoive ce joyau pour les populations de Jacqueville. Mais je m’associe à tous mes prédécesseurs, dont le plus illustre est le président Philippe Grégoire Yacé. Le maire Avi Adroh qui est le seul en vie parmi les trois sera assis à mes côtés pour que nous puissions recevoir ensemble, ce joyau et le remettre aux populations de Jacqueville.
Entretien réalisé
à Jacqueville par
CASIMIR DJéZOU