Il ne faut jamais jouer avec la haine
Il ne faut jamais jouer avec la haine
Le chalet d’Adolf Hitler sur le Berghof – des images sont disponibles sur le Net - est une merveille architecturale. Situé dans l'Obersalzberg, près de la ville de Berchtesgaden en Autriche, il fut le lieu où le candidat malheureux au concours d’entrée à l’école des Beaux-arts de Vienne rassemblait ses généraux pour concevoir des stratégies de guerre, mais où il passait aussi ses vacances. Aujourd’hui, rien que par les ruines de ce cottage, on a une idée du (bon) goût du Führer. Il aurait acquis la grosse ferme, dit-on, avec les droits d’auteur de Mein Kampf. Ce salaud, pour dire comme Sartre, aimait le beau! Ce qui explique qu'il ait pu faire le mal absolu de manière si désintéressée. L’ampleur sans précédent des crimes de masse dont il est le responsable et l’horreur que l’on continue d’éprouver devant les témoignages de ses fautes, sont les preuves qu’il ne faut jamais jouer avec la haine.
Le grand frustré qu’il fut, avait toujours pensé que sa vie était d’une importance sans précédent et qu’il était indispensable à l’humanité. L’Académie lui refusera l’accès au sérail des Van Gogh, mais il se fera le plus grand voleur d’œuvres d’art de tous les temps. Sous son règne, plus de 200 collections et environ 30 000 objets d’art seront arrachés à leurs propriétaires (tableaux, dessins, gravures, meubles, bijoux, argenterie, objets de valeur). Si le promoteur du nazisme a échoué à devenir artiste, il aura, dans le désordre de la guerre –même si tel ne fut pas son premier dessein – permis de ‘’sauver’’ 6 500 pièces choisies pour le musée qu’il rêvait de créer à Linz. Des œuvres d’art signées des grands pinceaux comme Vermeer, Rubens, Bruegel, Rembrandt, Tintoret, sont restées intactes.
Pour pouvoir faire le bien, par exemple, pour servir l'intérêt général des peuples de manière désintéressée, il faut aussi pouvoir aimer le beau, c'est-à-dire éprouver du plaisir dans la contemplation des formes pures. Comprendre que même si l’on éprouve de la haine pour un quidam, cela ne devrait pas pourrir notre esprit au point de lui dénier les qualités évidentes qu’il a. Hitler exécrait les Juifs, mais comme il aimait l’art, il a épargné les œuvres d’art des Juifs. Plus simplement, on dira qu’il n’aimait pas le lièvre mais reconnaissait les prouesses de coureur du lièvre.
Hier, au Rwanda et partout dans le monde, nous avons pleuré. La haine, il y a vingt ans, avait prouvé qu’elle est dévorante, tel un incendie de savane par temps d’harmattan. Deux décennies après, des plaies sont encore purulentes, d’autres béantes. Certes, le temps panse mais ce sont les hommes qui pensent. Et donc qui devraient savoir raison garder d’ouvrir les hostilités là où la fraternité devrait honorer le nom de ce qu’elle indique. Sous la direction de la haine, c’est connu, « le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort…» (Hobbes, Léviathan). Au pays des mille collines, les faibles et les forts se sont massacrés et perçoivent très bien aujourd’hui que la paix, œuvre d’art, est lente à construire, à parfaire. N’est-ce pas qu’ici même en Côte d’Ivoire, des garnements robustes, dans une crise dite postélectorale, ont montré un rayon de la barbarie ? Et qu’à présent nous payons, tous, pour avoir voulu jouer avec la haine ? Nul n’a le monopole de la violence, et la haine, injustifiée surtout, ouvre bien de boîtes de Pandore.
Par Oumou D.