Les morts et les vivants
Les morts et les vivants
L’actualité politique s’est emballée dernièrement, sans doute pour de mauvaises raisons. Il n’y a pas de quoi être fier lorsque l’un des nôtres se retrouve dans le box des accusés, devant la plus haute juridiction pénale au monde.
On pourrait naïvement affirmer que l’on n’est pas honoré d’une telle comparution lorsqu’on a mené une vie d’ange. M. Blé Goudé, proclamé naguère ‘’général de la rue’’, peut se flatter de faire de la Cour pénale internationale une tribune politique. Il peut se targuer de transformer ses comparutions en meeting pro-Gbagbo. Il lui est même loisible de faire accroire à l’opinion internationale qu’il a été torturé et nourri a minima durant 10 longs mois dans les locaux de la Direction de la surveillance du territoire (Dst). Il peut aussi donner dans l’ironie en racontant l’anecdote de la viande solitaire et insaisissable dans une ‘’mare qui tenait lieu de sauce’’ !
Et pourtant, le ‘’ministre de la Jeunesse et de l’Emploi’’ du dernier ‘’gouvernement’’ illégal et illégitime du Pr Aké N’gbo a si bonne mine. A-t-il été si bien nourri et blanchi, en l’espace de 6 jours dans les geôles 5 étoiles de Scheveningen, pour briller de mille feux en si peu de temps ? Ou, la réalité est telle que le ‘’général-ministre’’ était déjà bien nourri et blanchi avant son transfèrement en pays batave ? Peu importe, au fond, car l’objet de ce papier est ailleurs.
Il est question ici des vivants et des morts. Les premiers ont le beau rôle car ils sont en vie, c’est-à-dire que ce sont les seuls à donner leur version des faits. Ils ont la parole, ils peuvent se plaindre de ce que leurs droits les plus élémentaires ont été bafoués dans leur pays. Les seconds, eux, n’auront hélas pas le plaisir de venir pointer un doigt accusateur vers eux. Car ils sont morts. Ils étaient au moins 3000 hommes, femmes et enfants, à avoir perdu la vie – que quelqu’un veuille bien transmettre à M. Blé Goudé que le premier droit de l’homme est le droit à la vie -, non parce qu’ils méritaient la mort, mais parce que M. Laurent Gbagbo avait refusé d’accepter sa défaite électorale.
Il tenait à s’accrocher au pouvoir de façon désespérée, y compris en mettant en joue tous ceux qui exigeaient qu’il s’effaçât de la scène politique pour faire place à la démocratie. Malheureusement, il s’est trouvé des nôtres qui, comme Blé Goudé et Dogbo Blé, l’ont soutenu mordicus dans cette aventure désastreuse. La suite on la connaît: Dogbo Blé et ses hommes allaient à l’assaut des‘’opposants’’ à M. Gbagbo un peu partout dans Abidjan, y compris les femmes d’Abobo et les populations civiles du côté du petit marché d’Abobo Samaké. Un lieutenant de Blé Goudé, Serges Koffi, avait déclaré qu’à Abobo, il ne résidait plus que des ‘’rebelles’’. Il préconisait alors que l’armée de M. Gbagbo ‘’frappât dans le tas et que Dieu sauverait les innocents’’.
Simultanément, les foules hystériques lancées par le nouveau pensionnaire de la Haye barricadaient les quartiers et les sous-quartiers, procédaient à des ‘’contrôles d’identité’’ suivis d’autodafés. Quelques ressortissants ouest-africains et des nationaux étaient brûlés vifs pour avoir commis un délit de faciès passible de la peine de mort. Qu’avaient-Ils donc à porter un visage de type ‘’étranger’’ ou un nom à consonance nordique ?Ils ne pouvaient être que des ‘’rebelles infiltrés’’ ! Hélas, ceux-là ne peuvent sortir de leur sépulture pour venir accuser le maltraité de la Dst heureux d’être à la Cpi.Ils n’ont plus droit à la parole.C’est la parole du tribun patriote contre leur silence mortuaire.
Blé Goudé veut être jugé pour ce qu’il a fait et non pour ce qu’il est. Tant mieux.Qu’on le prenne au mot et qu’on sorte toutes les archives de ses hauts faits de guerre.Les morts n’auront alors aucun lieu de sortir de leurs tombes pour venir témoigner contre lui.
Par le Dr. Famahan SAMAKÉ