Eric Kahé: "Les exilés n'ont pas de conditions, ni de préalables… " ( Interview Exclusive)

 L’ancien ministre en exil Eric Kahé affirme que les cadres pro-Gbagbo encore hors du pays souhaitent rentrer.
L’ancien ministre en exil Eric Kahé affirme que les cadres pro-Gbagbo encore hors du pays souhaitent rentrer.
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Eric Kahé: "Les exilés n'ont pas de conditions, ni de préalables… " ( Interview Exclusive)

Eric Kahé: "Les exilés n'ont pas de conditions, ni de préalables… "

Monsieur le ministre, cela vous intéresse de mettre fin à votre exil et de rentrer au pays maintenant?

Puis-je savoir l’opportunité de cette question, SVP?

Êtes-vous prêt à rentrer au pays maintenant, après les récents appels des autorités?

Sur la base de la première formulation de votre question, je puis vous assurer que depuis le 15 avril 2011, date de ma sortie du pays pour me protéger de l'appel public au meurtre lancé à Duékoué fin mars 2011 par les nouveaux maîtres de la zone, mon intérêt a été de rentrer au pays. En réponse à votre question reformulée, je vous rappelle que je suis visé par un mandat d'arrêt, suite à une déclaration de mon parti, l’Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie (AIRD), après la conclusion heureuse de l’initiative PPTE. Par ailleurs, je me demande si l'intérêt du pays n'est pas désormais au-delà de mon cas personnel. Juste une réflexion à haute voix.

Y a-t-il eu d’autres obstacles ou y a-t-il encore des obstacles?

Journaliste, vous connaissez mieux que moi le nombre important de tels obstacles. Je sais faire confiance à votre objectivité et à votre probité intellectuelle qui vous ont placé à un si haut niveau de responsabilité.

En parlant d'obstacle, je voudrais surtout évoquer la volonté exprimée par les autorités de dialoguer avec tous.

Dialoguer avec tous, tel est le vœu de tous les exilés. Mais loin des centres de décision, dans une situation d'exil où parfois la précarité des camps de réfugiés le dispute à la course aux besoins vitaux, sans doute ne sommes-nous pas tous au même niveau d'information au point de ne pas être au courant de ces nouvelles dispositions. Quel acteur politique pillé jusqu’à la moelle épinière de décennies de labeur et obligé de fuir son pays pour des raisons sécuritaires, en errance dans le monde, ne souhaiterait-il pas voir s'instaurer un dialogue des autorités avec "tous"?

Comment avez-vous exprimé votre volonté de rentrer? Avez-vous eu des contacts avec les autorités? Si oui, que vous ont-elles répondu?

Les cris de misère des Ivoiriens dans les camps de réfugiés ne sont-ils pas l’expression suffisamment audible de leur volonté de rentrer au pays? Je crois qu’ils ont été assez entendus des autorités au point de motiver leur déplacement au Libéria voisin. Relativement au contact avec les autorités, je vous fais remarquer que dès lors qu’un réfugié politique met ses pieds dans une ambassade ou entre en contact avec des autorités consulaires de son pays, il perd la protection internationale qui lui est offerte, justement du fait de son impossibilité de bénéficier de celle de son pays. Un réfugié bénéficie, de la part de pays tiers, de la protection que son pays ne peut ou ne veut lui offrir. Puisque pour l’instant les réfugiés ivoiriens ne sont pas des apatrides pour bénéficier de la bienveillante attention de leur pays. Sans doute serait-ce une solution de contournement pour eux, dans la mesure ou le non Ivoirien ou l’apatride bénéficie d’une plus grande attention dans notre pays. Ce qui est au passage une grande solidarité et un humanisme à saluer. Mon souhait est que nous puissions sortir des schémas individuels afin d’aborder un schéma global, voie royale vers l’apaisement en lieu et place de ces schémas individuels qui veulent que des leaders politiques laissent en exil des jeunes que nos politiques ont conduits là où ils sont.

En rentrant en contact avec les autorités, n’y a-t-il pas là l’opportunité de discuter du mandat d’arrêt? Affi N'Guessan et d'autres pro-Gbagbo sont récemment sortis de prison et ont repris leurs activités politiques. Des exilés sont déjà rentrés...

Laquelle opportunité, selon vous? J’avoue ignorer tout des tractations qui ont permis la libération des uns et le retour des autres. Et nous sommes nombreux dans ce cas. De sorte qu’au risque de me répéter, une solution d’ensemble à l’allure républicaine me paraît plus intéressante pour l’apaisement général. Une république ne devrait pas traiter des problèmes de la nation à la tête du citoyen pour ne pas dire à la tête du client.

 

Oui, mais ne faut-il pas des actes, plus que tout autre chose? Par exemple, en rentrant en contact avec les autorités (vous êtes vous-mêmes un haut cadre du pays), ne croyez-vous pas que les anonymes vont vous suivre? D'autant plus que vous aurez à négocier également pour eux?

Merci de ce rappel de mon statut de haut cadre du pays que j’avais fini par oublier – en raison même des traitements subis- et dont je doute à présent. Vous parlez de poser des actes. Le dialogue avec l’opposition piétine. Qui a la responsabilité des actes à poser à ce niveau? La mise en œuvre des acquis est même problématique. C’est à croire que l’on tient à tellement faire plaisir au pouvoir qu’on en oublie la réalité. J’étais ministre à l’époque du Forum de la réconciliation nationale organisé par le président Laurent Gbagbo et je garde en mémoire tous les efforts et les sacrifices consentis pour le retour et la participation de ses frères, les présidents Bédié, Guéi et Alassane. Des efforts à la fois matériels, humains et diplomatiques. Moi-même, j’ai dû me rendre à Gouessesso, en compagnie du doyen feu Paul Gui Dibo pour rassurer le président Robert Guei. Loin de moi l’idée de demander à ce que les exilés soient traités au même niveau de considération, conscient que la politique est un rapport de force. Mais quel acte attendez-vous d’un exilé dans le contexte actuel ? Je ne crois pas en l’efficacité d’actes isolés et sporadiques d’un Eric Kahé rentrant à Duékoué sans Hubert Oulaye, Emile Guiriéoulou, Marcel Gossio, Malick Issa Coulibaly, Seydou Soro, Amara Touré, Leon Monet, Sylvanus Kla, Assoa Adou, Lia Bi Douayoua, Idriss Ouattara, etc… Et surtout laissant derrière eux, en pertes et profits des centaines d’anonymes que nous n’avons même plus la force de regarder en face, faute de pouvoir les assister. Dieu soit loué si vous m’apprenez que j’aurai l’occasion de négocier pour eux. Encore que le terme négocier sonne comme un acte anticonstitutionnel, aucun Ivoirien ne devant être contraint à l’exil. Mais si c’est cela la solution, nous sommes preneurs, et même demandeurs, au nom de l’intérêt du pays. La mère du Président Gbagbo est bien au Ghana, en Afrique. Son âge très avancé lui confère un rôle et s’il y a bien une personne que devraient suivre des exilés sur le chemin du retour, c’est bien elle. Où en sont à ce jour les démarches à son sujet ? Je ne pense pas que la réconciliation soit un jeu où l’on claque les doigts. C’est une démarche où la bonne volonté doit primer.

Vous dites des jeunes dont vos politiques « ont conduit là où ils sont ! »…

Quand je parle de nos politiques, je fais allusion à une génération et non à un camp. Malgré les pires souffrances des personnalités estampillées pro-Gbagbo et surtout l'avenir compromis des jeunes de notre bord, nous ne voulons pas exceller comme bien d'autres dans l' « auto-victimisation » qui fait aujourd'hui tant de mal. Car ceux que l’on a convaincus de façon factice d’être des victimes, ont fini par adopter une posture de vengeance dont on se demande, à présent, les raisons. Nous avons choisi la voie du pardon afin de rebâtir. Tout en n'oubliant pas que le président Laurent Gbagbo est un fils de ce pays qui fait partie intégrante de notre histoire. Cette histoire que nous assumons en dépit des actes posés par d'autres en bien pire. Mon sentiment est que les exilés n'ont pas de conditions, ni de préalables et que les extrémistes du pouvoir les empêchent de rentrer, certains agissant parfois par cynisme.

Le reste des exilés est-il donc prêt à rentrer dès maintenant ?

Le reste ? Sans vouloir polémiquer, c’est à croire que la majorité est rentrée. Depuis le premier jour d’exil, tous aspirent à rentrer au bercail. Ils attendent qu’on leur en donne la possibilité, relativement à la cessation des raisons pour lesquelles ils ont fui leur pays pour certains et des tracasseries judiciaires pour d’autres. La restitution des terres à l’ouest et la cessation de la menace des détenteurs illégaux d’armes.
Savez-vous que la décision de retour au pays de certains d’entre nous était jusque-là détenue par leurs potentiels adversaires politiques dans leurs régions ? A cette allure, le cynisme l’emporte sur la Nation. Et je peux comprendre. C’est ceux qui étaient candidats aux législatives et aux régionales qui devaient décider de qui avaient le droit de rentrer.  A l’ouest, ce sont bien les cadres locaux qui ont tissé un tissu de mensonges sur les prétendues caches d’armes. L’objectif était clair. Dans l’organisation verticale et horizontale du pouvoir issu de la crise de 2011, je me suis laissé convaincre par un prêtre que chacun porte enfin sa croix en Côte d'Ivoire. Charge à ceux qui le peuvent d’accepter de voir la réalité en face ou à ceux qui ne veulent pas, de faire semblant. Certains Ivoiriens ont tout donné pour la normalisation. Il ne leur reste que leur loyauté à un homme et leur dignité. Doivent-ils sacrifier ces deux éléments au point de n’être même pas utiles à ceux qu’ils devront alors servir ? Rappelez-vous comment mon aîné nordiste, dit «Champion» est tombé dans l’estime des siens en croyant, de bonne foi, bien faire dans les années 90. Celui qui se renie devient inutile. Inutile à lui-même, à ses nouveaux alliés et à ses anciennes convictions. C’est en leur concédant un minimum de dignité que les exilés seront utiles à la réconciliation, donc au pouvoir.

Réalisé via Internet

Par Barthélemy KOUAME

barthelemy.kouame@fratmat.info