Venance Konan: "Qui doit pardonner à qui ?"
Mais aussitôt, les porte-voix du parti de Laurent Gbagbo ont fait savoir que dans leur esprit, c’est au Chef de l’État de leur demander pardon, car les vraies victimes, ce sont eux. Et nous voilà replongés dans la problématique de la réconciliation qui piétine depuis deux ans en Côte d’Ivoire. Qui est fâché contre qui ? Qui doit pardonner à qui?
Nos amis du Fpi qui ont une lecture très singulière de notre histoire, estiment toujours qu’ils étaient en train de nous bâtir un socialisme des plus hardis, où l’on augmentait, en priorité, les salaires des ministres et des députés ; où ils étaient en train de nous construire partout des « Sorbonne » pour nous apprendre à bien nous détester les uns les autres, lorsqu’une rébellion dirigée par Guillaume Soro a mis fin à cet élan. Donc, si nous devons parler de pardon, ce sont bien ceux qui ont mené cette guerre qui doivent s’abaisser.
Et puis, lorsqu’il y eut l’élection présidentielle, alors que ce cher « Pablo » Yao - N’Dré avait réussi à gommer toutes les voix favorables à l’adversaire de Laurent Gbagbo pour le déclarer vainqueur; alors qu’ils étaient en train de massacrer allègrement tous ceux qui s’opposaient à ce hold-up, une nouvelle guerre fut déclenchée par les tenants du pouvoir actuel. Pis, ils le firent avec l’aide de la France honnie, pour chasser celui qui avait été oint par Dieu lui-même, et qui, de ce fait, ne pouvait se voir arracher le pouvoir que par ce même Dieu, pour l’envoyer, Ô honte, croupir dans une prison en Hollande. Deuxième raison pour que les hommes au pouvoir actuellement se couvrent la tête de cendres et aillent demander pardon à genoux au Fpi et à ses militants. On peut lire l’histoire de cette façon. Sauf que l’histoire dont nous sommes tous témoins est différente.
Il y eut effectivement en 2002 une rébellion. Et nous avons passé de très longues années à en parler, aussi bien dans notre pays qu’à l’extérieur, pour en comprendre tous les tenants et aboutissants. Il y eut Lomé, Linas-Marcoussis, Accra, Pretoria, Yamoussoukro, Ouagadougou, pour ne citer que ces lieux de rencontre les plus marquants. Dans mon entendement, nous avions fini par nous comprendre et nous pardonner. Des lois d’amnistie avaient été votées. Nous avons vu Laurent Gbagbo nommant Guillaume Soro Premier ministre. Nous l’avons entendu le félicitant, en déclarant qu’il avait été le meilleur de ses Premiers ministres. Nous avons aussi vu Simone Gbagbo dansant avec Konaté Sidiki sur un podium et nous avons été témoins des grandes amitiés qui s’étaient nouées entre Wattao et Blé Goudé d’une part, Adama Bictogo et Désiré Tagro d’autre part. Palabre n’était pas finie ? Nous avions cru qu’effectivement toutes les palabres étaient terminées, que nous nous étions réconciliés, que tout le passé était derrière nous au moment où nous allions à l’élection présidentielle.
Il y eut donc l’élection présidentielle qui devait ouvrir une nouvelle page de notre histoire. Il y eut les résultats, le refus de Gbagbo de reconnaître sa défaite, le ballet des médiateurs qui, tous, demandèrent à Gbagbo de reconnaître qu’il avait perdu. On ne refera pas l’histoire ici. Nos amis du Fpi croient qu’à force de répéter un mensonge, il finit par devenir vérité. Nous ne laisserons jamais ce mensonge-là prospérer. Devant le monde entier, Laurent Gbagbo a perdu l’élection présidentielle. Il a refusé de le reconnaître. Il a engagé ses escadrons de la mort et ses mercenaires à faire taire toutes les voix qui s’opposaient à sa volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix. Des personnes ont été brûlées vives. Il a fait tirer à l’arme lourde sur des marchés, sur des femmes qui marchaient les mains nues. Il a semé la terreur dans ce pays, jusqu’à ce que les ex-rebelles, avec l’aide de la communauté internationale, le délogent du bunker où il s’était réfugié avec ses proches pour attendre l’armée des anges qui devait le sauver.
C’est cela l’histoire que nous avons vécue, l’histoire à propos de laquelle nous devons nous réconcilier ; celle pour laquelle les fautifs devraient avoir un peu d’humilité, un peu de compassion. Oui, dans cette guerre, des innocents sont morts. Les libérateurs ont aussi tué. Oui. Une guerre est-elle propre ? Combien d’Allemands innocents ne sont-ils pas morts sous les bombes américaines qui devaient libérer le monde de la tyrannie d’Hitler ? Combien de Japonais innocents ne sont-ils pas morts sous les bombes atomiques américaines qui devaient libérer l’Asie de la tyrannie des militaires japonais ? À la fin de la guerre, ce sont ceux qui l’ont déclenchée qui ont demandé pardon, qui ont été jugés. Parce que Japonais et Allemands ont eu l’humilité de reconnaître leurs responsabilités, ils se sont réconciliés avec les pays qu’ils ont dominés et écrasés et sont devenus les meilleurs alliés de leur vainqueur. Le Fpi, qui est peuplé d’historiens, devrait relire l’Histoire.
Venance Konan