Pr Yacouba Konaté (Critique d’art) : "La Côte d’Ivoire sait parler le langage universel de l’art "
Pr Yacouba Konaté (Critique d’art) : « La Côte d’Ivoire sait parler le langage universel de l’art »
La Côte d’Ivoire participe, pour la première de son histoire, à la 55e biennale de Venise(Italie), grand-messe de l’exposition internationale des arts contemporains. Son pavillon, réalisé grâce notamment à l’appui du mécénat d’entreprise, présentera, du 31 mai au 24 novembre, un vernissage de près de 300 œuvres de quatre artistes ivoiriens parmi les plus prometteurs dans cette catégorie d’art. La 55e Biennale de Venise, comme une reconnaissance universelle à l’art contemporain ivoirien.
Dans une interview exclusive, l’universitaire et critique d’art ivoirien, le Pr. Konaté Yacouba, son coordonnateur général, livre, à l’AIP, les raisons, l’intérêt et les effets attendus de cette participation. Président de l’association internationale des critiques d’art, dont le siège est à Paris, et président honoraire de cette organisation internationale, aujourd’hui, l’Ivoirien Konaté Yacouba a conduit, durant trois ans, de 2008 à 2011, avant d’être succédé par l’Américain Marek Bartelik, qui, lui à son tour, a succédé à l’Anglais Henry Meyric.
La Côte d’Ivoire participe, pour la première de son histoire, à la 55è biennale de Venise(Italie), la grand-messe de l’exposition internationale des arts contemporains, avec près de 300 œuvres de quatre artistes ivoiriens parmi les plus prometteurs dans cette catégorie d’art. Peut-on savoir, M. le coordonnateur général, les motivations de cette participation ?
Il faut le préciser, la Biennale de Venise est l’ancêtre des biennales, c’est-à-dire dans la forme de biennale d’Art connue avec Dakar (cf. la défunte biennale de Dakar ou Dak’Art) ou avec le Masa, le marché des arts et du spectacle africains. Et c’est à Venise que cette manifestation a vu le jour ; il serait trop long d’entrer dans les conditions de cette création, mais il faut retenir que Venise est l’aînée des biennales, et que cette biennale-là est multidimensionnelle.
Pour terminer sur l’historique au niveau des biennales, il y a également ce que les puristes de la matière cinématographique ou des arts visuels, appellent "La Mostra". Il ya aussi la biennale de l’architecture et la biennale des beaux-arts. Mais, la présente biennale-là est à sa 55ème édition, soit un peu plus d’un siècle de vie d’existence, après sa création à la fin du XIXème siècle.
C'est vrai que la Côte d’Ivoire est à sa première participation, mais elle y va, comme à la Coupe du Monde de football, montrer au monde et à tous les esthètes de la chose, la vitalité et le génie de la création ivoirienne. A côté de la Côte d’Ivoire, figure également le Kenya, qui y sera aussi à sa première participation.
La Biennale de Venise se présente comme la vitrine mondiale de ce que l’on appelle les arts visuels ou les arts plastiques, c'est-à-dire tout ce qui est peinture, photo, sculpture, gravure. Tous les arts, en somme, qui relèvent de la vision vont y faire, en quelque sorte, leur marché. Il est le premier rendez-vous du monde, parce qu’il y a deux grandes manifestations mondiales, au plan des arts visuels, c’est la "Biennale de Venise", et "La Documenta de Cassel" qui a lieu, tous les cinq ans.
Dans le critère de sélection, qu’est-ce qui a milité en faveur de la Côte d’Ivoire ?
Moi, je pense que c’est parce qu’on avait, premièrement des artistes qui pouvaient être ou qui sont de niveau international et dont les œuvres s’imposaient, en quelque sorte, mais l’autre chose qui a compté, c’est que l’on a des accompagnateurs, des commissaires aussi qui peuvent défendre ces artistes au plan international, parce qu’un artiste ne va pas se lever tout seul pour dire je vais à la Biennale ; il faut qu’il soit choisi par un commissaire, qu’il rende une proposition artistique, monte un dossier pour que celui-ci soit accepté par le président ou la présidente de la Biennale.
Dans le dossier, il faut un lieu qui soit approprié, parce que si l’on veut faire une exposition dans les bourbouilles, bien entendu la biennale ne va pas mettre son logo qui est très prestigieux, là-dessus. Autrement dit, c’est un ensemble de conditions requises auxquelles on a satisfait qui l’ont permis. Au niveau des artistes, c’est une sorte de montée en puissance, c'est-à-dire chacun de ces artistes-là peut, à partir du moment où il a été dans un pavillon officiel de la Biennale de Venise -c’est un conseil que je ne peux pas donner- mais je veux dire que sa cote monte ; on agit sur la cotation des artistes, et c’est un facteur très important.
Dans le même temps, certaines œuvres se vendent de manière importante. Dès que certains ont su qu’on venait avec des œuvres de Frédéric Bruly Bouabré, par exemple, ils ont commencé à vendre leurs œuvres, en communiquant là-dessus. Parce que le fait que Bruly Bouabré figure dans cette sélection-là fait croître sa cote ; c’est une sorte de moule de validation.
Dites-nous, M. le Coordonnateur général, comment concrètement la participation de la Côte d’Ivoire va se faire ?
Alors, ça va se faire sur la base d’un pavillon qu’on va ouvrir ; nous avons loué un espace qui, pendant six mois, va montrer les quatre artistes dont je parle. Et sur la base de ces œuvres-là, nous allons monter une exposition et procéder à un vernissage qui aura lieu le 31 mai, sous la présidence du ministre ivoirien du Tourisme, mais aussi avec la présence de Mme la Grande Chancelière de l’Ordre national (Pr. Henriette Dagri-Diabaté), qui en est la marraine.
Nous attendons aussi beaucoup d’hommes d’affaires qui ont cru à l’événement. Je pense vraiment que c’est le lieu de signaler que, sans l’implication du secteur privé, ce pavillon n’aurait jamais pu être ouvert (...). La location du pavillon, l’envoi des œuvres et toute la communication (la petite communication), tout ce que l’on a fait jusqu’ici, l’on l’a pu grâce à des entreprises du secteur privé que, malheureusement, je ne peux pas m’empêcher de citer.
Il s’agit de la fondation Petroci, la fondation Nour Al Hayat, le groupe bancaire BIAO, le holding d’assurances Nsia, ainsi que le groupe IPS d’Agha Khan et Saprim, qui nous ont apporté un appui substantiel pour la réalisation du pavillon Côte d’Ivoire. Cet appui a été fort déterminant, augurant d’un partenariat fécond entre le secteur privé et le secteur public.
M. le Coordonnateur général, à plusieurs reprises, vous avez souligné l’implication du mécénat d’entreprise, est-il permis d’espérer là à la naissance d’un partenariat public-privé dans ce domaine ?
Exactement, c’est du mécénat d’entreprise! C’est vraiment ça, et ça été décisif ; je ne peux pas tout vous dire. Au départ, nous disposons d’un budget prévisionnel ou indicatif de 300 millions de francs, prenant en compte la publicité, le déplacement et le séjour des journalistes pour assurer la couverture et rendre compte de l’événement, après avoir bénéficié, au préalable, d’une formation spécifique sur la matière. Mais, ce budget n’a pu être atteint, et il a fallu ramener nos prétentions à la baisse à 200 millions, et sur lesquels le secteur privé a fourni 150 millions de francs, la part de l’Etat ivoirien se limitant à la portion congrue de 15 millions de francs.
Nonobstant, je ne veux pas gâcher la fête avec ces considérations-là ; c’est pourquoi, j’insiste sur le fait que le secteur privé a joué une partition importante. Alors, c’est signe de quelque chose aussi que l’Etat ne peut plus, à lui tout seul, gérer et soutenir la création ; les pouvoirs publics ont besoin d’appui du secteur privé et de mécènes, c’est-à-dire de toutes les bonnes volontés, pour pouvoir remplir sa mission de donner confiance aux ivoiriens, de permettre aux ivoiriens de se protéger dans l’avenir.
Y a-t-il un intérêt à s’inviter à ce rendez-vous où n’est célébré que le must de l’art, alors que l’activité de création s’est fait discrète, ces dernières années, en Côte d’Ivoire ?
Justement, c’est un insigne honneur et un prestige pour la Côte d’Ivoire, d’autant plus qu’on peut y aller en individuel ou être sélectionné dans un pavillon quelconque, mais Venise est spécifique, en ce sens, qu’elle offre l’occasion d’ouvrir un pavillon. A ce niveau, foin de nuance, n’y vont à Venise que les pays candidats élus ou sélectionnés. Et c’est ce qui explique que le projet a été bien reçu par le gouvernement ivoirien, par le truchement du ministère de la Culture et de la Francophonie, appuyé par le ministre du Tourisme.
La Rotonde des arts d’Abidjan(LRAA) en a pris l’initiative, alors on y va, car l’on s’est rendu compte qu’en visitant la dernière exposition de Venise que nombre d’œuvres que nous exposons, ici, tous les jours, ont bien leur place là-bas, et n’ont rien à envier à ce que nous avons déjà vu dans certaines éditions de la Biennale ; donc c’est, en quelque sorte, un défi qualitatif que nous avons voulu relever à la face du monde.
Des pays comme l’Egypte y ont même acquis une bâtisse et, tous les deux ans, exposent leurs œuvres là-bas. C’est à la limite comme une chancellerie, et ils y assurent la promotion artistique et diplomatique de leurs Etats. Cette biennale de Venise tient à cœur à tous les pays soucieux de leur respectabilité dans les domaines de la création. Il convient d’indiquer, par ailleurs, que le caractère multidimensionnel résulte du fait que Venise est l’une des destinations touristiques les plus prisées au monde.
Donc des effets induits au plan commercial, économique et des investissements ?
Pour engranger des dividendes pour la Côte d’Ivoire, l’ambassade de Côte d’Ivoire en Italie facilite les rencontres entre décideurs et professionnels du tourisme ; les professionnels de l’art en profitent, eux aussi, pour nouer des contacts avec d’autres organisateurs, des mécènes ou antiquaires, marchands d’arts dans le monde. Parce qu’il est un intérêt de passer des contrats pour pouvoir, plus tard, réaliser des ventes d’œuvres d’art.
Notre pays sort d’une longue crise, et donc elle a subi un déficit non seulement de visibilité, mais de respectabilité, et c’est cette biennale qui nous offre une bonne opportunité de démontrer que la Côte d’Ivoire est un pays, où l’on a cessé de se battre, et que c’est un pays qui, non seulement se relance économiquement, mais crée de l’art contemporain. J’insiste sur cette facture du contemporain, parce que les artistes que nous allons exposer, Bouabré Bruly, Tamsir Dia, Jem’s Robert Koko Bi, Franck Fanny, sont des signatures dans le domaine contemporain(…).
J’étais très intéressé par le fait que la Côte d’Ivoire est déjà connue dans le monde pour ses masques, sa statuaire et son histoire de l’art, et tout le monde sait que ce que l’on appelle les cubistes qui ont créé le courant de l’art moderne, ont tous reconnu leur dette à l’égard des cultures Baoulé, Sénoufo, Dan et Wê, en particulier. Ce sont ces sculptures qui ont beaucoup influencé les créateurs comme Pablo Picasso et toute l’école des cubistes occidentaux.
Mais, lorsque l’on évoque la Côte d’Ivoire dans le monde de l’art, les gens pensent justement aux statuaires Bété, Sénoufo, Lobi, etc ; les gens n’ont pas conscience qu’il y a eu une création moderne et contemporaine qui a atteint les cimaises, un niveau international. Notre ardent désir est d’apporter la démonstration de cette force créative contemporaine.
La première chose que l’on y gagne, c’est d’accéder au processus de la qualité des œuvres des artistes qui seront dans cette sélection. Au surplus, l’image de la Côte d’Ivoire, elle-même, s’en trouvera valorisée. Et donc c’est un pays qui n’est pas coincé dans les traditions, et que c’est un pays qui se projette en avant, qui a appris et qui sait parler le langage universel de l’art. Donc, en termes d’image de promotion de la mentalité de l’ivoirien, ça fait un grand bond.
Autre chose : c’est que compte tenu du fait que les gens qui vont voir la Biennale de Venise sont les reines, rois, présidents, hommes d’affaires, grands hommes de culture, de grands collectionneurs d’art, ces personnages-là peuvent parce qu’ils ont aimé les œuvres de la Côte d’Ivoire, peuvent décider, par exemple, de venir visiter la Côte d’Ivoire ou y investir. D’autant plus que les gens qui investissent dans la Biennale, dans notre pavillon, sont des investisseurs. Donc quand des investisseurs investissent dans l’art et la culture, ça veut dire que c’est un pays où l’art et l’entreprise, l’acte d’entreprendre est suffisamment rentable pour qu’on fasse un petit retour sur l’investissement au profit des artistes.
Au plan des perspectives, qu’est-ce la Côte d’Ivoire peut en attendre à l'échelle de ce grand rendez-vous du donner et du recevoir aussi ?
Ce qui est intéressant et qui, pour moi, sera un message percutant, c’est que les gens qui viennent vont se dire bon, si ce pays-là(Côte d’Ivoire) peut produire des œuvres de cette facture, c’est que ce pays-là mérite d’être vécu ; donc ça un effet correctif, et il faut savoir que l’art est devenu, de nos jours, l’un des lieux de communication de très haut niveau, les plus efficients, les plus efficaces. L’on y communique de façon intensive
Et puis, de permettre aussi aux ivoiriens de croire en cette vertu qui est essentielle pour nous tous : parce que, quand chacun se lève le matin, se lave et se peigne, s’habille, il se mire ou se regarde avant de sortir, et se convainc qu’il est beau, présentable, alors il sort ; c’est de ça qu’il est question, lorsqu’on va à Venise ; on essaie de voir quelles sont les potentialités créatives, quelle est l’énergie dont la Côte d’Ivoire est capable aujourd’hui dans des domaines, où la compétition est autorisée aujourd’hui. Je veux dire qu’on ne peut pas se battre économiquement avec des pays comme le Japon, les Etats-Unis, mais culturellement, on peut le faire, sans complexe
L'on ne communique pas seulement, aujourd’hui, par les spots publicitaires ; l’on sait très bien ce que le football accomplit pour l’image et le prestige de la Côte d’Ivoire et, de la même manière, l’on y peut très bien positionner notre pays aussi. Faire connaître son pays dans des sphères qui ne sont pas très nécessairement intéressées par le football, qui sont des cercles d’affaires, qui sont des cercles de gens qui décident, et qui disposent de l’entregent, constitue un avantage cumulatif.
L'on peut très bien arriver à jouer, à présenter ; c’est comme si on jouait à présenter la Côte d’Ivoire à tous ses invités, à tous ces visiteurs de marque qui vont voir notre travail. Ce pays vaut la peine d’être vécu ; ce pays veut la paix ; ça vaut la peine qu’on y investisse ; c’est de ça qu’il s’agit. Tous les grands pays du monde y vont systématiquement, l’Asie, le Japon.
Par exemple, le lieu où la Côte d’Ivoire expose, avait, l’année dernière, enregistré la participation de la principauté d’Andorre, ainsi que la Chine. Pour eux, c’est une tradition, c'est-à-dire de la même manière que chacun se débrouille pour envoyer son film au festival de Cannes, de la même manière chacun se débrouille pour envoyer des œuvres à Venise. Il est amusant de savoir que, pour la présente édition, le pavillon français sera représenté par un artiste allemand. Au nom de prétendus traités franco-germaniques.
Tout ceci, pour indiquer que, parfois pour faire avancer l’idée du pays, tout comme parfois l’on s’attache les services de mercenaires(…). La France a joué aussi ce jeu-là pour montrer comment ils sont ouverts vis-à-vis de l’Allemagne. C’est symboliquement très fort ! Vous ne pouvez pas imaginer ce que la Côte d’Ivoire y gagne !
AIP