Stabilisation du cordon sableux : Lahou-Kpanda sauvé des eaux (Reportage)
Il est exécuté depuis lors par une entreprise belge dans le cadre du Projet d’investissement pour la résilience des zones côtières ouest-africaines (Waca-ResIp), pour un coût d’environ 28 milliards de FCfa, dont un apport de près de 21 milliards de la République d’Espagne. Ce montant fait partie de l’enveloppe de 35 milliards de FCfa allouée au Programme Waca Côte d’Ivoire, exécuté en partenariat avec la Banque mondiale (Bm).
Le projet est porteur d’un grand espoir pour les populations des villages impactés. Qui rêvent désormais de retrouver leur vie d’antan et de profiter pleinement des atouts économiques et touristiques de leurs terres.
Alphonse Akadié, président de la coopérative Scoops-Hosalem de Grand-Lahou, propriétaire d’une quarantaine de bateaux, espère que les difficultés engendrées par cette situation ne seront bientôt qu’un lointain souvenir. « On a connu trop de problèmes. Le débarcadère, don du Roi du Maroc, est inutilisable à cause de l’ensablement de la lagune. Le financement attendu pour un projet d’élevage avec des cages flottantes tarde à venir », rappelle-t-il. Avant d’ajouter avec un brin d’espoir que le projet de réhabilitation du cordon sableux va redynamiser la pêche artisanale.
Un espoir ravivé, le 28 juin 2025, par le ministre de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique (Mineddte). Jacques Assahoré Konan a, au terme d’une visite du chantier, ce jour-là, annoncé que si tout se passe bien, l’ouvrage sera totalement achevé en avril 2026. Il avait à ses côtés, une délégation de la Banque mondiale conduite par le vice-président pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Ousmane Diagana. « Ce projet aura un impact majeur sur la vie des populations des cinq villages riverains. Il facilitera la navigation sur la lagune et soutiendra la pêche artisanale », a dit Jacques Assahoré.

Cap sur la reprise des activités économiques et touristiques
Le maire de Grand-Lahou, Ali Sissoko, est tout autant optimiste. « Ce projet est bien plus qu’une infrastructure. Il va relancer le tourisme et créer de nouveaux espaces économiques », assure-t-il.
Jean Grah Beugré, chef du village de Braffedon, salue aussi cette initiative. « La mer nous pourchassait. Nous avons dû nous déplacer pour ce nouveau site. L’embouchure faisait face au débarcadère. Avec les menaces de la mer, l’embouchure a commencé à se déplacer. Nos sites sont détruits continuellement », relate-t-il. Soulignant qu’avant le démarrage des travaux, les vagues de la mer déferlaient avec force sur la côte. Le phénomène s’est heureusement atténué.
« J’apprécie cette initiative salvatrice. La population doit être heureuse et chercher à comprendre les actions de Waca qui est en train d’aménager notre site et refaire le site de la bande côtière. La lagune et l’embouchure sont ensablées. Le projet va permettre de les désensabler, creuser l’embouchure afin que les poissons, les crustacées puissent circuler en passant de la mer à la lagune, puis dans le fleuve Bandama », a développé le chef du village, rappelant que les populations de ces zones vivent avant tout de la pêche.
Pour Ousmane Diagana, vice-président régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de la Banque mondiale, les efforts conjoints du gouvernement ivoirien et de son institution n’ont d’autre objectif que de redonner le sourire aux habitants des villages côtiers de Grand-Lahou. Il rappelle que ce projet s’inscrit dans une vision régionale visant à renforcer la résilience des communautés locales tout en soutenant des activités économiques durables.
« Compte tenu de la nature de la problématique et de ses implications, la Banque mondiale n’entend pas s’arrêter là. L’érosion côtière est une problématique de long terme, et l’institution est pleinement engagée aux côtés de la Côte d’Ivoire et des autres pays côtiers », rassure le banquier.
Le coordonnateur de Waca, Jean-Baptiste Kassi, plus explicite, fait savoir que le projet de stabilisation du cordon sableux de Lahou-Kpanda consiste à fermer l’actuelle embouchure et à en ouvrir une nouvelle, en recourant à une technologie exclusivement maritime.
Cette nouvelle embouchure, poursuit-il, sera dotée d’un revêtement du côté ouest, une zone particulièrement instable. « Si aujourd’hui la stabilité est faite, nous pensons que les villages seront sauvés. Lorsque nous commencions le projet, nous étions à 17 mètres de l’embouchure. Aujourd’hui, il ne nous reste que 2,5 mètres pour atteindre l’église catholique qui est un peu le dernier vestige de la colonisation au niveau de ce village », se félicite le coordonnateur de Waca.

Quatre sites côtiers ivoiriens dans la zone rouge de l’érosion
En dehors de la protection de l’environnement, ce projet est également engagé dans des actions et activités sociales au profit des populations riveraines.
1 219 personnes ont, à ce titre, bénéficié d’activités génératrices de revenu, dont 702 femmes. Ce, dans les domaines de l’aquaculture, l’élevage, l’agriculture, le fumage de poisson, etc.
Jean-Baptiste Kassi relève toutefois que Grand-Lahou n’est pas le seul point chaud de l’érosion et du changement climatique en Côte d’Ivoire. Le pays en compte quatre autres sites, notamment à Grand-Bassam, Assinie, Port-Bouët et San Pedro. « Le cas de Grand-Lahou est en train d’être résolu. Les populations des villages impactés seront soulagées d’ici avril 2026, avec une plage renouvelée, une berge bien propre et propice au tourisme et une reprise des activités de pêche », clame-t-il.
Le coordonnateur insiste cependant sur la situation d’Assinie. Une zone de haute fréquentation touristique particulièrement menacée par les effets de l’érosion. Il plaide pour un appui financier et technique supplémentaire de la Banque mondiale. « Il est vrai que l’Etat est soucieux de protéger les 560 kilomètres de Côte du pays, mais nous allons tout doucement pour que les zones les plus difficiles soient protégées au fur et à mesure. Nous croyons que le gouvernement, qui travaille pour les populations, va arriver à protéger toutes les zones impactées », confie-t-il.
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• Des populations reconnaissantes
Le projet, mis en œuvre par l’État de Côte d’Ivoire et ses partenaires pour endiguer l’érosion côtière dans la zone de Grand-Lahou, est de bon aloi. Il est salué à sa juste valeur par les populations des villages impactés.

Efozoubata Beugré, pêcheur, se dit heureux de voir l’État pleinement engagé pour le bien-être des habitants. « Si l’ouvrage est mené à bien, les eaux redeviendront poissonneuses. La vente de nos produits halieutiques nous permettra alors de subvenir dignement aux besoins de nos familles. Pour l’instant, c’est difficile : les prises sont rares. À Grand-Lahou, nous n’avons pas de culture de rente, seule la pêche nous fait vivre », se réjouit-il.
Aboulé Roger, aide-soignant, ne dit pas autre chose : « Ce projet est essentiel. Nous voulons que l’embouchure soit désensablée. Merci à l’État et à ses partenaires qui ont entendu notre cri de détresse. Nous espérons qu’il aboutira ». Du côté des transporteurs, l’impact se fait déjà ressentir. Nicolas Bedou Kodjo, conducteur de pinasse, explique que de nouvelles lignes de navigation ont été ouvertes pour garantir la sécurité durant les travaux.
« Avec l’érosion, ma clientèle a diminué. Les gens ont quitté la zone. Avant, je gagnais jusqu’à 30 000 FCfa par jour, avec la traversée qui se fait à 300 FCfa. Aujourd’hui, c’est compliqué. Je pense à me reconvertir dans le transport touristique, une fois les travaux achevés », dit-il.
Quant à Gao Léon, infirmier à Braffedon, il voit dans ce projet une chance pour l’avenir de sa localité : « Grâce à ces travaux, la mer ne pourra plus avancer. C’est un grand pas pour le développement de notre région ». Même constat pour James Bedou. Ce pêcheur souhaite vivement que la situation actuelle, qui a engendré la baisse de la biodiversité marine, s’estompe à jamais. « Avant, on pêchait beaucoup de variétés de poisson comme le capitaine ou le Sosso. Aujourd’hui, c’est maigre. La vie est devenue dure. On place beaucoup d’espoir dans le projet Waca et nous sommes très reconnaissants à l’État et ses partenaires », lance-t-il.
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Braffedon sous les eaux après chaque pluie
Les pluies transforment régulièrement le village de Braffedon en un véritable marécage. Le cimetière est régulièrement inondé, ses tombes à peine visibles sous une épaisse nappe d’eau stagnante. Dans tout le village, l’eau de pluie met plusieurs jours à se résorber, rendant les déplacements difficiles.

La route menant à la maison du chef de village, Jean Grah Beugré, devient impraticable pour les véhicules. Entourée d’eau jusqu’aux genoux, sa maison est quasiment coupée du reste du village. « Ma première doléance, c’est l’assainissement. Parce que chaque fois qu’il pleut, je suis inquiet », confie-t-il.
Après chaque averse, le chef s’équipe de bottes pour tenter de rejoindre les réunions municipales. Mais même ainsi, il doit souvent faire appel à un tricycle à moteur, communément appelé Saloni, pour se frayer un chemin à travers les flaques d’eau. « Parfois, les bottes ne suffisent pas. L’eau s’infiltre, et je finis les pieds trempés », raconte-t-il désabusé.

Selon lui, aucune étude préalable de canalisation n’a été réalisée pour ce site. « La lagune est au-dessus du village, la mer est au-dessus de la bande côtière. C’est un site marécageux », explique-t-il. Résultat : l’eau stagne, faute de système de drainage adéquat. Il propose une solution claire : « Il faut créer des caniveaux qui dirigent les eaux jusqu’au Bandama ». Il a également lancé un appel à la réhabilitation du foyer polyvalent du village qui tombe en ruine.
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La navigation sous contrôle de la marine en attendant la fin des travaux
Les Affaires maritimes restent en alerte pour garantir la sécurité des personnes et des biens sur la bande côtière de Grand-Lahou.

Le capitaine Ulrich Séki souligne que, dans le cadre du projet de stabilisation du cordon sableux en cours, son service est chargé de sécuriser la navigation. Cela implique notamment de veiller au respect des règles du transport lagunaire, en imposant par exemple le port obligatoire du gilet de sauvetage.
« Avec l’avancement des travaux, les risques d’accidents ont augmenté, et les transporteurs en prennent désormais conscience », explique-t-il. « Ils sont sensibilisés afin d’atteindre l’objectif zéro accident durant toute la période des travaux. Nous accompagnons donc Waca dans les conseils en matière de sécurisation de la navigation, du plan d’eau lagunaire, la sécurisation des personnes également ».
Le capitaine indique, en outre, que l’ouverture prochaine de l’embouchure élargira encore davantage leur champ d’action en matière de surveillance et de sécurité maritime pour la protection des ressources.
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Les enjeux du projet Waca
La situation de Grand-Lahou se présente comme suit. Il y a trois masses d’eau qui se rencontrent : la mer, la lagune et le fleuve Bandama. L’embouchure du fleuve migre d’Est à Ouest, à une vitesse de plus en plus rapide (près de 200m/an), entraînant la destruction de toutes les propriétés situées sur la bande de sable de «l’île barrière» où se trouve le village de Lahou-Kpanda.

À ce jour, ce sont plus de 4 100 personnes déplacées pour environ 10 milliards FCfa de pertes en biens et revenus. 60 000 habitants de la ville de Grand-Lahou sont touchés par une modification importante de la lagune.
Les objectifs des travaux de stabilisation du cordon sableux sont donc de protéger la population de Grand-Lahou fréquemment exposée à l’érosion côtière et aux inondations, restaurer et protéger les écosystèmes côtiers critiques comme le Parc national d’Azagny. Il s’agit également de renforcer le développement socio-économique, le tourisme, la pêche, l’agriculture, etc. Ce, en aménageant des chenaux et en améliorant les conditions d’échange des eaux douces et marines.
L’ouvrage est spécifiquement constitué du dragage de trois chenaux de navigation par Drague Stationnaire. Il est composé de trois quais de service (à Braffedon, Singapour et Lahou-Kpanda).