Portrait/Makouéta Touré-Bakayoko (sage-femme) : Une bonne fée en blouse rose

Makouéta Touré Bakayoko a débuté sa carrière en 2011 dans la région d’Agnibilékrou. (Ph: Dr)
Makouéta Touré Bakayoko a débuté sa carrière en 2011 dans la région d’Agnibilékrou. (Ph: Dr)
Makouéta Touré Bakayoko a débuté sa carrière en 2011 dans la région d’Agnibilékrou. (Ph: Dr)

Portrait/Makouéta Touré-Bakayoko (sage-femme) : Une bonne fée en blouse rose

Le 05/07/25 à 17:16
modifié 05/07/25 à 19:10
Son sourire, sa bonne humeur et son humanisme sont le premier remède qu'elle offre à ses patientes. Une sage-femme comme on aimerait en avoir dans toutes les structures sanitaires. Afin que les bébés arrivent en voyant la vie en rose.
Des gestes simples, de petits riens révèlent souvent la grandeur de personnes ordinaires. Des indices qui finissent en pièces à conviction pour couronner une belle âme. Nous à Zamaka, ce 11 juin 2025. C’est un coquet village d’environ 4 620 habitants. Situé dans la région de l’Indénié-Djuablin, à quelques encablures de la ville d’Abengourou, il se trouve à proximité de la petite ville de Yakassé-Féyassé, ainsi que du village de Zinzénou.

Sous le préau où se déroule la séance de vaccination, ce matin du 11 juin 2025, au centre de santé intégré dudit village, une glacière contenant des bouteilles de jus naturels et un récipient rempli de beignets attirent notre attention. Les bouteilles de jus et les beignets ne sont pas à vendre. Ils nous conduisent à Makouéta Touré-Bakayoko, la major, responsable du centre de santé.

C’est la collation qu’elle offre aux patientes venues des campements environnants. « Pendant les consultations prénatales, lorsqu’on donnait les trois comprimés de sulfadoxine-pyriméthamine aux femmes enceintes dans le cadre de la prévention du paludisme, on entendait très souvent, "je n’ai pas mangé" », se souvient la major. Ainsi naît, l’idée de la collation et depuis, autour de ces mets se tissent des moments de partage et de convivialité.

Avec amour et professionnalisme, Makouéta Touré Bakayoko est toujours disponible pour ses patientes. (Ph: Dr)
Avec amour et professionnalisme, Makouéta Touré Bakayoko est toujours disponible pour ses patientes. (Ph: Dr)



Moments de partage et de convivialité

Au milieu des femmes venues en consultation ou pour la séance de vaccination, la major du centre de santé s’active avec un sourire qui devient parfois un rire. Sur ses lèvres des mots basculant du français à une autre langue pour bien se faire comprendre. Et le sourire qu’elle garde sur son visage semble illuminer le rose de sa blouse. Makouéta Touré- Bakayoko est une femme solaire.

« Ces femmes viennent des campements, quand elles arrivent, il faut saisir cette occasion pour faire passer le maximum de messages. Alors, ici nous organisons des séances d’information et de sensibilisation pour leur parler de paludisme, de l’accouchement et des signes d’alerte, des dangers d’un accouchement à domicile, de l’allaitement, de planification familiale... il faut prendre le temps de bien leur faire comprendre les choses », explique-t-elle.

Seulement, ventre affamé n’a point d’oreille. « Si nous prenons trop leur temps et qu’elles repartent le ventre vide dans les campements, ce n’est pas sûr que certaines reviennent pour d’autres consultations », fait remarquer la sage-femme.

Cette collation est un geste désintéressé aux antipodes des bienfaiteurs des temps nouveaux qui donnent et agissent très souvent caméras au poing. Un bel altruisme qui laisse entrevoir la générosité du cœur.

Pour les femmes qui fréquentent le centre de santé, la sage-femme est une perle rare.

Makouéta Touré Bakayoko a développé une belle complicité avec ses patientes. (Ph: Dr)
Makouéta Touré Bakayoko a développé une belle complicité avec ses patientes. (Ph: Dr)



Plus qu’une professionnelle, une « maman »

Une professionnelle de santé qui, souvent, passe ses nuits dans son bureau où les populations, en cas d’urgence, peuvent la trouver. Et lorsqu’elle n’y est pas, on n’hésite pas à aller chez elle, taper à la fenêtre de sa chambre pour la sortir de son lit. Et quand la fatigue se fait sentir, elles proposent de se faire masseuses pour remettre leur bonne fée sur pied. La proximité avec ses patientes est frappante. Et certaines, parmi elles, l’appellent « maman ».

D’ailleurs ses patientes, au cours d’un moment de réjouissances, l’ont célébrée lors de la fête des mères. « Ce geste m’a profondément marquée. Plus que le présent, c’est le témoignage de leur attachement à ma personne qui me comble », se réjouit-elle.

« Madame ça là ? Elle peut pas bouger, elle va rester ici. Si elle s’en va à quelque part, on va partir là-bas aussi avec elle », lance une patiente dans un français approximatif. « Et puis, elle est venue avec la chance. Depuis qu’elle est là, il y a beaucoup de bébés », ajoute-t-elle dans un grand éclat de rire.

Ce travail semble une évidence pour Makouéta qui obtint son Baccalauréat au collège François Mitterrand de Yopougon, après une scolarité « itinérante » au gré de la solidarité familiale pour payer sa scolarité. « J’ai perdu mon père quand j’étais en classe de seconde, je me suis promenée chez mes oncles pour que chacun m’aide dans ma scolarité », relate-t-elle le regard voilé par la tristesse. Très jeune, elle a appris la force d’une main tendue et sait donner.

Un sacerdoce en hommage à son défunt père

Cette élève, qui aurait pu faire des études supérieures, choisit d’entrer à l’Institut national de formation des agents de santé (Infas) en 2006. Son père, depuis sa tendre enfance, disait à tous que sa petite fille serait un jour sage-femme. Et pour ce commis-magasinier, l’entrée au collège de Makouéta confirme le chemin qu’il veut lui tracer vers le futur.

La petite fille de cette famille sans grand moyen va finir par s’approprier ce rêve paternel maintes fois répété. Toutes les fois qu’il était question de métier, ses amis d’enfance se souviennent de cette réponse : « Je vais être sage-femme » qui revenait comme une litanie. Prémonition ou simple souhait, peu importe, le rêve du père a fini par s’accomplir.

Aujourd’hui, Makouéta Touré porte la blouse rose avec fierté. Et pour elle, la profession, véritable sacerdoce, est aussi un hommage rendu chaque jour à son père trop tôt décédé et qui n’a pas vu sa fille porter la blouse rose. Un père avec qui elle partageait une belle complicité et qui savait contourner les vicissitudes pour adoucir son quotidien.

Les patientes ne tarissent pas d'éloges sur les qualités humaines et professionnelles de Makouéta Touré Bakayoko. (Ph: Dr)
Les patientes ne tarissent pas d'éloges sur les qualités humaines et professionnelles de Makouéta Touré Bakayoko. (Ph: Dr)



Le cœur toujours à la tâche et un amour partagé

Après l’obtention de son diplôme comme de nombreux nouveaux fonctionnaires, elle voulait rester à Abidjan. Mais la jeune femme a été affectée dans la région d’Agnibilékrou où elle débute sa carrière en chantant. Le cœur toujours à la tâche, elle est la major du centre de santé urbain de Zamaka, construit par le conseil régional de l’Indénié-Djuablin et ouvert cette année.

« Les femmes arrivent en général anxieuses sur leur sort. Quand elles entendent le premier cri du bébé, la joie de la délivrance efface les peurs. Et savoir que l’on a contribué à ce bonheur partagé par une famille a un goût particulier. Aider à donner la vie est une grâce. J’ai eu une carrière riche en émotions », confie-t-elle.

Pour elle, la charge de travail est allégée par l’amour qu’elle reçoit. « Je travaille sans relâche ». Son dernier congé, nous dit-elle, remonte à cinq ans. Comme si chaque joie et chaque sourire partagé lui donnaient des ailes mais pas pour voler vers d’autres cieux. Elle ne cherche aucune affectation qui l’emmènerait loin de ses populations rurales.

Si elle devait, un jour, quitter « son hôpital de brousse », elle se verrait bien travailler dans l’humanitaire. Là où chaque geste compte, où chaque soin prodigué vaut son pesant d’or en termes de vies sauvées.

En suivant la voie rêvée par son père, en exerçant son métier avec cette passion, Makouéta Touré-Bakayoko ne regrette rien. Non vraiment ! Rien de rien.



Le 05/07/25 à 17:16
modifié 05/07/25 à 19:10