
Interview/Karitia Coulibaly-De Medeiros, DG de l’Agefop: "Notre taux d’insertion de 65% prouve l’efficacité de nos formations..."
En 33 ans, nous avons élaboré plus de 1000 outils de formation. Nous développons des formations par apprentissage combinant 25% de théorie et 75% de pratique en entreprise, rendant les apprenants immédiatement opérationnels. Depuis 2012, l’Agefop met en œuvre le volet formation par apprentissage du Projet emploi jeunes et développement des compétences (Pejedec) en partenariat avec la Banque Mondiale. Actuellement à sa troisième phase, ce projet couvre Abidjan et 20 autres localités. Les études d’impact réalisées par la Banque Mondiale révèlent un taux d’insertion de 65% pour nos bénéficiaires, majoritairement en auto-emploi. C’est un résultat dont nous sommes fiers, mais notre ambition est d’aller encore plus loin.
Vous avez lancé une nouvelle feuille de route pour 2024-2025. Quels sont les principaux chantiers prioritaires que vous souhaitez concrétiser rapidement ?

Notre feuille de route s’inscrit dans le plan stratégique 2021-2025, en lien avec deux programmes de notre ministère de tutelle : l’Académie des talents pour améliorer la qualité de la formation, et l’École de la deuxième chance pour la formation par apprentissage et la formation de masse. Elle s’aligne également sur le Plan national de développement (Pnd) et la vision présidentielle de faire de la formation professionnelle un pilier du développement économique. Trois axes prioritaires : Il s’agit d’abord de renforcer la notoriété et l’accessibilité de l’Agefop. Actuellement présents dans15 localités, nous visons un maillage complet dans les 31 régions. Ensuite d’accroître notre action en ingénierie de formation, en élargissant nos partenariats avec les entreprises, collectivités, et autres acteurs. Enfin de renforcer nos ressources humaines et financières, en développant les compétences de notre personnel et en diversifiant nos sources de financement.
L’Agefop a pour ambition de devenir une structure d’excellence au niveau régional. Quels partenariats sous-régionaux ou internationaux sont prévus à cet effet ?
Sous l’impulsion du ministre de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Apprentissage, nous avons accueilli des délégations de Guinée, Djibouti, Congo, etc. Ces pays souhaitent s’inspirer de notre modèle. Notre ambition est double : partager notre expertise avec la sous-région et nous enrichir de leurs expériences. Nous menons aussi des prospections en Afrique, Europe et Amérique pour développer des coopérations mutuellement avantageuses.
Le programme Passeport-Compétences prévoit d’identifier les besoins régionaux en compétences. Quelles sont les régions les plus avancées dans ce processus ?
Le programme national Passeport-Compétences, notre initiative la plus récente, s’appuie sur les missions fondamentales de l’Agefop : identifier les besoins en compétences, élaborer des référentiels de formation et former les populations locales selon les potentialités économiques. Ce nom symbolise notre conviction que les compétences constituent un passeport vers une insertion professionnelle durable, une autonomie financière et une mobilité internationale.
Nous finalisons la phase pilote couvrant trois zones stratégiques : le Sud-Comoé, la commune de Yopougon avec ses zones industrielles et le district des Savanes. Dans ces zones, les enquêtes de terrain avec jeunes, femmes, entreprises et autorités locales sont terminées. Nous analysons ces données pour produire des rapports détaillant les besoins en compétences et les formations nécessaires au développement économique. Les résultats de cette phase pilote seront disponibles en juillet. Notre ambition est d’étendre cette cartographie à l’ensemble du territoire national d’ici fin 2026 pour une stratégie nationale de formation professionnelle adaptée.
La digitalisation de la formation est un axe fort. Que propose concrètement la plateforme Digifop 2.0 et à quel public s’adresse-t-elle ?
Digifop 2.0 est un écosystème numérique complet dédié à l’orientation et à la formation professionnelle. Nous avons constaté un manque d’informations précises sur les métiers et compétences requises. Cette plateforme offre : Un répertoire exhaustif des métiers et compétences : 74 secteurs d’activité, plus de 1000 métiers, plus de 4500 compétences spécifiques. Un annuaire des établissements de formation en finalisation pour identifier où se former. Un système d’auto-évaluation basé sur l’intelligence artificielle pour des suggestions de formations personnalisées. Un espace de formation en ligne pour des cours et certifications reconnues. La plateforme s’adresse aux jeunes en quête d’orientation, professionnels en reconversion, entreprises cherchant à développer les compétences et à recruter, et organismes de formation.
Votre institution insiste sur la valorisation des métiers dits « ordinaires ». Comment travaillez-vous à changer les perceptions sur ces métiers et à renforcer leur attractivité ?
Notre stratégie de valorisation des métiers « ordinaires » (plomberie, électricité) repose sur plusieurs actions : Nous avons décidé de mettre en avant des modèles de réussite de professionnels ayant bâti des carrières prospères. Puis d’informer et sensibiliser jeunes et parents pour limiter les préjugés et élargir les choix d’orientation. Aussi de s’inspirer des pays développés qui valorisent ces métiers et ont bâti leur économie sur des compétences techniques solides. Et enfin de souligner l’opportunité démographique de la Côte d’Ivoire, avec une population jeune, pour répondre aux besoins locaux et internationaux en main-d’œuvre qualifiée. L’objectif est de garantir des compétences adéquates pour une meilleure rémunération et valorisation sociale. Les métiers de la formation professionnelle se réinventent avec les technologies avancées, offrant de nouvelles opportunités économiques et sociales.

Vous parlez d’écoute active des jeunes à travers des ateliers participatifs. Quel rôle jouent concrètement ces jeunes dans la co-construction de la stratégie de l’Agence ?
Notre approche partait traditionnellement des besoins des entreprises. Cependant, les jeunes ont exprimé des frustrations face aux solutions standardisées. Nous les impliquons donc activement dans notre réflexion stratégique. Cette démarche participative se concrétise par l’organisation de focus groupes, réunissant jeunes aux profils variés lors du 33ème anniversaire de l’Agefop. Cette stratégie repose sur l’identification collaborative des problématiques, où ces groupes analysent les défis et proposent des solutions innovantes intégrées à nos programmes. La stratégie de l’Agence repose également sur le déploiement régional pour étendre cette démarche aux différentes régions de Côte d’Ivoire, recueillir diverses perspectives et adapter nos solutions. Cette co-construction permet de concevoir des programmes qui répondent aux attentes des jeunes, tout en les sensibilisant aux opportunités de la formation professionnelle.
La formation continue et la reconversion professionnelle figurent parmi vos missions. Comment accompagnez-vous les militaires, migrants ou personnes handicapées dans ces parcours ?
La force de l’Agefop est de concevoir des programmes sur mesure pour les publics vulnérables ou en reconversion. Pour les militaires en fin de carrière : un programme complet avec le ministère de la Défense incluant identification de projet, formation business plan et recherche de financements. Concernant les migrants de retour, il y a une collaboration étroite avec l’Oim pour des programmes de reconversion ou entrepreneuriat adaptés. Quant aux personnes en situation de handicap, nous avons des programmes spécifiques de développement de compétences adaptés à leurs besoins. Ces initiatives s’inscrivent dans notre engagement pour l’inclusion sociale et professionnelle des populations vulnérables.
Avec une implantation dans 15 villes et 7 nouvelles représentations prévues, quel est l’enjeu pour l’Agefop ?
Notre stratégie de maillage territorial vise la proximité. Actuellement présents dans 15 localités avec 07 nouvelles représentations en cours d’installation, nous visons à terme une présence dans les 31 régions, voire 201 communes si les ressources le permettent. Cette expansion territoriale a plusieurs objectifs : Premièrement de rapprocher nos services des populations pour faciliter l’accès à l’information et aux formations. Ensuite, il s’agit d’intégrer aux écosystèmes économiques locaux pour répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire. Puis de décentraliser notre action pour éviter la concentration à Abidjan et contribuer au développement équilibré du territoire. Pour accélérer ce déploiement, nous développons des partenariats avec les mairies et préfectures pour disposer de locaux en attendant l’ouverture d’agences permanentes.
Enfin, quel message adressez-vous aux jeunes Ivoiriens qui hésitent encore à se tourner vers la formation professionnelle vue comme le passeport de l’avenir ?La formation professionnelle représente l’avenir pour les individus et pour notre pays. Pour que la Côte d’Ivoire rejoigne les nations développées, nous avons besoin d’une jeunesse compétente. J’invite la population à porter un regard positif sur la formation professionnelle. L’Agefop accompagne pleinement les jeunes vers une insertion professionnelle durable, en emploi salarié ou entrepreneuriat. Notre institution garantit la qualité des formations pour qu’elles correspondent aux besoins du marché. L’Agefop propose l’introduction d’un marqueur « Formation Professionnelle » dans la conception de tous les projets de développement, à l’image du marqueur Genre. L'instauration de ce marqueur dans le Plan national de développement (Pnd) 2026-2030 et les projets structurants permettront à l'Agefop d'identifier en amont les besoins en compétences, de concevoir des formations pour les populations locales, favorisant le développement et une croissance économique plus inclusive.
Interview réalisée par