Dr Sidi Ould Tah, Candidat à la présidence de la BAD : « Notre vision est bâtie sur 4 piliers pour accélérer le développement de l’Afrique »

Dr Sidi Ould Tah, Candidat à la présidence de la BAD
Dr Sidi Ould Tah, Candidat à la présidence de la BAD
Dr Sidi Ould Tah, Candidat à la présidence de la BAD

Dr Sidi Ould Tah, Candidat à la présidence de la BAD : « Notre vision est bâtie sur 4 piliers pour accélérer le développement de l’Afrique »

Le 20/05/25 à 19:22
modifié 20/05/25 à 19:28
Président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) dont il a démissionné début avril pour se présenter à l'élection à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) du 29 mai prochain, l'économiste mauritanien veut à travers un programme ambitieux en quatre points.
Monsieur le président, après avoir transformé la BADEA en une institution phare de développement du continent, vous avez décidé de vous porter candidat à la présidence de la Banque africaine de développement. Qu’est-ce qui vous a le plus motivé à prendre cette décision ?

Je pense que c'est un devoir moral pour tous ceux qui peuvent contribuer à l'amélioration des conditions de vie des populations africaines et à la transformation structurelle des économies du continent, d'apporter leurs contributions. Et je pense qu'au vu de mon expérience, aussi bien au niveau des institutions de financement du développement qu'à celui du gouvernement, et jusqu’à récemment à la tête de la Banque arabe pour le développement de l’Afrique (Badea), j'ai une vue d'ensemble de toutes les questions liées au développement du continent.

J’ai aussi tissé un réseau de relations qui est capable de m'aider à mieux remplir mes missions si j'étais élu à la tête de la Banque africaine de développement.

Ce qui motive aussi ma candidature, c'est le rôle que la Banque est appelée à jouer. Et ce rôle est extrêmement important pour le continent africain.

Je pense qu'avec ma modeste expérience, mes réseaux de relations et ma profonde connaissance des problèmes du développement en Afrique, je pourrai apporter de la valeur ajoutée à cette institution capitale pour l'Afrique.

Votre vision pour la BAD, vous l'avez déclinée en quatre axes. Pouvez-vous nous les préciser ?

Je voudrais tout d’abord remercier tous les Africains qui croient en notre candidature, en notre vision pour la banque, et qui nous soutiennent.

Ma vision est basée sur le diagnostic de la situation de notre continent, sur une multitude d’études et de recherches produites sur l’Afrique. Cette vision a été enrichie par des échanges avec des personnalités importantes en Afrique et ailleurs.

C’est fort de tout cela que nous avons bâti une vision axée sur quatre points cardinaux, qui reflètent l’étendue des changements attendus en Afrique avec l’action centrale de cet outil qu’est la BAD.

Le premier point, c’est le volume des financements. Si l’Afrique n’arrive pas à réaliser ses objectifs de développement plus de 60 ans après les indépendances, c’est en grande partie le résultat d’un réel problème de financements, de disponibilité de ressources. Chaque année, la Bad comptabilise environ 10 milliards de dollars d’approbations et décaisse autour de 5 milliards de dollars. C’est largement insuffisant quand on sait que les besoins de financement des pays africains, seulement en termes d’infrastructures représentent selon les études, entre 100 et 170 milliards de dollars par an. Quant aux besoins financiers à mobiliser pour lutter contre les effets des changements climatiques sur le continent, ils sont évalués à plus de 400 milliards de dollars par an.

C’est vrai, la BAD n’est pas l’unique acteur du financement des économies africaines, mais on est très en deçà des sommes à mobiliser pour financer le développement en Afrique. Il y a donc urgence ! C’est la raison pour laquelle, nous visons à multiplier par 10 le montant annuel des approbations et des décaissements de la BAD.

Le deuxième axe de notre vision, c’est la réforme de l’architecture financière africaine. La Bad est un peu déconnectée d’autres institutions de financement existant sur le continent (Afreximbank, AFC, Africa Ré...) dont certaines ont été créées par elle ! La Bad doit fédérer toutes ces institutions dans le cadre d’une stratégie unique pour accroître l’impact.

Prenons le cas des outils mis en place pour assurer des garanties au financement des PME : Fonds de solidarité africain, Fagace, AGF, ATIDI...Ils sont sous-capitalisés, et certains sont en duplication. Nous devons recapitaliser de ces institutions et assurer une meilleure couverture de l’Afrique par celles-ci.

Le troisième point cardinal, c’est la démographie et le dividende à en tirer. En 2050, 1 personne sur 4 dans le monde sera africaine. Le continent africain sera pratiquement la seule région du monde en croissance là où d’autres seront en décroissance. C’est un atout important mais aussi un risque si rien n’est fait. Nous entendons transformer cette croissance démographique en dividende. Ce qui passe notamment par des investissements accrus dans la formation des jeunes, dans la santé, dans la création d’emplois décents.

Notre quatrième point cardinal, c’est le développement d’infrastructures résilientes et capables d’impulser la création de valeur. L’Afrique a pendant longtemps exporté ses matières premières qui sont transformées ailleurs où elles créent de la richesse. L’Afrique doit désormais se transformer en une grande usine pour le reste du monde.

C’est un vaste programme...

Oui. Ces quatre points que je viens d’énumérer vont avoir des axes transversaux. Le premier, c’est la question du changement climatique qui est transversale et va être présente à tous les niveaux. Le deuxième, c’est la problématique des technologies, de l’Intelligence artificielle qui représente des opportunités nouvelles pour l’Afrique, pour faire des sauts importants.

Vous priorisez fort opportunément la question du financement. Mais comment comptez-vous mobiliser ces ressources dans un contexte où l'argent est de plus en plus rare et coûteux, surtout pour l'Afrique, avec tous les problèmes d’exagération du risque africain par les agences de notation qu'on connaît et qui déteignent sur les capacités de captation de ressources en quantité et en qualité? Comment comptez-vous vous y prendre ?

Je pense d'abord qu'il y a deux éléments qui sont à prendre en considération. Le premier, c'est que l'Afrique a besoin de beaucoup plus de capitaux, d'Equity plus que de prêts, parce qu'on ne veut pas augmenter l'endettement des pays africains. Nous devons donc ramener plus de fonds Equity sur le continent, et par conséquent plus d'investissements directs étrangers.

Deuxièmement, je pense que le rôle du secteur privé doit être renforcé de manière significative pour que l'essentiel des infrastructures soit financé par le secteur privé, pour que les gouvernements puissent se recentrer sur leurs missions régaliennes et aussi réduire leur endettement vis-à-vis des marchés. C'est donc sur cette base que je pense que l'objectif que je me fixe, à savoir multiplier chaque dollar par dix, est un objectif qui peut être réalisé en développant des partenariats avec les secteurs privés, avec les fonds souverains, avec les fonds de pension, avec la diaspora, mais aussi en introduisant un certain nombre d'innovations financières qui permettraient d'optimiser les bilans de la banque, qui permettraient de prendre plus de risques et qui permettraient de mobiliser plus de ressources sur les marchés de capitaux. Voilà grosso modo les contours de cette ambition pour multiplier par dix le volume de financements de l'Afrique.

Si vous êtes élu, vous prendrez les rênes de la BAD à un moment où deux institutions phares pour le développement du continent sont en train de se mettre en place. Il y a l’amorce de la mise en place du mécanisme de stabilité financière au niveau africain, et celle de l'Agence panafricaine de notation financière. Que pensez-vous de ces institutions nouvelles ? Renforcerez-vous cette tendance en cours ou pensez-vous y apporter des innovations ?

C'est une question très importante. D'abord sur la stabilité, il est évident que le continent africain, qui fait face de temps à autre à des chocs exogènes, a besoin d'avoir un mécanisme de stabilité financière comme celui que l'Europe a déjà, et que d'autres régions ont développé, sous une forme ou sous une autre. Donc ce mécanisme est très important et la BAD doit jouer un rôle capital dans sa mise en place, et surtout dans la mobilisation de ressources pour ce mécanisme.

Et je pense qu'au vu de ce que je viens de décrire comme pistes potentielles pour l'accroissement du volume des financements du développement en Afrique, on peut aussi espérer mobiliser suffisamment de ressources pour abonder ce mécanisme.

S’agissant de l'agence de notation africaine, l'idée est noble car, comme vous le savez aujourd'hui, une bonne partie des coûts qui sont payés par les pays africains dans le cadre de la dette est liée à cette perception du risque africain considéré comme assez élevé.

Et les agences de notation internationales notent souvent les pays africains de manière considérée comme assez sévère. La question qui se pose, c'est celle de savoir quelle crédibilité les investisseurs vont donner à l'Agence africaine de notation. Même si c'est une idée noble, il est impératif que cette agence ait la crédibilité nécessaire pour rassurer les investissements sinon les investisseurs ne tiendront pas compte de la notation que cette agence apporterait aux pays africains.

La question de l'indépendance, du professionnalisme et celle de la crédibilité de l'agence seront les gages de succès de cette entreprise.

Il apparaît, à travers votre vision, que vous voulez faire de la BAD ce qu'elle a rarement été ces dernières décennies, une banque de proximité. Ce qui suppose d'aller vraiment au plus près des problèmes des Africains. Et l'un des grands problèmes, ça reste toujours structurellement le sous-financement du secteur privé. Tout le monde dit que le secteur privé a un rôle moteur, on le loue, mais dans la pratique, on continue de faire face à cette question de l’accès difficile au financement des PME. Vous avez en vue la création d'un organe de garantie, d'une agence de garantie, mais encore ?

Je pense que c'est une question importante. Le sous-financement du secteur privé est une grande contrainte au développement du continent africain et je pense que le système de garantie qui sera mis en place permettrait certainement de contribuer à attirer plus de capitaux et donc à plus de financements pour le secteur privé.

Mais je pense aussi que l'Afrique a besoin, comme je le disais tantôt, beaucoup plus d’Equity que de prêts. Et donc attirer beaucoup plus des prises de participation par des investisseurs internationaux, mais aussi par la diaspora en développant des instruments adaptés, mais aussi les investisseurs nationaux africains, car nous savons quand même qu'en Afrique, on estime à plus de 4 000 milliards de dollars les actifs des différents acteurs investis, y compris des fonds de pension, des fonds souverains et des assurances.

Il y a des ressources en Afrique, mais ces ressources ont besoin d'être canalisées et je pense que la BAD a la notoriété, a la légitimité d'être un «trust broker», donc d'être un intermédiaire légitime et accepté par toutes les parties.

La Côte d'Ivoire, c'est le pays du siège de l'institution. Aura-t-elle droit à quelque chose de plus innovant en matière de financement, surtout verra-t-elle ses volumes d’approbations et de décaissements renforcés si vous remportez l’élection du 29 mai prochain ?

Je pense sincèrement que le pays du siège mérite une attention particulière. Et la proximité de la banque devrait se traduire par une plus grande contribution au développement du pays.

D'ailleurs, parmi mes priorités, dès ma prise de fonction, c'est de visiter tous les projets que la BAD a financés à l'intérieur de la Côte d'Ivoire et de comprendre ce qui marche, ce qui ne marche pas, et d'en tirer les conclusions nécessaires pour corriger le tir éventuellement, mais pour aussi accélérer la mise en œuvre des projets et augmenter le volume de financement du développement en Côte d'Ivoire.

Votre candidature est portée notamment, vous l'avez souligné, par le président ivoirien Alassane Ouattara et le président de la Mauritanie, Mohamed Ould Ghazouani. quel effet cela vous a fait de recevoir le soutien de ces deux leaders ?

Je suis vraiment très honoré par cette marque de confiance et cela m'incite aussi à redoubler d'efforts et à tout faire pour être à la hauteur de cette confiance, qui est pour moi une source d'inspiration, une source de motivation supplémentaire, pour réellement n'épargner aucun effort afin d’être à la hauteur des attentes de ces deux leaders.

Si vous êtes élu président, quelles seront vos deux ou trois grandes priorités par lesquelles vous allez commencer votre mandat?

Ma priorité sera d'abord de former une équipe de qualité. Cette équipe peut comprendre des éléments qui sont déjà à la banque. Il faut retenir les meilleurs talents, mais aussi attirer d'autres talents qui contribueront à créer mon équipe. Car je considère que l'équipe est un élément clé du succès de toute entreprise.

Deuxièmement, au cours des 100 premiers jours, je compte aussi engager une large concertation avec toutes les parties prenantes, les gouvernements, les secteurs privés, les institutions multilatérales de financement et de développement, les fonds souverains, les fonds de pension, la société civile, les jeunes, les femmes, les médias, les académiciens, les think tanks, pour réellement voir comment mettre en œuvre ma vision de la banque dans les meilleures conditions avec la plus large participation des acteurs.

Merci Monsieur le président, pour cet entretien que vous avez bien voulu accorder au Groupe Fraternité Matin.

Merci à Fraternité Matin, un bon journal que je lis depuis 1980.

Interview réalisée par Valentin Mbougueng



Le 20/05/25 à 19:22
modifié 20/05/25 à 19:28