Commerce ambulant, usage des charrettes à bras: Survivre entre répression et débrouille

... la mesure d'interdiction prise par le gouvernement...
... la mesure d'interdiction prise par le gouvernement...
... la mesure d'interdiction prise par le gouvernement...

Commerce ambulant, usage des charrettes à bras: Survivre entre répression et débrouille

Le 12/05/25 à 15:30
modifié 12/05/25 à 16:03
Chaque jour sur les artères, des vendeurs ambulants bravent klaxons, chaleur et piétinent la mesure d'interdiction décrétée par le district autonome d'Abidjan. Entre courage, blessures et arrestations, ils racontent une réalité où vendre devient un acte de résistance à la loi.
Jeudi 1er mai 2025, il est 15 heures 48 minutes. Nous sommes au Carrefour Williamsville, non loin du mémorial de Djeni Kobenan. Au signal du feu rouge, les véhicules stationnent pour laisser place aux piétons. Mais pas que !

C’est un instant précieux pour les commerçants ambulants qui squattent la chaussée de l’axe Abobo-Adjamé. Ils profitent au maximum pour proposer leurs marchandises aux usagers des véhicules.

En effet, ces vendeurs de papiers mouchoirs, d’insecticides, d’ustensiles, de sachets d’eau, de fruits et de divers produits et articles ne ratent aucune seconde pour rentabiliser ce temps «mort». Quitte à y mettre toute leur énergie en se faufilant entre les véhicules pour rattraper le client avec lequel ils s’apprêtent à conclure une vente.

Marchand d’habillages de volant et de pare-brise pour véhicules, le jeune Lookman cible un conducteur. Avec sa stratégie marketing, riche de six mois d’expérience, il essaie de convaincre son client pour l’achat d’un habillage. Après des échanges très brefs, celui-ci n’arrive pas à conclure la vente. L’homme démarre sa voiture au signal du feu vert en direction d’Adjamé Liberté.

Mais il en faut plus pour faire reculer ce jeune béninois qui, malgré la douleur due à son doigt à moitié tranché la veille, ne s’est pas accordé de temps de repos.

Cet accident s’est produit alors qu’il s’était engagé dans une course-poursuite avec les agents de la brigade de lutte contre le désordre urbain. Ici, les marchands les ont surnommés : « les hommes de Bacongo » et les décrivent comme leur bête noire.

Mais plutôt que de s’attarder sur les circonstances à l’origine de ce malheureux incident qui lui a laissé une séquelle à vie, Lookman, d’un ton posé, évoque avec un pincement au cœur comment le chauffard qui a emporté le lambeau de chair de son doigt n’a même pas pris la peine de s’arrêter pour compatir à sa douleur. « Je saignais abondamment alors je me suis rendu à l’hôpital pour faire le pansement. C’est vrai que j’ai encore mal... mais ça va passer », espère-t-il.

Ramatou Koné, vendeuse de cigarettes et de papiers mouchoirs, de renchérir : « On va faire comment ? Nous sommes entre la vie et la mort », avant de se lancer à la poursuite de ses clients.

En effet, dans le cadre de la lutte contre le désordre urbain, le district autonome d’Abidjan, avec à sa tête le ministre-gouverneur, Ibrahima Cissé Bacongo, a interdit, en avril 2024, sur le territoire du district, le commerce ambulant sur les grandes artères (avenues, autoroutes, boulevards, voies reliant les communes) la mendicité sous toutes ses formes et en tous lieux; l’usage des charrettes à bras (Wottro) ; la production, l’importation, la distribution, la commercialisation et l’usage des sachets plastiques, avec pour objectif d’assainir le cadre de vie des populations et d’assurer davantage la sécurité des personnes et des biens, ainsi qu’une meilleure fluidité routière.

Toujours sur le trottoir, même après un séjour

en prison...

Les marchands ambulants foulent au pied...
Les marchands ambulants foulent au pied...



Conscients des risques qui les attendent en s’aventurant chaque jour dans ces lieux, tous les vendeurs qui y viennent sont déjà préparés mentalement et psychologiquement à faire face à toute éventualité. Élève en classe de CM1, la petite Grâce, âgée de 11 ans, avec son morceau de pagne noué au rein, son teeshirt défraichi et une petite cuvette sur la tête, propose aussi des sachets d’eau aux passagers. Un commerce qu’elle fait pour le compte de sa grand-mère. « Je suis venue depuis 7 heures. Je suis à mon troisième paquet d’eau. Sur chaque paquet, j’ai un bénéfice de 1500 F. Mais je ne vends que lorsque je n’ai pas cours », confie-t-elle. Lorsqu’on évoque le sujet de contrôle des ‘’gens de Bacongo’’, Grâce ne décolère pas.

« Ceux-là n’emportent pas seulement les marchandises. Quand ils te prennent, ils t’envoient en prison », dit-elle la mine renfrognée. Toutefois, malgré cette menace qui plane, la petite adolescente semble épanouie dans cet environnement où les klaxons des véhicules et les bruits assourdissants font bon ménage.

Autre commune, même ambiance. Sur le boulevard Latrille, aux Deux-Plateaux, Fréjuste Koffi, également vendeur de sachets d’eau, a déjà payé les frais de cette interdiction. Il a, en effet, séjourné pendant deux semaines à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), devenue le Pôle pénitentiaire d’Abidjan (Ppa).

« C’était au mois de février, au lendemain de la Saint-Valentin, que les gens de Bacongo nous ont attrapés. Nous étions nombreux. Parmi nous, il y avait des femmes et même des mineurs. Ils nous ont d’abord conduits à la sous-préfecture, de là nous sommes allés au Plateau. Après le jugement, ils nous ont conduits directement à la Maca. J’ai fait deux semaines là-bas. Je suis même tombé malade. En tout cas, un homme normal qui arrive là-bas, forcément il tombe malade. Mais comme je n’ai pas volé, ils m’ont relâché. Je n’ai rien payé. Mais comme l’État a dit que c’est interdit, ils voulaient juste nous effrayer », raconte-t-il sa mésaventure.

... avec insouciance
... avec insouciance



A la question de savoir pourquoi, malgré cet épisode, il continue cette activité, Fréjuste répond :« Je vais faire comment ? Le repos donne la galère (manque d’argent). C’est de cette activité que je vis », précise-t-il. Le jeune homme confie avoir de nouvelles techniques dans l’exercice de cette activité. « Si tu ne connais personne ici et que tu n’es pas habitué aux gens qui ont les magasins, c’est sûr qu’ils vont vite t’attraper. Comme les propriétaires de magasins nous connaissent, quand on les voit, on entre chez eux. Mais depuis deux jours, c’est devenu encore plus compliqué, parce qu’en plus des ‘’gens de Bacongo’’, les agents de la mairie aussi nous traquent. Pis, ils sont en civil. Avec les deux groupes, il n’y a pas de négociations possibles. Ils peuvent débarquer à tout moment. Il y a même une vendeuse de pain sucré qui séjourne à la Maca depuis le mois d’avril. Apparemment, ils ne l’ont pas encore relâchée », informe-t-il. Pour Fréjuste, le commerce ambulant est destiné aux personnes courageuses. Marie-Jeanne, une jeune vendeuse de chips faits à base de banane plantain lui emboîte le pas. En effet, souligne-t-elle, « Si tu ne sais pas courir, tu ne peux pas vendre ici. Tu ne sais pas où sont les cachettes, tu ne peux pas vendre ici. Nous risquons notre vie ici pour avoir de quoi survivre ». Alors que les vendeurs ambulants se sentent menacés au quotidien, les utilisateurs de « wottro » (Charrettes) semblent moins oppressés.

Avec comme point d’ancrage un garage situé à Abobo Anador où Mamadou Bagayoko exerce, sous un soleil de plomb, la charrette pleine à craquer de fer, il se faufile entre les véhicules depuis le boulevard Nangui Abrogoua jusqu’au lieu de livraison situé à Aboboté, un autre quartier de la commune.

Peine d’emprisonnement de 2 à 6 mois

Arrivé en Côte d’Ivoire depuis maintenant deux mois, il dit mener cette activité sans inquiétude. Tout comme lui, il n’est pas rare de voir de nombreux jeunes livrer du bois ou acheminer la marchandise des boutiquiers ou celle des clients venus faire des achats en grande quantité.

Faut-il le souligner, depuis quelques années, le nombre de vendeurs ambulants et de mendiants sur les voies publiques a connu une augmentation à Abidjan. Cela avait conduit le gouvernement, en 2013, à prendre une disposition interdisant formellement quelques activités. En son article 21, la loi prévoit que toute infraction aux dispositions de l’article 19 précité est punie d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une amende de 100 000 à 10 000 000 de FCfa ou de l’une de ces deux peines. En cas de récidive, l’amende est portée au double. À la suite de cette loi, le gouvernement a interdit l’usage des charrettes à bras sur toute l’étendue du territoire du district .

DANIELLE SERI

(Stagiaire)

Le 12/05/25 à 15:30
modifié 12/05/25 à 16:03