Aboudia (Abdoulaye Diarrassouba) : Le « môgô » puissant de la peinture
Des nombreuses légendes qu’on peut construire pour créer le lien émotionnel avec l’artiste et romancer le phénomène Aboudia, une chose demeure : la passion dévorante d’un jeune homme pour la peinture. Au point de braver les oppositions, d’affronter la colère des siens et de quitter la maison familiale et sa ville. Il aura toujours pour viatique sa passion de l’art et la grandeur de son rêve.
Abdoulaye Diarrassouba étudie au Centre technique des arts appliqués de Bingerville, puis, en 2005, obtient son diplôme à l’École des Beaux-Arts d’Abidjan. Des techniques apprises, il va mûrir son style et sa démarche esthétique. Et sur ce chemin-là, Abdoulaye Diarrassouba connaît la route de l’errance, la tristesse de se voir refuser les cimaises de certaines galeries.
L’art est pluriel et l’écriture picturale du jeune artiste n’a pas la même résonnance pour tous. Le jeune homme va son chemin à la rencontre d’autres sensibilités. « C’est un grand bosseur. Il a travaillé très dur pour être à la lumière », s’accordent à dire les personnes qui l’ont côtoyé.
De ces traits de caractère, on souligne aussi son humilité à s’ouvrir au travail des autres. Il a visité de nombreux ateliers pour lire d’autres écritures, voir d’autres techniques, apprécier d’autres démarches. Sa belle ouverture d’esprit a enrichi son empreinte.
« La bataille d’Abidjan » et le triomphe d’Aboudia
Abdoulaye Diarrassouba est à ses pinceaux quand la Côte d’Ivoire bascule dans la violence après l’élection présidentielle de 2010. Cette crise post-électorale a été une sorte de levain pour son travail.
En effet, à Abidjan, cette « Perle des lagunes » devenue le théâtre d’atrocités indicibles, le jeune artiste, témoin oculaire au cœur de cette spirale, absorbe et extériorise son ressenti au cours de cette douloureuse parenthèse. Il y a des témoignages qui, une fois livrés, marquent au fer.
Au bout de toutes ces tribulations, jaillit Aboudia, inattendu et majestueux, à la faveur d’une rencontre. Ses œuvres sont diffusées à travers le monde grâce aux photographies réalisées par Finbar O’Reilly pour Reuters. Et depuis, le rêve flirte avec la réalité qui côtoie les cimes.
Sa première exposition personnelle, « La bataille d’Abidjan », dans une galerie basée à Londres, en 2011, est un succès. Le plasticien s’installe dans la cour des grands. Là où on ne l’a pas vu venir. Sa percée est fulgurante.
Les expositions prestigieuses et les ventes aux enchères s’enchaînent. Dans le milieu, les experts affirment que le plasticien fait partie des artistes qui ont vendu le plus grand nombre d’œuvres aux enchères l’année précédente.
« Selon le Hiscox Artist Top 100, Aboudia avait vendu 75 lots. L’une de ces toiles a été vendue pour 504 000 livres sterling (640 000 dollars) », peut-on lire dans un article publié par la BBC.
Ses toiles s’arrachent par les plus grands collectionneurs, de Marrakech à Hong Kong, en passant par Paris, Londres, New York et Pékin. Dans le milieu, son nom est écrit dans les petits papiers. Et le montant que prennent ses créations pourrait bien faire de certaines d’entre elles des valeurs refuge.
Le travail d’Aboudia est présent dans de nombreuses collections, notamment celles de la Saatchi Gallery à Londres, du Nevada Museum of Art à Reno aux États-Unis ou encore de la Tiroche DeLeon en Israël. Conséquence, les prix de ses œuvres s’envolent.
Une toile créée en 2015 a atteint un prix final de 231 355 dollars, au cours d’une vente en ligne avec la maison de vente aux enchères Sotheby’s.
Si les montants de la vente de certaines de ses œuvres donnent le tournis, lui dit garder la tête froide. « Aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé ? », s’interroge-t-il en énumérant des habitudes d’hier qui luisent encore au soleil d’aujourd’hui.
Ce n’est pas le succès qui changera, par exemple, sa façon de paumer son garba. « Aboudia reste un petit frère très respectueux », nous dit Salif D. Cheickna, journaliste culturel à Fratmat.info, qui a suivi la trajectoire de ce célèbre plasticien.
Prix d’excellence pour le cinéma et les arts visuels
Le « môgô » puissant de la peinture met en avant la force du travail qui rend le succès possible. Le 5 septembre 2023, le fils prodige est fait prophète chez lui, à l’occasion de la 10e édition du Prix national d’excellence. Ce jour-là, il lui a été décerné par la Présidence de la République de Côte d’Ivoire, le Prix d’excellence pour le cinéma et les arts visuels.
Et pour l’édition 2024, l’artiste plasticien Tamsir Dia qui remporte le même Prix est considéré comme l’une de ses influences. Au-delà de la résonnance dans leurs signatures (AbouDIA et Tamsir DIA), leurs langages picturaux ont en partage leur puissance et leur originalité.
Le fils d’Apprompronou (Abengourou) qui vit désormais entre Abidjan et Brooklyn a créé une fondation à Bingerville pour aider à l’épanouissement et à l’intégration sociale des enfants et des adolescents en difficulté.