Dr Kouamé Kouadio, chauffeur de bus : "J’ai passé deux décennies de ma vie à rechercher le Doctorat"

Malgré son âgé avancé, il a tenu à avoir son doctorat. (Dr)
Malgré son âgé avancé, il a tenu à avoir son doctorat. (Dr)
Malgré son âgé avancé, il a tenu à avoir son doctorat. (Dr)

Dr Kouamé Kouadio, chauffeur de bus : "J’ai passé deux décennies de ma vie à rechercher le Doctorat"

Le 24/11/23 à 09:22
modifié 24/11/23 à 09:22
Dr Kouamé Kouadio, chauffeur de bus à la Société des transports Abidjanais (SOTRA), a certes obtenu le doctorat avec la mention très honorable et félicitations du jury. Mais le chemin pour se hisser ce titre n'était pas donné. Il raconte dans cette interview, ses difficultés qui selon lui sont d'ordre moral, pécuniaire et académique.
Vous êtes chauffeur depuis une vingtaine d’années. Vous avez 54 ans. Qu’est-ce qui vous a motivé à encore faire un doctorat ?

C'est non seulement l'amour des Sciences du langage, mais également le souci de relever un défi personnel qui m'ont poussé à réaliser mon Doctorat. Mon goût pour l'apprentissage des langues est antérieur à mon avènement à l'Université. J'étais en seconde A au Lycée de Daoukro lorsque notre professeur d'histoire-géographie avait posé la question de savoir ce qu'est la théocratie à toute la classe. Aucun élève n'avait levé la main. Lorsque j'avais levé la mienne et que j'avais dit : en Grec...Mes condisciples avaient commencé à se moquer de moi. Le professeur les avait calmés et m'avait laissé continuer. J'avais ajouté que la racine ''theos'' renvoie à Dieu et ''Kratos'' réfère à un pouvoir ou un gouvernement. Lorsque j'avais précisé que je n'avais jamais rencontré ce mot mais qu'il pourrait traduire un pouvoir ou un gouvernement basé sur des croyances divines, ce dernier s'écria : très bien ! Et il m'avait donné 15/20 en guise de note d'oral. C'est pour dire que je peux connaître le sens de certains mots que je n'ai jamais vus. C'est somme toute un plaisir pour moi d'apprendre les Sciences du langage. De plus, de nature, j'aime accomplir ce que je commence. Je désire également exceller dans les domaines où j'exerce. Le mot Doctorat suggère d'ailleurs l'idée de savant !

En 1998, vous étiez déjà titulaire du Diplôme d’études approfondi (DEA). C’est dire que vous avez sacrifié de plus de 20 ans à la thèse de doctorat. Racontez-nous un peu ce parcours.

Je vous remercie de me permettre de relater un pan laborieux mais exaltant de mon vécu. J'avais commencé mon métier de Chauffeur à la Sotra avec un DEA (actuel Master 2) en poche. Je m'étais inscrit en Thèse depuis 2001. Cependant, malgré mon abnégation, je n'avais pas pu l'achever. Trois anicroches majeures m'en empêchaient. Ils étaient d'ordre moral, pécuniaire et académique. J'étais gagné par le découragement car les soutenances dans ma filière étaient rarissimes. De plus, je manquais de moyens financiers, surtout lorsque j'avais fondé un foyer. Aussi, le suivi académique était trop lent. Il est aussi bon d'ajouter que presque toutes les entreprises refusaient s'abriter une enquête sur son capital humain, mon sujet ayant trait aux ressources humaines. C'était donc difficile de progresser. D'aucuns évoquaient des causes surnaturelles à ce blocage. J'étais même l'objet de raillerie de la part de certaines personnes. On me disait par exemple que c'est parce que je ne suis pas intelligent que je ne finalise pas ma thèse. Pourtant, j'en avais les capacités intellectuelles. Pour preuve, en Maîtrise, j'avais obtenu la plus forte note à ma soutenance (16/20). C'est mon ami, professeur de philosophie Kouamé Django qui a été le déclic qui a tout tourné à ma faveur. Il m'a mis en contact avec mon Directeur de thèse, Professeur Kouamé Kouakou. Ce dernier a su exercer sur moi une coercition pédagogique qui m'a incité au travail. En somme, il m'a suivi ex professo jusqu'à l'achèvement de ma thèse soutenue le 10 novembre 2023 où j'ai obtenu la plus haute mention : très honorable avec les félicitations du jury. Je me suis donc mis péniblement au travail. Je passais régulièrement des nuits blanches. Lorsque j'arrivais à la maison à 22h après le boulot, après avoir mangé et m'être lavé, une fois ma petite famille au lit, à partir de 23h jusqu'à 4h ou 5h du matin, je m'asseyais devant mon ordinateur pour étudier. Je dormais pendant 4h et je repartais au travail. J'ai fait cela sur 3 ans.

Avez-vous bénéficié du soutien de la direction générale de la Sotra ?

J'ai obtenu de la direction générale de la Sotra une caution morale ! Pendant l'exercice du précédent directeur général, malgré mes nombreuses sollicitations pour obtenir une autorisation d'enquête au sein de l'entreprise, rien n'y fit. Cependant, la direction générale actuelle m'a permis de l'obtenir. C'est pourquoi je lui en saurais gré.

Après le doctorat, quels objectifs visez-vous ?

J'ai passé deux décennies de mon existence à obtenir mon Doctorat. Cela n'est pas du donné. C'est après plusieurs sacrifices que je suis parvenu à l'accomplir. Aujourd'hui, je suis à 5 ans de ma retraite. Je prie Dieu, l'Omnipotent, l'omniscient et l'Omniprésent de me gratifier d'un emploi plus prometteur afin que mes efforts et mes sacrifices ne soient pas vains. C'est à cette quête que je vais œuvrer désormais.

Quel est votre message à l’endroit de vos collègues ?

Je voudrais profiter de votre journal pour adresser mes remerciements les plus chaleureux à l'ensemble des travailleurs de la Sotra, l'administration fonctionnant de façon systémique. Ils ont été nombreux à m'appeler pour me féliciter à me souhaiter une bonne chance. Pour mes collègues chauffeurs, je les ai honorés car nul ne va désormais les considérer avec apriorisme et les reléguer au bas niveau de l'intellectualité. Pour finir, je les exhorte à la recherche de compétences. McLuhan disait : ''A l'ère de l'électricité et de l'automatisation, le monde devient une collectivité de l'apprentissage continu, un vaste campus où tous, quel que soit leur âge, gagnent leur vie en apprenant.''

Interview réalisée par


Le 24/11/23 à 09:22
modifié 24/11/23 à 09:22