Reportage-Vente du pain à la criée, livraison à moto, à pied...: Attention, danger !

Des clients, avant l'achat, manipulent à souhait plusieurs baguettes.
Des clients, avant l'achat, manipulent à souhait plusieurs baguettes.
Des clients, avant l'achat, manipulent à souhait plusieurs baguettes.

Reportage-Vente du pain à la criée, livraison à moto, à pied...: Attention, danger !

Le 14/11/23 à 10:19
modifié 14/11/23 à 10:23
Le pain est un aliment très consommé en Côte d’Ivoire. Mais les conditions de sa livraison, dans bien de villes, notamment à Abidjan, laissent à désirer, comme l’atteste cette scène.

Un jeune homme à moto, avec deux sacs de farine remplis de baguettes de pain, roule à vive allure sur l’une des ruelles tortueuses du quartier situé dans le dos du Centre hospitalier et universitaire (Chu) de Yopougon, en reconstruction. C’était aux alentours de 5h 30. Dans sa course, il évite de justesse de percuter une petite fille qui sortait précipitamment de la mosquée du secteur.

La gamine avait suivi sa mère au lieu de culte pour la prière de l’aube, le ‘’ Fajr’’. Elle avait certainement profité de l’inattention de sa génitrice pour s’échapper. Le motocycliste qui a failli la renverser a presque fini sa course dans un fossé, dans des eaux usées. Un des sacs de pain s’est retrouvé au sol, avec quelques baguettes par terre.

Le jeune homme s’est relevé et a rassemblé rapidement ses affaires pour filer sur sa moto. Une autre scène aussi édifiante que la première où un distributeur ambulant, en pleine journée, saisi par un besoin pressant, marque un arrêt. Il gare sa mobylette juste à côté d’un caniveau contigu à l’école primaire située en face de ‘’ l’Allocodrôme’’ du Banco II, toujours à Yopougon.

Il ouvre sa braguette pour uriner le long du mur de l’établissement scolaire. Sans se laver les mains, il vient remonter sur sa moto et s’en va. Pendant la livraison, il manipulera forcément les baguettes qui seront distribuées.

Jean-Marc Aboui, contrairement aux deux premiers jeunes, livre le pain à pied. La vingtaine environ, il habite à ‘’Songon-Carrefour Gravier’’ où il exerce son activité. Son sac de farine en bandoulière rempli de baguettes, l’adolescent arpente une des ruelles de cette zone, un samedi matin. Nous l’abordons. Les échanges portent sur sa ‘’ profession’’.

Après un instant d’hésitation, notre interlocuteur confie : « Moi, je n’ai pas de moto pour me déplacer. Et puis, je ne livre que dans le quartier. Je n’ai pas besoin d’aller plus loin. Très tôt le matin, je me rends à la boulangerie du quartier. Je récupère mes sacs de pain pour aller faire mes livraisons. Je suis en retard aujourd’hui ».

Un groupe de jeunes qui l’ont reconnu s’approchent de nous, pendant la discussion. Ils lui serrent la main avec enthousiasme et continuent leur chemin. Prenant congé de nous, le jeune livreur se dirige vers une boutique d’où il retire quelques baguettes du sac et les dépose sur un vieux frigo.

« Je repasse après pour prendre l’argent », lance-t-il au tenancier du local, en s’éloignant. Quelques mètres plus loin, il réitère le même geste chez un vendeur de ‘’Café-Aboki’’. (C’est un café commercialisé dans une baraque de fortune ou en plein air et tenu essentiellement par les Nigériens). De là, Aboui Jean-Marc se rend dans un collège du quartier pour ‘’approvisionner’’ les ‘’vendeuses de pain avec condiment’’ installées aux abords de cet établissement secondaire.

Durant tout son circuit, le livreur qui a eu des contacts physiques avec des gens, a distribué le pain, sans avoir pris le soin de se laver les mains. Cette absence de dispositions hygiéniques se constate chez la majorité des livreurs.

A l’instar de Yopougon et Songon, le pain est distribué à moto dans quasiment toutes les communes du district autonome d’Abidjan. A Cocody-Faya-II Plateaux, Adjamé, Koumassi en passant par Abobo, Anyama, Attécoubé... Cette pratique est aujourd’hui la norme. Il en est de même dans des villes de l’intérieur comme Yamoussoukro. Amani Kouassi Élodie, vendeuse de ‘’Pain-brochettes’’ à la gare Utb, dans la capitale politique, dit recourir à ces livreurs de pain dans l’exercice de son commerce.

« Ce sont eux qui nous livrent le pain. Il n’y a pas d’autres alternatives. Avant, c’était dans les fourgonnettes qu’on nous apportait le pain. Mais ces véhicules de livraison ont disparu aujourd’hui », déclare-t-elle.

Toutefois, la dame reconnaît que solliciter les services de ces derniers présente souvent des risques. « Un jour, un client a acheté du pain et de la viande hachée chez moi. Peu de temps après, il est revenu se plaindre, prétextant qu’il y avait un arrière-goût dans la bouchée de pain. Énervée, je l’ai rabroué. 10 minutes après, un autre monsieur est venu exprimer le même type de mécontentement. Ma réaction a aussi été vive à l’endroit de ce dernier. Après m’être calmée, j’ai consommé un morceau de pain pour avoir le cœur net. La bouchée avait réellement un arrière-goût amer », a-t-elle reconnu.

Puis d’enchaîner : « J’ai automatiquement appelé mon livreur de pain pour l’interroger. Devant mon insistance, il a avoué que pendant son trajet, un des sacs de pain était tombé par terre. Mais qu’il a eu peur de me le dire ».

La livraison du pain sur les engins à deux roues ou à pied est une activité prisée par des jeunes. Cet engouement, selon Ali Sabana, responsable d’une boulangerie à Adjamé, est justifié par la petite marge réalisée par les livreurs. « Le prix homologué de la baguette de pain est de 150 et 200 F Cfa. Les boulangers donnent la baguette de pain de 150 à 100 FCfa aux livreurs qui la revendent à 125 FCfa aux vendeuses ou à toutes autres personnes qui commercialisent ce produit. Celles-ci réalisent ainsi un bénéfice de 25 F Cfa sur chaque baguette de pain. Les vendeuses ou les boutiquiers, à leur tour, revendent la baguette de 125 F Cfa reçue à 150 FCfa. Eux aussi réalisent un bénéfice de 25 FCfa. Ainsi, chacun y trouve son compte », confie-t-il.

‘’Des baguettes exposées aux mouches et aux fumées des pots d’échappement’’

Dans les marchés, le pain se vend à la criée. Dans celui de Yopougon Banco 2, les vendeuses sont assises côte à côte. Plusieurs d’entre elles sont même installées aux abords de la voie avec leurs marchandises exposées à l’air libre, dans des bassines. Certaines, à l’aide de vieux journaux, chassent les mouches qui bourdonnent autour des baguettes. Des bestioles arrivent tout de même à se poser sur les denrées. Une des vendeuses, avec sa cuvette de pain non recouverte, est installée jusque sur le trottoir plein de boue. Des passants ou les personnes venues faire le marché sont souvent obligés d’enjamber sa bassine remplie de baguettes. Aussi, certains clients, pendant l’acte d’achat, n’hésitent pas à toucher les baguettes de pain avant d’en choisir un. L’artère qui jouxte ce marché est très fréquentée par les gbaka (mini-cars) et autres gros camions.

Le trafic y est toujours dense avec un flux constant de fumées qui se dégagent des pots d’échappement des véhicules de transport en commun. Et les baguettes de pain, sans aucune protection, restent en permanence au contact des particules invisibles à l’œil et qui circulent dans l’air, au grand désarroi de Adingra Koffi, vendeur de produits phytosanitaires. « Cette manière d’exposer le pain à la poussière et aux gaz des voitures peut provoquer des maladies ou des allergies chez les personnes qui vont consommer ce type de pain acheté dans les marchés. Il faut interdire cela », s’écrie-t-il.

Oumar Diakité, étudiant dans une grande école, dit lui aussi être conscient des risques encourus dans la consommation de ce genre de pain. Toutefois, il fait cette confidence: « Moi, c’est le rapport prix-qualité que je regarde. Chez les vendeuses de pain, on peut acheter à 100 FCfa, surtout les matins de bonne heure, des baguettes croustillantes et souvent chaudes qui se vendent dans les boulangeries à 150 FCfa ». Affoué Delphine, une institutrice, à contrario, préconise l’achat du pain dans des lieux appropriés et réservés, à cet effet. « Moi, je conseille aux gens de faire comme moi en allant acheter leur pain dans les boulangeries. Cela me permet d’éviter certaines maladies », conseille la jeune fille.



Le 14/11/23 à 10:19
modifié 14/11/23 à 10:23