Frontière ivoiro-ghanéenne: Badoukro, le village qui appartient à deux pays





Une simple borne matérialise la frontière entre les deux pays.
Une simple borne matérialise la frontière entre les deux pays.
Une simple borne matérialise la frontière entre les deux pays.

Frontière ivoiro-ghanéenne: Badoukro, le village qui appartient à deux pays

Le 06/10/23 à 10:31
modifié 06/10/23 à 10:31
On parle de double nationalité, le fait de posséder simultanément deux nationalités. Ces exemples sont légion, tant en Afrique que dans le monde entier. Mais un village qui appartient à deux pays, c’est vraiment rare. Et pourtant, c’est le cas de Koffi Badoukro, scindé en deux par la frontière ivoiro-ghanéenne. C’est dans le département de Koun-Fao, au nord-est de la Côte d’Ivoire, dans la région du Gontougo, District du Zanzan.
Avec la partition de Koffi Badoukro entre l’État ivoirien et celui du Ghana, comment les habitants vivent-ils ? Ce village a-t-il les moyens pour assurer au mieux son développement ? Autant de questions qui méritent un reportage. A la veille de notre départ pour cette localité, un journaliste local qui connait bien cette zone, disait ceci : « Si vous y allez avec un véhicule de service portant le logo Fraternité Matin, soyez prudents. » Rencontré à Agnibilékrou, un jeune homme que nous avons approché pour indiquer la voie qui mène à Koffi Badoukro, avec la fougue propre à son âge, renchérit : « Vous allez à une aventure qui sera difficile. Que le Seigneur vous accompagne. »

Samedi 23 septembre 2023, nous voici à Koffi Badoukro. Il était environ 12 h 20 min. A l’entrée du village, un jeune homme à qui nous avons posé la question de savoir s’il pouvait nous indiquer la maison du chef, répond, sèchement : « Je suis étranger ici. » Quelques minutes après, nous rencontrons un groupe de trois jeunes gens. Deux d’entre eux jurent, le doigt tendu vers le ciel, qu’ils ne connaissent pas le chef du village de Koffi Badoukro. Les propos alarmistes que le journaliste et le jeune ont tenus à Agnibilékrou me viennent à l’esprit : « Soyez prudents. C’est une aventure difficile. » Mais Dieu en a décidé autrement. En effet, le troisième jeune du groupe, gare sa moto, il en descend et vient vers nous. De loin, il indique, du doigt, un arbre qui est dans une cour: celle du chef du village de Koffi Badoukro. Une fois là, une jeune fille nous accueille et fait savoir que le chef est allé au champ. Sur ces entrefaites, Mme Fodjo Affoua Somia Géneviève, présidente de l’association féminine « Anouanzè Club » de Koffi Badoukro décide d’aller informer le chef de notre arrivée. Il s’agit plutôt du chef intérimaire : Nanan Kouakou Yao Taki. Le vrai chef s’appelle Nanan Koffi Apessika. Malade, il se fait soigner à Kouan-Fao.

D’un commun accord, rendez-vous est pris pour le lendemain (dimanche 24 septembre 2023) pour un entretien. Il est 9 h. Notables, représentantes des femmes et ceux des jeunes sont rassemblés autour du chef intérimaire, Nanan Kouakou Yao Taki. Heureux de recevoir notre équipe de reportage, ils rappellent, avec un brin de nostalgie et de joie profonde que fondé par Koffi Badou, un Agni, le village est aujourd’hui peuplé d’Agni, de Koulango, d'Abron, de Lobi... et des allogènes. Selon eux, c’est à la faveur du tracé de la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, que Koffi Badoukro a été partagé entre les deux États. Une route dont seuls les habitants peuvent reconnaître, étant la limite des deux territoires. Heureusement qu’il a y a deux bornes qui sont encore bien visibles.


Gouvernance villageoise

« Avant l’arrivée de la frontière, c’était un village unique, dirigé par un seul roi : Nanan Koffi Badou, le fondateur », révèlent les notables. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, chaque partie a son chef. Ici, c’est la famille Koffi Badou qui dirige le village. Côté ivoirien comme côté ghanéen. Nanan Kouakou Adjoumani est décédé, il y a 9 ans. Son successeur, Apabine Tchêrêmê sera installé bientôt. »

Une précision de taille : la partie ghanéenne est dirigée par les neveux et la partie ivoirienne, par les petits-fils. Cette convention décidée par la famille est-elle respectée ? « Oui », soutient la notabilité qui rassure : « Cela permet de maintenir le village dans la cohésion, l’harmonie, la solidarité... Nous faisons tout, ensemble : funérailles, mariages etc., et nous partageons les ressources naturelles (arbre fruitier, espace de chasse, etc.) ou offertes par l’un des États, c’est-à-dire centres de santé, écoles, pompes villageoises... »

Comme on le voit, la famille du fondateur est disséminée sur les deux parties du village. Ce qui veut dire que le choix des notables ne tient pas compte de la frontière.

Atouts et faiblesses

Koffi Badoukro est un village électrifié. Dans la partie ivoirienne, les poteaux électriques sont en béton, et ceux du côté ghanéen, en bois. Au niveau du foncier rural, la population affirme qu’elle n’a aucun problème. Côté économique, Koffi Badoukro a une population laborieuse qui récolte tous les ans, des quantités estimées considérables de vivriers : igname, manioc, taro, banane, maïs...autant qu’elle le fait pour la culture de l’anacarde, d’hévéa, de café et de cacao qui constitue, du reste, la principale source de revenus. Combien ces activités agricoles rapportent-elles ? Mystère !

Les jeunes cultivent la tomate, le piment et le chou, pendant que les femmes regroupées en association, s’intéressent au gombo, à l’arachide, à l’aubergine...

Koffi Badoukro est doté de deux forages équipés de pompes. Le souhait des habitants : avoir un château d’eau.

Un marché hebdomadaire se tient tous les mercredis, des deux côtés, simultanément.

Malgré ces atouts, le développement semble bouder Koffi Badoukro. Certes, quelques somptueuses maisons commencent à sortir de terre. Mais une vue générale de Koffi Badoukro offre un triste décor. De vieux bâtiments et leurs toitures rubigineuses rappellent une certaine époque. Des rues sont encore poussiéreuses...Tout ou presque semble révéler ici la détresse des 4000 habitants environ de ce village plein de symboles avec sa position géographique historique.

Dans le domaine sanitaire, Koffi Badoukro, côté ivoirien, n’a pas de centre de santé.

Sa voie d’accès, à partir du village d’Ifo dont il est distant de 7 km, n’est pas bitumée. Du côté ghanéen, celle qui mène à Koffi Badoukro est bitumée. D’où le vœu de nanan Kouakou Yao Taki et ses populations : « Que l’État de Côte d’Ivoire désenclave Koffi Badoukro en bitumant ce tronçon pour faciliter le déplacement et mettre le village sur l’orbite du progrès. »

Autre problème qui préoccupe les fils et filles de Koffi Badoukro, c’est l’insécurité. Nombreux sont ceux qui reconnaissent que les braquages sont récurrents. « On fait coucher les parents pour les dépouiller », soutiennent-ils, en chœur.


Le 06/10/23 à 10:31
modifié 06/10/23 à 10:31