La chronique de Venance Konan: Garder les pieds sur terre

La chronique de Venance Konan: Garder les pieds sur terre. (Ph:DR)
La chronique de Venance Konan: Garder les pieds sur terre. (Ph:DR)
La chronique de Venance Konan: Garder les pieds sur terre. (Ph:DR)

La chronique de Venance Konan: Garder les pieds sur terre

Le 20/08/23 à 12:25
modifié 20/08/23 à 12:34
Lorsque j’étais étudiant, je passai une année dans les baraques en bois de la cité Jean Mermoz à Cocody. Mon voisin de chambre s’appelait Apollinaire et venait de l’ouest de notre pays.

Le premier matin de notre cohabitation, il me surprit par un manège qui se répétera chaque matin, durant tout le temps que nous passerons ensemble dans cette chambre.

Ce matin-là, à mon réveil je le vis, tout étonné, pour ne pas dire effrayé, habillé seulement d’un cache-sexe traditionnel de sa région, un chasse-mouche en main, en train de danser avec conviction sur une chanson de chez lui.

Lorsqu’il finit, il me dit : « voise (pour dire voisin), avant d’aller faire le « papier des Blancs », il est important de plonger dans nos traditions. »

J’ai revu Apollinaire il y a quelques années, avant que je ne quitte la direction de Fraternité Matin. Il était cadre à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et cherchait à publier un livre sur un sujet qui avait un rapport avec sa profession. Je lui rappelai ses danses matinales lorsque nous étions étudiants et, après en avoir bien ri, nous échangeâmes sur la nécessité de garder ses coutumes et surtout, de les respecter.

A l’époque, j’avais raconté l’histoire à tous mes amis et nous nous étions moqués de cet étudiant « broussard » qui dansait encore sur les airs de son village, habillé d’un ridicule cache-sexe, comme un sauvage.

Mais avec les années, j’ai fini par comprendre à quel point il avait raison. Le « papier des Blancs », c’est la connaissance que nous donne l’école occidentale, celle qui nous fait accéder à la science, aux technologies, à ce qu’on appelle la modernité.

C’est ce papier qui a permis à certains peuples d’Europe, d’Amérique et d’Asie, d’accéder à ce qu’on a baptisé le développement.

S’étaient-ils pour cela reniés ? Avaient-ils abandonné ce qui faisait leur spécificité, c’est-à-dire leurs cultures ?

Avaient-ils renoncé à être eux-mêmes ? Certainement pas.

Pourquoi donc l’Africain devrait-il renoncer, lui, à ce qu’il est, à ce qui le fait, à savoir sa culture, sa spiritualité, ses cheveux, sa couleur ?

Je crois que le problème de bon nombre d’Africains est d’avoir cru que pour entrer dans cette modernité incarnée par la culture occidentale que l’on appelait tout simplement la civilisation, il nous fallait nous débarrasser de tout ce qui faisait notre spécificité, à savoir notre culture africaine qualifiée de sauvage.

Dieu seul sait à quel point ce qualificatif nous a fait mal ! Et c’est pour ne plus être soupçonné de l’être encore que nous avons cherché désespérément à nous fuir.

C’est en cela que réside notre mal. Pour l’historien et théologien camerounais Engelbert Mveng, cité par Daniel Etounga-Mangelle dans son livre « peut-on guérir d’une crise de civilisation ? », le mal africain serait « une espèce de dévalorisation globale des richesses de notre être et de notre historicité, une démonétisation vitale de nos cultures, de nos civilisations et de nos arts de vivre, comme si tout d’un coup, rien en nous ne représentait plus quelque valeur que ce soit dans le concert des richesses des peuples.

Rien, sauf notre force de travail physique qui sera utilisée comme la force des bêtes de somme dans la “marchandisation�? des êtres humains où nous perdîmes notre statut d’humains ».

Non, notre culture n’est pas incompatible avec la modernité. Oui, notre culture a une inestimable valeur que nous sommes les seuls à ignorer. Les autres viennent y puiser ce qui les intéresse quand cela leur est profitable.

Pourquoi les Européens ont-ils emporté avec eux ces milliers de nos objets culturels s’ils n’avaient aucune valeur ?

Il nous appartient désormais de nous approprier crânement notre culture, de la valoriser et de la proposer aux autres.

Faisons comme mon « voise » Apollinaire. Avant d’aller chercher le « papier de Blanc », enfonçons profondément nos pieds dans la terre de nos traditions, de nos cultures, pour apporter notre part à la construction de la nouvelle humanité, celle dans laquelle personne ne méprisera l’autre à cause de sa différence.



Le 20/08/23 à 12:25
modifié 20/08/23 à 12:34