Joaquín Domínguez (podologue) : « Les chaussures plates peuvent entraîner une arthrose au genou »
Exerçant à Abidjan depuis plus de 10 ans, Joaquín Domínguez, podologue espagnol, dans cette interview, décrit ce métier peu connu de la grande population. Il alerte également sur les conséquences de la pose des faux ongles et le mauvais choix des chaussures.
Qu’est-ce que la podologie ?
La podologie est une branche de la médecine. C’est un métier qui traite des questions de pieds. C’est-à-dire tout ce qui peut modifier la forme des pieds, la démarche, la posture, les différentes structures ostéoarticulaires (articulations). Un podologue peut également traiter les mains, c’est ce qui se fait aux Usa. Aussi, les études pour être podologue débutent après le baccalauréat. Pour cette spécialité, il faut 4 années de formation. La première année est basée sur la science médicale (pharmacologie, anatomie du corps humain ...). Pendant les trois (3) dernières années, les études se feront spécifiquement sur la podologie.
Qui peut et quand est-ce qu’on peut avoir recours à un podologue ?
Tout le monde peut demander les services d’un podologue. Dès la naissance, un enfant peut avoir recours à un podologue s’il présente des problèmes vraiment graves, des défauts au niveau des pieds. Tel que le pied-bot, les pieds valgus (arqués), les pieds varus (bancales)... Aussi dès les premières marches de l’enfant si vous remarquez une anomalie, vous devez l’emmener très vite voir un podologue pour une consultation. Plus les anomalies sont découvertes tôt, plus vite, le traitement permettra de corriger les défauts. Nous recevons également les adultes qui ont des soucis de santé au niveau des pieds. Nous traitons toutes les pathologies liées aux pieds. Notamment, ceux qui peuvent déclencher d’autres problèmes au niveau de la structure de tout le corps à savoir le dos, la hanche...
Donc, un adulte qui n’a pas de soucis aux pieds n’a pas besoin de vos services ?
Si. Tout le monde a besoin de nos services même ceux qui n’ont pas de soucis aux pieds. Il faut faire un traitement médical de pédicules, des ongles incarnés, les mycoses des ongles, des peaux mortes... Vous savez, toutes ces maladies ont une cause, et c’est ce que nous traitons.
Comment se font vos traitements ?
Chaque cas est particulier. Lorsqu’un patient arrive et qu’il présente par exemple une hyperkératose plantaire, c’est-à-dire un épaississement de la partie la plus superficielle de la peau sous le pied, nous étudions la formation du pied, sa démarche, sa posture et nous faisons après un scanner puis un diagnostic avant de débuter le traitement. Pour ce cas, nous pouvons faire des semelles orthopédiques pour corriger la démarche. Sinon tout traitement dépend du problème qui se présente à nous.
Joaquín Domínguez en train d'interpretter une radio. (DR)

Pour celui qui n’est pas malade qui n'a pas de souci de pied juste pour l’entretien combien de visite, il est recommandé d'avoir dans l’année ?
Les visites dépendent du patient. J’ai des patients qui viennent chaque 15 du mois, 1 fois par mois, 2 fois dans l’année et une fois dans l’année, chaque 3 ans... Tout dépend vraiment d’eux. La fréquence du patient n’est pas pareille chez tout le monde. Elle dépend également du mal que ressent le patient. Sinon professionnellement parlant, je conseille au patient de passer voir le podologue au minimum une fois par mois et au maximum une fois chaque 3 mois.
En tant que traitant dites-nous, si la population ivoirienne a fréquemment recours à vos services ?
À mes débuts dans ce pays, mes patients étaient plus des Libanais et des expatriés. Au fil du temps, les Ivoiriens se sont intéressés. Aujourd’hui, les nombres sont à égalité chez les Ivoiriens, tout comme chez les Libanais et les expatriés. C’est 33% à tous les niveaux.
Les pathologies qui poussent les Ivoiriens à vous fréquenter sont-elles les mêmes qu’en Europe ?
Les pathologies en Europe sont différentes de celles des pays africains particulièrement la Côte d’Ivoire. Pour mon expérience, en Europe ce sont plus les maladies d’ongles incarnés, d’hyperkératose... parce que là-bas, les populations sont toujours en chaussures fermées à cause de l’hiver. C'est le port de ces chaussures qui provoque cette maladie. Les problèmes en Afrique sont plus graves parce que la plupart des Ivoiriens ne portent pas des chaussures fermées ce qui déforme les chevilles et les genoux. Le tendon du pied s’aplatit et le pied n’est plus dans l’axe. Le pied étant la base de tout le corps, cela agit forcement dans les autres articulations et peut provoquer une arthrose au genou, à la cheville et plus tard cela va se généraliser avec des douleurs au dos, au bassin, dans tout le corps.
Les podologues ne sont pas assez et sont généralement basés dans les quartiers chics d’Abidjan. Est-ce à dire que vos prestations ne sont pas à la bourse de toutes les populations en Côte d’Ivoire ?
Nos prix des consultations sont pratiquement pareils à ceux de l’Europe, vu la qualité de notre formation et le matériel utilisé dans nos cabinets. Nous ne pouvons pas faire autrement, l’investissement est lourd. Nous avons un fauteuil et une machine spéciale pour faire les tours à la marche, je fais des semelles, l’orthopédie avec un scanner, une imprimante 3D...Pour amortir l’investissement, nous ne pouvons pas faire la consultation à 10.000 francs CFA. Si nous voulons offrir des soins de qualité comme en Europe, il est difficile de revoir nos prix. Sincèrement, en Côte d’Ivoire, tout le monde ne peut se rendre chez un podologue. Les populations ont besoin de nous malheureusement, nous ne pouvons pas faire toujours du social, sinon nous allons fermer notre cabinet.
Êtes-vous des concurrents des spas ?
Pas du tout. Nous ne faisons pas les mêmes choses. Eux sont plutôt dans l’esthétique, et nous, dans le traitement médical ce qui est différent. Nous traitons les pieds, mais, pour ce qui concerne les vernis et autres, cela n’est pas de notre ressort. Parfois des salons qui font de l’esthétique nous envoient des patients qui ont besoin de traitement médical parce que cela dépasse leur compétence. Nous également, nous recommandons des salons à la demande du client. C’est complémentaire. Cependant, je pense que pour la pédicure, les esthéticiens ne devraient pas le faire, c’est interdit en Europe. Pour avoir un travail bien fait, l’individu doit avoir recours au podologue. Parce que très souvent, le matériel n’est pas désinfecté et les patients nous reviennent très souvent contaminés, à cause, du matériel utilisé dans certaines structures dédiées qui font de la pédicure dans les quartiers.
Que dites-vous du port des faux ongles ?
J’en vois avec des patients mais ce n’est pas bon d’en mettre tout le temps...C’est dangereux. Les mettre tout le temps affaiblit beaucoup l’ongle. Il ne faut pas en abuser. C’est pareil pour les vernis. Ce matériel n’est pas mauvais, mais, il contient de la colle et le mettre tout le temps devient dangereux pour l’ongle. Je conseille aux femmes de mettre souvent des produits pour rendre les ongles plus forts. Aussi doivent-elles laisser reposer de temps en temps leurs ongles, car les produits utilisés brûlent l’ongle et abîment la larme ongulaire.

Au-delà des femmes, si vous aviez un conseil à donner aux populations ivoiriennes que, serait-il ?
Comme conseil, j'invite la population ivoirienne à porter plus de chaussures fermées. Ils doivent les mettre toute la journée et le soir, vous pouvez les enlever. Surtout l'enfant doit en mettre car son corps est en plein développement. Il doit mettre celles qui tiennent bien la cheville et tous les muscles des membres inférieurs. La chaussure fermée donne plus de stabilité et l’aidera à mieux marcher donc à mieux structurer son corps et éviter des anomalies à la longue. En outre, les chaussures fermées trop serrées et les hauts talons peuvent causer des problèmes comme cela se produit en Europe. Toutefois, ne pas porter de chaussures est bien pire et peut causer des problèmes d'usure articulaire. C’est à la plage que l’on doit marcher nu-pied ou mettre des scandales non fermées. Les tapettes sont faites pour la plage et non pour marcher avec tout le temps.