Blé Goudé : "Le vrai match retour doit être un match de paix" (Interview)

Charles Blé Goudé, président du Cojep. (Ph: Honoré Bosson)
Charles Blé Goudé, président du Cojep. (Ph: Honoré Bosson)
Charles Blé Goudé, président du Cojep. (Ph: Honoré Bosson)

Blé Goudé : "Le vrai match retour doit être un match de paix" (Interview)

Le 05/06/23 à 12:05
modifié 05/06/23 à 12:05
Revenu il y a six mois de La Haye, après son acquittement par la Cpi, l'ancien leader des « jeunes patriotes », Charles Blé Goudé, ne se renie pas, mais il a mûri.
Comme Laurent Gbagbo, vous êtes radié de la liste électorale. Allez-vous aussi mobiliser vos avocats pour la bataille judiciaire ?

Non ! Je considère ma condamnation comme une condamnation politique. Pour moi, un problème politique ne se règle pas dans un prétoire. Il se règle politiquement. C’est pourquoi je souhaite toujours que la question de ma radiation, de celle du président Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro soit réglée dans un cadre politique de dialogue. Et je remets les cartes entre les mains du Président de la République de Côte d’Ivoire. Telle est ma démarche. Quand je suis dans une telle démarche, je ne prends plus une voie judiciaire.

Même si vous n’êtes pas candidat aux élections locales à venir, comment expliquez-vous que moins de jeunes sont des têtes de liste, alors qu’on parle d’année de la jeunesse et renouvèlement de la classe politique au sein des partis politiques ?

Dans notre pays, la jeunesse est un prétexte. On dit qu’elle représente la prunelle des yeux de notre pays. Mais le constat est que la jeunesse est absente là où se prennent les décisions majeures qui engagent l‘avenir du pays. Ce n’est pas par volonté. Mais l’ascenseur politique est bloqué par nos aînés. Quand un jeune a des ambitions qu’il veut affirmer, on le diabolise. J’en suis une victime. Le constat est amer. Nous allons travailler pour que les jeunes et les femmes prennent leur place dans la marche politique en Côte d’Ivoire. C’est une bataille. Les femmes ne votaient pas jusqu’à une date récente, même en Europe. Aujourd’hui, non seulement elles votent, mais elles sont nommées à des postes à responsabilités. Nous allons aussi nous battre pour la jeunesse, afin que nous ne restions pas jeunes jusqu’à 50 ans. A 51 ans, on vous trouve pressé. Pourquoi doit-on priver l’Afrique de ses atouts ? Le fait que la population africaine soit à majorité jeune, est considéré comme un atout. C’est ce qu’on considère dans les grilles de lecture économiques. Est-ce seul cas en Afrique ? Non. Je pense qu’il ne faut pas priver l’Afrique de ses atouts. Quand on peut décider jeune, qu’on peut diriger jeune, cela veut dire qu’on a l’esprit vif, qu’on est réactif. C’est bon pour le pays. Ce n’est pas toujours judicieux de retarder la jeunesse et de considérer que c’est à partir de 70 ans qu’une personne est prête car le cerveau, à ce moment-là, va plutôt lentement. Les cellules vieillissent, le corps n’est plus ce qu’il était et l’esprit n’est plus vif. J’encourage donc les différents états-majors politiques à permettre à la jeunesse de pouvoir mettre sa vivacité à la disposition de ces appareils politiques. Mieux, je les encourage à permettre à la jeunesse de mettre sa vivacité à la disposition de la Côte d’Ivoire. Je plaide pour cela.

A vous entendre, ce n’est pas demain qu’on aura un Macron ivoirien ?

Oh, parlons en fonction de nos paradigmes et nos réalités. Le président Macron, nous savons dans quelles circonstances il a pris le pouvoir en France.

Dans le cadre des municipales et des régionales, quelques duels s’annoncent. Dans la mythique commune de Yopougon, Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale et Michel Gbagbo, le fils de l’ancien Président Laurent Gbagbo, sont dans la course. De votre loge de spectateur, comment voyez-vous cette confrontation ?

Le résultat d’un match s’apprécie à l’aune de ceux qui s’affrontent. C’est certainement une preuve de la vigueur de la démocratie en Côte d’Ivoire. Laissons-la s’exprimer. A Yopougon, trois titans vont s’affronter. Tout cela participe de la démocratie. Je souhaite que le meilleur gagne. Mais je ne m’implique pas du tout.

A propos de l’ancien Président Laurent Gbagbo, les Ivoiriens attendent toujours cette rencontre que vous avez annoncée avec lui. Votre rencontre avec lui dépend-elle de son agenda ?

C’est ce qui a été dit. Son porte-parole l’a dit. Son chef de cabinet l’a dit. Mais moi je n’ai pas affaire à tout ce monde. Je ne connais qu’une seule personne, c’est le président Laurent Gbagbo. Vous avez parlé de radiation sur la liste électorale. C’est le président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé qui sont radiés. Ce n’est pas son entourage qui a été radié. Tous ceux qui parlent ne sont pas radiés. Ils sont sur la liste électorale. Ils ont leur travail. Ils n’ont pas été arrêtés ni mis en prison. Nous sommes deux à avoir été envoyés à la Cpi; à avoir été condamnés; à avoir été radiés de la liste électorale. Tout cela montre que nous partageons quand même quelque chose. C’est pourquoi je demande de nouveau pardon.

Blé Goudé, Affi N’Guessan, Simone Gbagbo, Mamadou Koulibaly... On constate que chacun fait politiquement chambre à part. Pourquoi cet éclatement de la famille socialiste, au moment où l’on parle de réconciliation dans le pays de manière générale ?

C’est vrai que c’est gênant. Mais je considère cette situation comme les résidus de la crise que la Côte d’Ivoire a vécue. La famille socialiste n’est pas en dehors de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire elle-même a été divisée à un moment donné. Nous nous sommes dispersés. Chacun a atterri dans un environnement donné qui l’a impacté pendant plus de 12 ans. Il faut prendre tout cela avec beaucoup de philosophie et espérer que l’union reviendra un jour. Il ne faut surtout pas travailler à approfondir la plaie ou à élever le mur de cette division. Je cherche le ciment pour ressouder tout cela. Je cherche l’aiguille pour recoudre tout cela. En tout cas, je ferai ma part, en faisant en sorte de ne pas être la pomme de discorde. Cependant, en tant que Charles Blé Goudé qui appartient à une génération, je veux aussi accomplir ma part de devoir dans ma génération. Houphouët-Boigny a été le leader de sa génération. Il a fait ce qu’il avait à faire. Le président Gbagbo est le leader de sa génération. Moi je me bats pour que ma génération ne soit pas privée de ce que je pense modestement avoir comme compétences. Cela ne veut pas dire que je suis contre le président Gbagbo, que je suis contre le Président Ouattara ou encore contre le président Bédié. Non. Je me bats pour exister politiquement avec mes amis afin que nous aussi nous puissions apporter à notre pays ce que nous estimons être bien pour lui.

De leur côté, ceux qu’on appelle elders, à savoir les trois grands leaders, les deux anciens présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo et le Président actuel, Alassane Ouattara, se rencontrent assez souvent. Ces apartés peuvent-ils, à votre avis, contribuer à éteindre les braises des crises de 2002, 2010, 2020 ?

C’est leur responsabilité. C’est la responsabilité du Président Ouattara, des présidents Bédié et Gbagbo de nous léguer un pays en paix, avant qu’ils ne quittent la scène politique. Nous les supplions de nous léguer un pays apaisé. Et notre souhait, quand ils se rencontrent, c’est que les problèmes qui peuvent être réglés en dehors des appareils politiques et des caméras trouvent solution dans ce cadre familial. Nous pensons que dans ce cadre décontracté où l’on parle d’aîné, de cadet et de benjamin, des solutions idoines peuvent être trouvées. La solution à la radiation du président Gbagbo de la liste électorale se trouve là.

Sous quelle forme cela peut-il se faire, politiquement parlant ? Certains lorgnent déjà vers une loi d’amnistie. Pensez-vous que ça peut être l’issue du salut ?

Ce ne serait pas la première fois que cela se fait dans ce pays. Le président Gbagbo a utilisé l’article 48 pour faire du président Ouattara un candidat. C’était pourquoi ? C’était pour apaiser la situation sociopolitique. Je rêve, et ma génération avec moi, d’une passation des charges, un jour, dans un climat apaisé, entre un Président de la République sortant et un Président élu. Un Président sortant n’est pas obligé d’aller en prison ou en exil. Les anciens Présidents peuvent vivre dans le pays et se rencontrer en dehors des cadres formels que nous connaissons, chaque fois que des problèmes surviennent. Telle est ma vision. Quelle forme cela prendra-t-il ? Tout dépend du Président de la République. La Constitution ivoirienne lui donne suffisamment de pouvoirs qu’il peut utiliser pour achever ce qu’il a si bien commencé. Ceux à qui il était opposé en 2010 et 2011 sont tous là. C’est déjà un avantage pour la Côte d’Ivoire et c’est un bon signe pour le pays. Puisqu’ils sont là, qu’est-ce qu’ils peuvent faire ensemble, dans le respect de nos différences ? J’insiste sur la notion de respect de nos différences. Car nous devons célébrer nos différences. Je demande au Président Ouattara de prendre une décision exceptionnelle politiquement, pour que triomphe la paix, concernant les futures élections. Notre objectif est que la paix triomphe en Côte d’Ivoire. Et qu’à l’issue des élections, ce soient les bulletins que l’on compte et non pas les blessés ou les morts. Élection zéro mort, élection zéro blessé, c’est à cela que nous aspirons.

Pour vous donc, il n’est pas question du match retour de 2010 ?

Je crois que ce sont des expressions à bannir. Le vrai match retour doit être celui de la paix, du rassemblement. Le vrai match retour doit être celui qui amène les Ivoiriens à prendre le dessus sur la violence pour pouvoir imposer la paix par nos attitudes. C’est pour cela que je renouvelle mon appel aux aînés à nous léguer un pays en paix.

Vous insistez sur la responsabilité des elders. Pensez-vous qu’il y a encore des actes que le Président de la République doit poser dans sa dynamique de réconcilier les Ivoiriens ?

Oui, il y a des actes à accomplir. Il y a deux semaines, l’atmosphère était apaisée. Il a fallu la remise aux partis politiques de la liste électorale provisoire pour que la tension monte d’un cran. Ce qui a donné tort à ceux qui pensaient que nous étions dans un pays totalement en paix. Nous vivons une paix fragile. Celui qui peut la consolider, c’est le Président de la République. Il y a eu la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, celle d’Henri Konan Bédié. Il y a eu la Côte d’Ivoire de Robert Guéi, celle de Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, c’est la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara. Cela ne veut pas dire que ce sont eux qui ont créé ce pays. Cela signifie que leurs actes engagent la vie du peuple et du pays. Je voudrais en appeler au sens du patriotisme du Président de la République pour qu’il puisse appeler ses deux frères, les présidents Bédié et Gbagbo, afin qu’ils fassent descendre la tension politique qui monte à nouveau.

En quoi faisant ?

En prenant des décisions fortes. Quand Nelson Mandela est sorti de prison, il n’a pas mis un seul Blanc en prison. Et l’Afrique du Sud est restée une nation forte. A l’image de Nelson Mandela, le Président Ouattara peut être fort autrement, en étant l’acteur de la paix qui aura fait tourner définitivement la page meurtrière et triste que nous avons connue à travers les crises en Côte d’Ivoire. Je l’encourage à cela.

Pour l’heure, nous avons comme une sorte de deux blocs qui se forment sur l’échiquier. L’on a assisté, hier, à une entente entre le Ppa-CI et le Pdci qui se préparent à aller en rangs serrés à la bataille des municipales et des régionales. Avant, il y a eu un accord de partenariat entre le Rhdp et le Fpi. Certains parlent d’alliances contre-nature, de mariage victime-bourreau ou de la carpe et du lapin. Ces alliances, qui se font au nom de la réconciliation, dans l’abstraction des idéologies, peuvent-elles prospérer ?

Je constate qu’en Côte d’Ivoire, les idéologies n’ont plus droit de cité et que ce sont les intérêts du moment qui ont droit de cité. Je ne veux pas, cependant, juger ces alliances qui n’engagent que ceux qui les nouent en fonction de ce qu’ils pensent être bien pour leurs différentes formations politiques. D’ailleurs, ces partis politiques sont des groupements privés. En ce qui me concerne, la seule alliance que je veux tisser, c’est celle avec le peuple de Côte d’Ivoire. C’est pour cela que je prends le temps de faire le tour du pays. Alliances contre-nature ? Je ne veux pas juger. Je veux bien savoir ce que cela apportera plus tard à la Côte d’Ivoire. Le Fpi est en alliance avec le Rhdp, le Ppa-Ci est en alliance avec le Pdci-Rda. Ce sont deux partis de Gauche qui se sont alliés avec des partis de Droite. Est-ce là une base idéologique ? Est-ce là une stratégie électorale ? Je ne saurais le dire. Le temps nous situera.

N’est-ce pas la donne du moment ? Ailleurs, notamment en France, les idéologies sont un peu passées de mode. On a, par exemple, du mal à situer idéologiquement le Président Emmanuel Macron. N’est-ce pas un peu pareil ?

Il faut faire la différence. En France, vous ne verrez pas le parti socialiste en alliance avec les Républicains ou les Républicains en alliance avec le Front national. Vous trouverez des individus, sortis de ces appareils, qui ont été recrutés par la coalition En Marche au pouvoir. Ici, ce sont des formations politiques de différents bords qui sont en alliance. C’est cela qui suscite des interrogations ou qui appelle à la réflexion. Je sais que la stratégie du Président Macron a été de faire tomber les barrières politiques en recrutant des compétences ou des personnalités politiques issues de ces différents bords politiques pour les rassembler autour de la France. Ça, c’est une autre vision. Chez nous, des formations politiques qui, hier, étaient à couteaux tirés sont aujourd’hui ensemble. Est-ce une vision politique ? Est-ce que ce sont des alliances de circonstance, de stratégie ? Je ne fais qu’observer. Hier, c’était le Fpi et le Rdr qui étaient en alliance. Cela a donné le Front républicain. A la fin, l’un a trouvé que l’autre l’a trahi. Nous savons ce que cela a apporté au pays comme mal. Ensuite, ce sont le Pdci et le Rdr qui sont entrés en alliance. Ils se sont séparés. Mais des individus sont restés dans l’alliance, leur leader criant à la trahison. Aujourd’hui, c’est le Pdci-Rda qui est en alliance avec le Ppa-CI. Et le Fpi est en alliance avec le Rhdp. Je constate que les Houphouétistes se sont partagé la famille Gbagbo. Le Président Alassane Ouattara a pris une partie. Le président Bédié a pris une autre.

Vous avez été compagnon, puis adversaire de l’ancien Premier ministre, Guillaume Soro. Quels sont vos rapports aujourd’hui ?

Je ne veux pas en parler.

Blé Goudé-Gbagbo, ça sent le soufre. Guillaume Soro-Ouattara, c’est la séparation de corps. Vous n’avez pas l’impression que Guillaume Soro et Blé Goudé ont été mal récompensés, chacun dans son camp ?

Non, pas du tout ! Moi, je ne suis pas un mercenaire politique. Je n’attends de récompense de personne. J’ai suivi ma conviction depuis que j’étais étudiant. Je suis un homme de gauche. Je suis foncièrement opposé aux armes comme moyen de conquête et de gestion du pouvoir. Dès que la Côte d’Ivoire a été attaquée en 2002, je me suis dressé. Ma récompense, c’est que le pays soit en paix. Ma récompense, c’est que la jeunesse de Côte d’Ivoire puisse vivre dans un environnement qui lui permette de pouvoir mettre ses compétences à la disposition du pays. C’est cela ma récompense. Je n’attends de récompense de personne puisque je ne suis pas un mercenaire.

A propos de passation de pouvoir, que pensez-vous de l’initiative du député Assalé Tiémoko qui prépare une proposition de loi visant à faire revenir dans la Constitution la limite d’âge à 75 ans comme critère pour être candidat à la Présidence de la République ?

Quand je suis rentré en Côte d’Ivoire, j’ai regardé ma montre et j’ai dit : « Il est l’heure ». Tout le monde a passé son temps à regarder ma montre. Pourtant, je ne parlais pas du temps chronos mais plutôt du temps kairos. C’est-à-dire le bon moment pour prendre une décision, le moment opportun pour agir. Cette question de la limite d’âge, puisque c’est d’elle que vous parlez, les circonstances actuelles ne sont pas favorables à une telle décision.

Pourquoi ?

Parce qu’on dira que vous voulez mettre la limite d’âge pour recaler le président Gbagbo ou le président Bédié. Et pourtant, cette clause était déjà dans la Constitution ivoirienne. On doit donc interroger les auteurs qui ont fait sauter cette clause. Pourquoi veut-on manipuler notre Constitution comme on se rase tous les matins ? Pourquoi chaque parti politique en Côte d’Ivoire devrait venir avec sa propre Constitution ? Pourquoi ceux qui avaient mis hier la limite d’âge à 75 ans disent aujourd’hui qu’ils s’étaient trompés ? Pourquoi ceux qui dirigent la Côte d’Ivoire ont fait sauter, en 2016, la limite d’âge ? S’ils la ramènent aujourd’hui, on dira que c’est parce que le Président Ouattara ne veut pas que ses autres frères ou adversaires soient candidats qu’il le fait. Il faut donc savoir choisir le bon moment. C’est pour cela que lorsqu’on légifère, on légifère pour aujourd’hui, pour demain, pour la durée. Les décisions que vous prenez aujourd’hui doivent résoudre les problèmes du moment sans compromettre l’avenir. Lorsque j’étais étudiant, nous avons crié dans la rue. Certains des nôtres y ont perdu la vie. D’autres y ont perdu leurs années d’études. Certains portent à vie les cicatrices de ce combat. Quel était ce combat ? Il y avait six points. Un, la Commission électorale indépendante. C’est pourquoi l’opposition se battait en son temps. Deux, les urnes transparentes. Trois, le bulletin unique. Quatre, le vote à 18 ans. Cinq, la limitation de l’âge. Six, la limitation des mandats. C’est pour ces six points que le président Laurent Gbagbo a mobilisé toute l’opposition ivoirienne. Et en 2000, quand la nouvelle Constitution a été votée, ces six points ont été constitutionnalisés. Pourquoi devrais-je renier cela aujourd’hui ? Mais si, tout de suite, je dis que je suis pour la limite d’âge, on dira que je suis contre Gbagbo. Et pourtant, ce sont les acquis du combat de Gbagbo. Ces six points devraient même être célébrés chaque année. Mais comme nous ne menons plus un combat de principes, il y a un problème. Là où il n’y a pas de vision, s’installe la division. Les questions qui devraient être d’intérêt général et national se réduisent à des querelles de personnes. En clair, le combat politique est biaisé aujourd’hui.

Vous avez passé 10 ans en détention à la Cpi. Vous est-il arrivé de désespérer de votre libération ?

Je vous ramène à ma première déclaration lorsque je suis arrivé à la Cpi. Elle est datée. A ma première prise de parole, j’ai dit ceci au juge : « On m’a dit que quand on vient à la Cpi, on n’en sort jamais et qu’un voyage à la Cpi est un voyage de non-retour. Moi je vous informe que je repartirai chez moi ». En 2016, j’ai écrit une œuvre avec pour titre : « De l’enfer, je reviendrai ». De l’enfer, je suis revenu. Maintenant, est-ce que dans ma cellule de prison, il m’est arrivé d’avoir des moments de faiblesse ? Je suis un être humain. J’ai réfléchi à beaucoup de choses. Mais je savais qu’un jour je reviendrai en Côte d’Ivoire. Là n’est pas d’ailleurs la question. La question, c’est : quand vous sortez de là, quelle est votre posture ? Que faites-vous pour que ce que vous avez vécu ne se répète pas ? C’est à ce stade que je suis.

De l’enfer, je reviendrai, avez-vous écrit. Est-il écrit que Blé Goudé, de la prison, reviendra au pouvoir ? On en parle dans la ville.

Être Président de la République, ce n’est qu’une ambition. C’est bien de le préciser. Ça peut arriver et ce sera tant mieux. C’est mon ambition, je ne l’ai jamais cachée. Mais ça peut ne pas arriver. Si ça n’arrive pas, je peux servir mon pays autrement. Le problème de l’Afrique, c’est ça. Nos ambitions nous engloutissent, nous aveuglent et on est prêt à tout. Je ne suis pas prêt à tout pour être président. J’estime qu’un jour, je peux être utile à mon pays. Pour le moment, ce qui compte, c’est, premièrement, comment recoudre ce qui a été déchiré. Deuxièmement, comment me faire pardonner par ceux qui, à un moment donné, ont estimé que j’étais à la base des plaies dont ils souffrent ou ont souffert. Vrai ou faux ? C’est un ressenti. Un ressenti, on ne le discute pas. Je saisis l’occasion que vous m’offrez pour demander de nouveau pardon à toutes les victimes de la crise post-électorale de 2010-2011. Ce dimanche 4 juin (Ndlr, hier), je vais à Bouaké. Ensuite, je continuerai dans le nord de la Côte d’Ivoire. Avec un seul mot : pardon. Celui qui demande pardon n’est pas forcément faible. Winnie Mandela a demandé pardon quand elle est sortie de prison. Quand Nelson Mandela sort de prison et que la Commission vérité et réconciliation dirigée par Desmond Tutu va interroger Winnie Mandela, elle demande pardon, quoiqu’étant elle-même l’une des victimes de l’apartheid.

Avoir des ambitions, c’est un droit pour tout le monde. Mais quand vous avez un parti politique qui n’est pas perceptible sur l’échiquier et que vous avez des ambitions présidentielles, est-ce que ce n’est pas une illusion ?

Une élection présidentielle, ce n’est pas un rendez-vous entre un parti politique et un peuple.

Qu’est-ce donc ?

Une élection présidentielle, c’est un rendez-vous entre une personnalité politique et le peuple dans une circonstance donnée. Emmanuel Macron n’avait pas de parti politique. Il n’avait aucun élu. Il en est à son deuxième mandat. Ceux qui ont raisonné ainsi ont eu tort après l’élection présidentielle de 2017 en France.

N’est-ce pas l’exception qui confirme la règle ? La règle demeure tout de même, à savoir qu’il faut une machine forte et organisée, avec des moyens de grande ampleur pour se présenter à une élection présidentielle.

Oui je suis prêt, mais je ne suis pas pressé. La machine politique dont vous parlez, on prend le temps de la construire. Aujourd’hui, beaucoup envient le Rhdp avec tous ses cadres, ses ministres, ses Dg. Regardez dans le rétroviseur. Qui pouvait imaginer cela il y a quelques années ? Ils y ont cru. Ils y ont travaillé. C’était aussi le cas en 1990. Qu’est-ce qu’on n’a pas dit sur Laurent Gbagbo ? On a dit qu’il n’est rien et qu’il ne sera jamais rien. Il a été Président de la Côte d’Ivoire pendant dix ans. Il faut prendre le temps de se construire. Je ne suis pas pressé. Les cadres au Cojep sont nombreux. Il y a ceux que vous voyez et d’autres que vous ne voyez pas. On ne met pas tous les pagnes au soleil.

Étant donné que celui que vous appelez votre père a annoncé aussi qu’il pourrait être candidat, notamment en 2025, pourrait-on avoir Blé Goudé candidat contre Laurent Gbagbo ?

Mon ambition présidentielle n’est pas à l’ordre du jour. Savez-vous comment j’interprète le slogan « 2023, année de la jeunesse » ?

Comment l’interprétez-vous ?

Si 2023 est l’année de la jeunesse. 2025, c’est l’année de qui ?

L’année des adultes...

Exactement, c’est donc l’année des elders Gbagbo, Bédié et Ouattara. Ils sont en train de nous dire : les jeunes, prenez 2023, laissez-nous 2025. C’est pourquoi je ne m’approche pas de ce combat. Est-ce que je serai candidat en 2025 ? Pour le moment, mon ambition présidentielle n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est comment je vais réussir à construire la paix, comment je peux réussir à me faire accepter et à obtenir le pardon de ceux qui ne m’ont pas compris hier.

Cela donne l’impression qu’il y a un Blé Goudé nouveau, avec un visage nouveau, une posture nouvelle, voire avec une filiation nouvelle, puisqu’on vous a entendu dire qu’Alassane Ouattara est votre oncle. Qu’est-ce qui, justement, vous a poussé à dire que vous êtes le neveu du Président Ouattara ? Cela a beaucoup amusé.

C‘était cela l’objectif, tout l’intérêt. Nous sommes en septembre 1984. Nous sommes en Allemagne. Contre toute attente, François Mitterrand va dribler tout le protocole pour aller serrer la main à Helmut Kohl, le chancelier allemand. Cette poignée de main a tout changé dans les rapports entre la France et l’Allemagne qui étaient des ennemis, l’Allemagne ayant occupé la France. Du duel, ils sont passés au duo. On parlera de couple franco-allemand. Et c’est sur ce couple que repose aujourd’hui l’Union européenne. On peut passer du duel au duo par un simple geste, par une petite phrase pour décrisper. J’ai juste raisonné par syllogisme, mais surtout pour décrisper l’atmosphère. Et les Ivoiriens ont apprécié cette phrase qui a décrispé l’atmosphère un moment. Maintenant, est-ce que je suis un Blé Goudé nouveau ? A chaque étape de l’évolution de l’être humain, correspond un comportement. Ce n’est pas se renier. Nelson Mandela est entré en prison en tant que poseur de bombes. Il a plaidé coupable. Il en est sorti comme le plus grand homme de paix de l’histoire. Le poseur de bombes, sorti de prison, devient le plus grand faiseur de paix de l’histoire. La prison n’est pas qu’un lieu d’enfermement, c’est également un lieu de remise en cause, d’enseignement, de réflexion et de projection. Dans la douleur, dans la difficulté, j’ai puisé le positif.

Blé Goudé ne se renie pas, mais il a mûri...

Blé Goudé est un être humain comme les autres, dont le comportement évolue avec l’âge. Blé Goudé ne se renie pas, mais il a mûri, grandi. Blé Goudé n’appartient plus à un clan, il appartient à la Côte d’Ivoire plurielle. Et c’est cette Côte d’Ivoire qu’il veut servir autrement que de servir un clan. Je ne veux pas élever les murs de mon propre enfermement. Je veux être ouvert aux autres. Je ne veux pas fermer la porte aux autres car le faisant, je m’enferme moi-même et je risque de manquer d’oxygène.



Le 05/06/23 à 12:05
modifié 05/06/23 à 12:05