Hommage à Abdoulaye Diallo : Serviteur fidèle

Abdoulaye Diallo, ex-chargé de mission de Félix Houphouët-Boigny. (Ph: Dr)
Abdoulaye Diallo, ex-chargé de mission de Félix Houphouët-Boigny. (Ph: Dr)
Abdoulaye Diallo, ex-chargé de mission de Félix Houphouët-Boigny. (Ph: Dr)

Hommage à Abdoulaye Diallo : Serviteur fidèle

Le 07/03/23 à 12:09
modifié 07/03/23 à 12:09
Le lundi 6 mars 2023, s’est éteint Abdoulaye Diallo, ex-chargé de mission de Félix Houphouët-Boigny, un fidèle parmi les fidèles. Il avait 90 ans et plus.
Un à un, ou une à une, ils/elles, ces grands compagnons de Félix Houphouët-Boigny, tous ceux qui ont gravité autour de ce grand homme, tous «disciples», ou qui ont fait leurs armes à l’ombre de ce Sage de Yamoussoukro, premier Président de la Côte d’Ivoire moderne, partiront tous, sans doute comme ça, qui ne témoigneront jamais pour l’histoire de ce pays, qui leur aura tout donné, pour lequel ils/elles se seront battu(e)s pour son affirmation dans le concert des Nations, à des degrés divers. Bouches cousues, ventres profonds. Ainsi en est-il d’Abdoulaye Diallo, qui s’est éteint hier, dans sa 90e année.

Djékanou, sa terre d’amour...

Grand serviteur de l’ombre, opérateur économique discret et efficace de Félix Houphouët-Boigny, il «ne montra pas de la main gauche» son village, Djékanou, qu’il aura bâti à la truelle de l’amour qu’il portait à son village maternel, qu’il sut transformer, de son vivant, en petite ville moderne et modèle de développement de proximité, en traçant les routes du progrès.

Comme hier, cet autre digne fils de Kocumbo, de la région du Bélier, Désiré Bony, ancien ministre des Travaux publics. Comme cet autre encore, d’Ably, Michel Aka, ex-intendant général de la Présidence, sous Félix Houphouët-Boigny, dont suivent les traces, aujourd’hui, des cadres de ce beau village, notamment l’ex-ministre de la Fonction publique, Patrice Kouamé, si discret. J’en oublie, certainement.

...Qui lui doit tout

Jamais un cadre de sa région ne se sera autant investi pour que son village ait un nom. D’un petit campement, il en fit une ville moderne.

Je me rappelle encore, comme si c’était hier, l’inauguration de la sous-préfecture de Djékanou, avec comme premier sous-préfet, Richard Guy Yahiri (paix à son âme), ami et condisciple de Venance Konan, journaliste, invité très particulier à cet évènement. J’y étais.

La cérémonie eut lieu, à la belle résidence qu’il avait construite, sur fonds propres, pour «son» sous-préfet, grandement reçu, ce jour-là. J’y ai lu, sur son visage, ce que pouvait ressentir celui à qui beaucoup ou peu a été donné, sans doute pas, mais qui, en retour, en offre à son village, à sa terre matricielle : la joie non feinte, le bonheur de servir les siens et de se sentir utile à son village, à sa région. Feu Jean Jacques Béchio en était un peu le maître de cérémonie.

La preuve, en quelques petites années, il y fera construire, à ses frais, des maisons modernes, comme on en voit à l’entrée de Yamoussoukro, et bitumer les routes du village; suivront, tour à tour, d’autres constructions tous azimuts : la Préfecture, la Mosquée, l’Église, le Centre hospitalier Ahou Catherine, qui porte le nom de sa sœur, la Gendarmerie, les résidences de tous les fonctionnaires affectés à Djékanou; le Lycée qui portera son nom. Et, en plus d’avoir fait bitumer sur 06 kilomètres l’axe Youbouékro-Djékanou, il fera électrifier, le long de cette route, tous les villages (Mougnan, chef-lieu et Laliêkro).

On ne saurait compter, en plus, ses gestes de portée sociale au quotidien : prises en charge des hospitalisations, funérailles, enterrements, mariages, scolarisation et autres.

Djékanou reconnaissante

Djékanou, reconnaissante, pleure, aujourd’hui, avec raison, son ancien maire, qui se sera dépensé, sans compter, pour que ses parents, eux aussi, vivent et sentent ce que signifie «Foundi», l’indépendance, le développement, que chantait bellement l’héroïne aux pieds nus, Allah Thérèse, fille de la région. Il avait réussi à donner un cachet de modernité à ce patelin, qui vit au rythme, désormais, du développement.

Ses réalisations, nous l’avions dit, ne se comptent pas ; elles ne peuvent guère se mesurer au sextant de la générosité ; elles portent un nom, en trois syllabes : don de soi. Ce n’est guère un hasard si, de son vivant, le 11 mai 2019, il eut droit à un hommage mérité, présidé par le Chef de l’État, Alassane Ouattara, en présence des membres du gouvernement et des présidents d’Institution.

Oui, Abdoulaye Diallo, c’étaient tant de secrets gardés secrets, hermétiquement, certes, mais surtout tant de générosités partagées, pas seulement avec son village, mais avec tant et tant de fils et filles de ce pays, de ce continent, nôtre. Rokiatou, «Roucky», la fille de son père, le sage de Bandiagara (Mali), mieux, de Marcory, Amadou Hampâté Bâ, se rappelle cet homme au grand cœur : «La générosité faite homme ! J’avais sept ans, quand nous fûmes confiés, mes sœurs et moi, à cet autre père par notre père. Sa maison, à Yamoussoukro, à Djékanou, à Abidjan ? C’étaient des gîtes pour nous, pour tous. Une grande cour si vivante, fraternelle, où soufflait le vent des fraternités. A sa table, qui ne désemplissait pas, il y avait à manger, à boire pour tous, pour toutes, sans distinctions de race, d’origine. J’ai vu Djekanou, qui n’était qu’un hameau perdu dans un petit bled ; il en a fait, d’abord une sous-préfecture, puis une cité moderne. Je pleure un père, je pleure celui qui fut mon parrain de mariage...».

Comme un étrange destin (clin d’œil à l’œuvre éponyme du grand érudit Amadou Hampâté Bâ), des liens très forts unissent ces deux familles, venues originellement du Mali, que l’histoire a réunies en Côte d’Ivoire. Le premier devient plus que le «sage» du «sage» Félix Houphouët-Boigny ; le second, Abdoulaye Diallo, sans lourd bagage intellectuel, «l’ouvrier de service» du Président, son homme à tout faire, presque. Jusqu’à sa mort, il aura gardé sa fidélité, sans faille, au premier Président de son pays et au parti qu’il a créé, le Pdci-Rda.

Fils d’immigré

Fils d’immigré, de Mopti, notamment de Foy et fils de Djékanou de par sa mère, jamais il ne coupa le cordon qui le liait à ses deux patries de cœur, même si celle de la mère eut le dessus, parce qu’on «ne «vole» pas le fils d’une mère akan», ou encore : «enfant Akan ne reste pas ailleurs», disent avec fierté les gens de la tribu maternelle.

Un peu comme feu N’Sikan (UTB), richissime homme d’affaires, dans la région de Gbêkê, Bouaké, ce ne fut donc pas l’école qui lui fournit «les armes miraculeuses» pour batailler ferme avec la vie et se frayer un chemin à coups d’éclats de réussites dans la vie; mais bien cette grande école, celle de la vie, qui apprend «à lier le bois au bois», à se frotter aux réalités pratiques, aussi dures soient-elles.

Comment se construire, tête vide, sans grand savoir livresque, intellectuel, avec pour tout pedigree, la force de croire, de vouloir, d’oser ? Comment, encore, se bâtir une fortune en homme d’honnête fortune pour se prendre en charge soi-même ? Comment, enfin, demeurer soi-même et porter généreusement son amour fraternel sur les autres, les aider à se réaliser, sans contrepartie ?

Eh bien, toute cette disposition mentale, tous ces élans vers les autres, d’où qu’ils viennent, ne s’enseignent dans aucune école. Lui, il ira à l’école de la vie, à l’ombre d’un Grand homme.

Auprès de Félix Houphouët-Boigny

Maçon au départ, qui aimait à raconter à Félix Houphouët-Boigny des blagues, dit-on, pour le sortir un tant soit peu de la solitude du pouvoir -on a toujours besoin d’un plus petit que soi-même-, il devient, à force, entrepreneur très entreprenant, mais surtout, toujours disponible, accompagnant le sage de Yamoussoukro, partout ou presque. On eut dit même qu’il avait «évincé» le premier inspecteur général de la Présidence, feu Michel Aka d’Ably, dont il construisit une des premières maisons.

Devenu incontournable, il finit par gagner la confiance du «Vieux». Il allait même, dit-on encore, gérer, presque partout, des «affaires secrètes» de «Nanan», et régler quelques contentieux politiques, toujours dans l’ombre. Il eut même à frôler la mort, dans un accident d’avion ou d’hélicoptère, «en mission secrète» au Sénégal.

Fils donneur et d’honneur

A la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993, qu’il avait servi avec fidélité et loyauté tant d’années durant, pour fuir le grand vide du départ de son Maître, son village Djékanou, comme Yamoussoukro pour le premier, devint son havre de paix et de repos, comme il le leur avait enseigné. Il vécut, discret, comme il l’avait toujours été, loin des rampes de l’actualité, en homme sage et solide, certes, mais que des évènements malheureux auront aussi fortement ébranlé : les morts successifs de ses enfants, ses grands garçons : «Vieux» Amadou Diallo, Noum, et surtout Sidy, ex-président de la Fédération ivoirienne de football.

Ces départs inattendus, l’avaient profondément affecté. Même si les grandes douleurs sont muettes, à son grand âge, on en prend un terrible coup. C’est aux enfants, de mettre en terre leurs géniteurs, aurait été la logique. Mais à Dieu ne plaise...

Ne restent, de ces lits féconds, comme hommes, qu’Ibrahim, Jimmy, Olivier ; comme femmes : Nicole, «N’nan», homonyme de sa mère, Reine, Simone, Irène et Rolande. Essuyez vos larmes, enfants ! Votre père vécut, selon la volonté de Dieu.

En homme riche de tout. Il a servi Félix Houphouët-Boigny, il a servi sa région, son village, notamment et donc, la Côte d’Ivoire, discrètement certes, mais efficacement, sûrement. Comme savent le faire les ouvriers et bâtisseurs de l’ombre.

Reste à lui servir, en guise de reconnaissance, des hommages dignes du fils d’honneur et donneur qui aura tout donné à sa matrie, ayant payé, grandement, sa «dette» envers les siens, sa patrie. Dormez en paix, vous, qui partez, mort en serviteur resté toujours disponible, fidèle à un grand homme et aux siens.


Le 07/03/23 à 12:09
modifié 07/03/23 à 12:09