Hommage : Il y a 45 ans, ma rencontre avec le ministre Paul Yao Akoto ...

L'ancien ministre Paul Yao Akoto. (Ph: Poro Dagnogo)
L'ancien ministre Paul Yao Akoto. (Ph: Poro Dagnogo)
L'ancien ministre Paul Yao Akoto. (Ph: Poro Dagnogo)

Hommage : Il y a 45 ans, ma rencontre avec le ministre Paul Yao Akoto ...

Dans l’épreuve et la dignité du deuil qui est collectivement nôtre en Côte d’Ivoire avec le rappel à Dieu du ministre Paul Yao Akoto, j’ai décidé de sortir de mon silence. Je ne suis pas amnésique et je ne souhaiterais pas l’être. C’est pourquoi, je n’apprécie guère tous les amnésiques qui, semble-t-il, sont légion et se promènent sans souci aucun, sans la moindre vergogne et « prospèrent » dans notre pays.

Je fais aujourd’hui ce témoignage post-mortem à l’endroit de notre maître, de notre papa et mentor historique, Paul Akoto Yao, pour lui rendre un hommage filial et bien mérité.

Ma rencontre personnelle avec ce grand monsieur remonte aux années 1978 quand, jeune étudiant à la Faculté de Droit de ce qu’était encore l’Université nationale de Côte d’Ivoire, je faisais parallèlement mes premiers pas comme journaliste-collaborateur extérieur à Fraternité Matin et couvrant déjà les activités universitaires pour le compte de cet unique quotidien ivoirien. Nous étions encore sous « l’empire » ou diront certains « l’emprise » du parti unique.

C’est au travers d’un reportage sur la « Semaine nationale de l’étudiant » honorée par l’illustre et prestigieuse présence du géant, immense et immortel Félix Houphouët-Boigny, que datent mes tout premiers contacts avec « PABLO ». C’est ainsi que nous étudiants d’alors l’appelions affectueusement.

L’homme était affable, charmant autant physiquement qu’intellectuellement et moralement. J’en fus émerveillé, je l’approchai , le fréquentai. Il ne tarda pas à m’adopter et à me prendre rapidement sous sa coupe et ses ailes protectrices.

Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît et tout le monde le dit: les années 80 coïncident, pour la Côte d’Ivoire, avec ce qu’on a nommé ici prosaïquement et communément « LA CONJONCTURE » pour désigner la crise économique dans laquelle le pays commençait hélas à faire son entrée après vingt ans de progrès certain, vertigineux et de décollage qualifié de « Miracle ivoirien ».

La contestation sociale, le mécontentement de la population en général et du monde estudiantin en particulier, etc, n’allaient pas tarder à se manifester et à s’exprimer.

Pour Paul Akoto Yao, alors ministre de l’Éducation nationale (englobant l’enseignement supérieur), il fallait, à défaut de réprimer, anéantir et écraser les velléités de revendications, les gérer, les calmer et les apaiser.

Intellectuel accompli, Paul Akoto Yao ne redoutait pas, ne reprouvait pas et ne rejetait pas la contradiction ou la contrariété.Collaborateur du chantre du dialogue, le Président Félix Houphouët-Boigny, Pablo voulait et se délectait si l’on ose dire.... de la...dialectique, de la discussion, la négociation avec les étudiants pour régler leurs problèmes.

C’est ainsi que, sous son impulsion, le Centre national des œuvres universitaires (Cnou) dégagea et ouvrit quatre axes majeurs : Le premier, sur le plan purement culturel et artistique, fut le mythique O.U.A ou orchestre de l’université d’Abidjan avec les Paul Dodo (paix à son âme), Tiburce Koffi, Momo Louis et bien d’autres qui, à cette époque là, ont fait chanter, danser, égayer les jeunes garçons et filles que nous étions sur l’air rythmé et endiablé de l’inoubliable morceau...

« ZEA ZEA».

Le deuxième axe pour Paul Akoto Yao et ses « enfants « fut le volet sportif avec L’AUC ou Abidjan Université Club avec de grands et historiques noms comme Idriss Diallo (actuel président de la Fédération ivoirienne de Football), Ourega Daniel ou ODAN qui deviendra plus tard à la faveur d’un changement de nom Bamba Cheick Daniel, devenu préfet puis ministre de l’Administration territoriale (il dirigea aussi pendant longtemps le Taekwondo), Brahima Sangaré dit Sangus ou Sangson, Cavour Diallo, etc., en somme un vivier de responsables sportifs pour agrémenter la vie sur le campus universitaire.

Le troisième domaine fut l’angle des Comités de résidents pour la gestion des cités U (avec certains présidents de cité comme Gounougo Ben Mouss, Eric Kplohourou Kahé (qui devint ministre du Commerce), Bogolo Adou Georges, N'guessan Akou Antoine, feu Assi Christophe, etc.).

Le ministre Akoto, sous nos yeux, était un ardent promoteur et défenseur de l’association et de l’implication des étudiants dans la gestion des cités universitaires.

Ainsi, à côté des fonctionnaires et travailleurs du CNOU, les étudiants apprenaient à gérer déjà leur propre vie sociale. Ce fut un apprentissage positif et heureux pour bon nombre d’entre nous.

Mais le grand esprit d’ouverture du ministre Akoto Yao allait surtout se manifester par la création du journal « CAMPUS-INFO » (un mensuel) pour permettre aux étudiants de s’exprimer, de parler en toute liberté de leurs problèmes, conditions de vie, aspirations, etc. Ne l’oublions pas, nous étions encore en pleine période de parti unique en Côte d’Ivoire, en Afrique et en pleine guerre froide ( Est-Ouest).

Aujourd’hui encore, avec le recul, je continue de me demander comment le ministre Akoto a pu avoir cette.... « folie » de favoriser ainsi une « Tribune de Libre Expression de l’étudiant » ainsi que c’était mentionné sous le titre du journal. Des sujets aussi délicats que tabous tels que le poste de vice-Président de la RÉPUBLIQUE (1980), le MEECI ( la jeunesse du PDCI, parti unique, furent abordés avec une liberté surréaliste et déconcertante.

Ce n’était pas tout ! Sur les ondes de la très officielle Radio publique nationale, Radio Côte d’Ivoire, grâce au ministre Paul Akoto Yao, nous étudiants de l’université nationale de Côte d’Ivoire, avions tous les jeudis une émission dénommée « RADIO- CAMPUS » pour évoquer, discuter, débattre sans censure de nos problèmes estudiantins et sociaux. Je sais que certains de ses collègues ministres et certains barons du parti, pour cela, ont essayé de dépeindre M. Akoto Yao comme un collaborateur déloyal auprès du Président Félix Houphouet-Boigny dans un vil et méchant ...

‘‘Kpakpatoya’’ (mouchardage), comme dirait

l’Ivoirien lambda....Bref, j’eus l’immense privilège et la chance d’être le premier Rédacteur en chef du journal « CAMPUS-INFO » (avec les Venance Konan, François Monckey, Amelie Comoe, Parfait Kouassi, Amos Diby, Paulin G.Djité, puis feux le ministre Kabran Appia Aimé et l’ambassadeur E. Allou Allou, etc.) et de l’émission hebdomadaire « RADIO-CAMPUS » (avec David A. Milton, Paulin G. Djité, Bessy Marius, Pauline Kanga, feu Mory Touré, etc.) grâce au courageux, voire téméraire ministre Akoto.

Depuis et du coup, notre vie et nos carrières individuelles et personnelles, pour certains d’entre nous, ont été façonnées par cette expérience si précoce en journalisme. En effet, pour CAMPUS-INFO, j’avais pour adjoint un certain Venance Konan qui signait déjà sous le nom de Konan Kouassi Venance Doudou, étudiant en droit comme moi même.

Venance Konan se destinait sans doute beaucoup plus à des métiers juridiques ou judiciaires que journalistiques mais il fut tout aussi « piqué » par le « virus » du journalisme.

En ce qui me concerne, s’il est vrai qu’il y avait déjà dans ma famille biologique des journalistes de renom tels que mes oncles Feux Gabriel Atta Koffi, Noël X Ebony (d’où le nom du prix du meilleur journaliste de chaque année), Michel Kouamé qui deviendra plus tard Directeur général de Fraternité-Matin, etc., ma rencontre avec le ministre Akoto Yao a renforcé cette vocation et mes antécédents familiaux vers le journalisme.

Je peux le dire avec honnêteté et une grande reconnaissance aujourd’hui : si j’ai continué dans le journalisme après mes études supérieures de Droit, c’est, en grande partie, parce que j’ai croisé sur mon chemin M. Paul Akoto Yao. Très tôt, avec un rare et inégalé esprit d’ouverture en plein système de parti unique, il m’a fait confiance...il nous a fait confiance...

Mon confrère et compagnon depuis Campus Info, Venance Konan, lui aussi juriste de formation, « happé » par le journalisme à la fin de ses études de Droit, saura lui-même dire l’incidence qu’a eue sur sa vie et sa carrière notre expérience commune dès l’université avec le journal CAMPUS-INFO.

Pour ma part, je le dis, sans aucune espèce d’amnésie, ma vie et ma carrière de journaliste doivent énormément au ministre Paul Akoto Yao qui les a façonnées et orientées d’une manière décisive et indiscutable.

C’est ce témoignage d’honnêteté, d’humilité et de gratitude que je me devais de faire au moment où ce baobab, cet intellectuel hors pair, grand commis et serviteur de l’État ivoirien, de la nation ivoirienne, nous quitte. Mais son esprit continuera de nous habiter toujours. En réalité, il ne quittera jamais mes compagnons de « Campus-Info » et de « Radio Campus » et moi.

Repose en paix grand maître, papa Paul Akoto Yao....oui PABLO, tu n’auras pas vécu inutile...

Yao Noël,

Journaliste,

Ancien Rédacteur en chef du journal « CAMPUS-INFO », et animateur principal de « RADIO- CAMPUS »

(Université nationale de Côte d’Ivoire 1979-1981)