Tanella Boni, Professeur titulaire de philosophie et écrivaine. (Ph: Dr)
Tanella Boni, Professeur titulaire de philosophie et écrivaine: ‘‘Les penseurs de l’Occident n’ont pas nourri mes premières réflexions’’
Figure majeure du monde intellectuel ivoirien et même africain, Tanella Boni, qui sera célébrée à partir du 3 novembre par ses pairs et disciples de l'Université Félix Houphouët-Boigny, s'est prêtée à nos questions. L'intellectuelle revient sur son parcours et donne sa lecture de la société.
Professeur, et si nous commencions par vous demander de vous présenter...
Ça n'a jamais été facile pour moi de me présenter car je pense avoir plusieurs identités. En plus, parler de soi, c'est toujours compliqué. De façon ramassée, je dirai que je suis professeur titulaire de philosophie, écrivaine et par écrivaine, j’entends poétesse, romancière, essayiste, membre de plusieurs sociétés savantes, etc. Voyez-vous, c'est compliqué (rires).
Alors, parmi ces différentes casquettes, laquelle vous définit le mieux ?
Aucune. Je n'aime pas les étiquettes. Je suis tout ça à la fois.
Pourtant, la philosophie est dans les différentes perceptions que vous avez de vous-même, qu’en-t-il de la femme... que vous êtes ?
La femme est au début, au milieu et à la fin.
Oui, mais encore...
C’est la femme qui philosophe, c’est la femme qui est écrivaine, c'est la femme qui est critique littéraire, etc. Même si au départ, cette femme-là n’avait pas de voix.
Pas de voix, dites-vous ?
Oui, j'ai été pendant longtemps une fillette pratiquement muette. Mes premières années d’école, quand j’étais dans une classe et qu’on me disait d’aller au tableau, aucun son ne sortait de ma bouche.
Et pourquoi, souffriez-vous d’un mal ?
Pas que je sache. C’était peut-être psychologique. J’étais une enfant mutique. J’écoutais tout ce qu’on disait et un beau jour, je devais avoir six ou sept ans, j’ai pris la plume et les premiers mots étaient déjà de la poésie.
Comment avez-vous vécu cette longue période de silence ?
J'étais une élève plutôt brillante mais comme je ne disais jamais rien, des copains de classe m’ont surnommée "bouche bée". Je n'avais pas d'amis. Une fois, je me suis battue avec un garçon de la classe qui m'embêtait et depuis cette date, je ne me suis plus tue. Aujourd'hui encore quand, je rencontre Alpha Blondy qui est un véritable boute-en-train avec qui j'ai fait l'école primaire, il me rappelle toujours cela. Il me dit "Toi tu ne parlais pas beaucoup mais tu étais forte hein" (rires).
Et l’écriture, comment et quand vous vous y mettez véritablement ?
Je pense que je devais avoir douze ans, quand j'ai vraiment commencé à écrire. Après la mémorable scène de la bagarre avec un camarade de classe, j'ai parlé et aussi écrit. Je me souviens qu'à l'âge de 15 ans, certains de mes poèmes ont même été publiés dans vos colonnes de Fraternité Matin.
On raconte qu’en classe de troisième, vous aviez déjà lu intégralement La République de Platon que les étudiants en première année de philosophie avaient au programme ?
Oui c’est vrai. J’avais également lu les Confessions de Saint Augustin, en classe de première, et en terminale c’était Sartre et bien d'autres encore...
À quoi répondait ou satisfaisait cette boulimie de lecture ?
Alors, parmi ces différentes casquettes, laquelle vous définit le mieux ?
Aucune. Je n'aime pas les étiquettes. Je suis tout ça à la fois.
Pourtant, la philosophie est dans les différentes perceptions que vous avez de vous-même, qu’en-t-il de la femme... que vous êtes ?
La femme est au début, au milieu et à la fin.
Oui, mais encore...
C’est la femme qui philosophe, c’est la femme qui est écrivaine, c'est la femme qui est critique littéraire, etc. Même si au départ, cette femme-là n’avait pas de voix.
Pas de voix, dites-vous ?
Oui, j'ai été pendant longtemps une fillette pratiquement muette. Mes premières années d’école, quand j’étais dans une classe et qu’on me disait d’aller au tableau, aucun son ne sortait de ma bouche.
Et pourquoi, souffriez-vous d’un mal ?
Pas que je sache. C’était peut-être psychologique. J’étais une enfant mutique. J’écoutais tout ce qu’on disait et un beau jour, je devais avoir six ou sept ans, j’ai pris la plume et les premiers mots étaient déjà de la poésie.
Comment avez-vous vécu cette longue période de silence ?
J'étais une élève plutôt brillante mais comme je ne disais jamais rien, des copains de classe m’ont surnommée "bouche bée". Je n'avais pas d'amis. Une fois, je me suis battue avec un garçon de la classe qui m'embêtait et depuis cette date, je ne me suis plus tue. Aujourd'hui encore quand, je rencontre Alpha Blondy qui est un véritable boute-en-train avec qui j'ai fait l'école primaire, il me rappelle toujours cela. Il me dit "Toi tu ne parlais pas beaucoup mais tu étais forte hein" (rires).
Et l’écriture, comment et quand vous vous y mettez véritablement ?
Je pense que je devais avoir douze ans, quand j'ai vraiment commencé à écrire. Après la mémorable scène de la bagarre avec un camarade de classe, j'ai parlé et aussi écrit. Je me souviens qu'à l'âge de 15 ans, certains de mes poèmes ont même été publiés dans vos colonnes de Fraternité Matin.
On raconte qu’en classe de troisième, vous aviez déjà lu intégralement La République de Platon que les étudiants en première année de philosophie avaient au programme ?
Oui c’est vrai. J’avais également lu les Confessions de Saint Augustin, en classe de première, et en terminale c’était Sartre et bien d'autres encore...
À quoi répondait ou satisfaisait cette boulimie de lecture ?
J’avais peu d’amis donc toutes les semaines, j’épuisais toutes mes économies dans les livres qui furent pour moi de bons amis (rires). Mais il y a aussi la curiosité de vouloir découvrir tout ce qui se passe ailleurs. Et ma sœur aînée, qui était une grande conteuse, a aussi renforcé cette passion pour la lecture par ses références littéraires. Ma mère également, qui pourtant n’a pas été à l’école, attachait du prix à la réussite de nos études. Quand j’entends dire que les enfants ont besoin de modèle, j'acquiesce car dans mon cas, ça a été efficace. Ce ne sont pas les penseurs d’Occident qui ont nourri mes premières réflexions. Ce sont ma grand-mère, ma mère, ma sœur aînée. Vous voyez, la femme, les femmes, ont toujours été présentes dans ma vie. Ce sont la curiosité et les femmes de votre vie, si l'on peut dire, qui vous font aimer les livres depuis votre tendre enfance.
Qu’avez-vous trouvé pour ne plus en sortir ?
Qu’avez-vous trouvé pour ne plus en sortir ?
Tout et rien, car je cherche toujours. Cette petite musique intérieure m’habite toujours... La curiosité toujours, le goût du partage toujours, il y a tellement à raconter, tant de choses à écrire, réécrire, etc.
Pour vous qui êtes philosophe, votre rapport à la parole semble être tellement intime qu’on ne vous entend pas ou plus (c’est selon). Vous mettez toujours cette parole dans un écrin et pourquoi vous vous taisez pour écrire plus fort ?
Je ne suis pas compétente pour crier sur la place publique. Pour moi, le faire, c’est amuser la galerie. Il y en a beaucoup qui brassent beaucoup de paroles pour dire peu de choses et j'avoue que je n'ai pas envie de parler pour ne rien dire. J’ai appris qu’il faut manier la parole avec soin, dextérité et attention. Pour le dire trivialement, il ne faut pas dire n’importe quoi, ni n’importe comment. Il importe de tenir compte de l’espace ; du temps, etc. C’est ce qu’on m'a appris. Aujourd'hui, ce sont sur les plus bruyants que les projecteurs sont braqués, le paraître semble avoir la couronne. Je pense que mes livres disent ce que je pense et l'acte d'écriture, par-delà les paroles, grave dans le marbre des convictions, des positions, des visions, etc.
Le choix que vous opérez, manifestement, semble trop élitiste pour avoir un impact sur la masse qui doit changer pour que la société change, vous restez dans la théorie...
J’aurais aimé changer le monde. Le vrai problème de l’éducation formelle, celle qu’on a à l’école, c’est une certaine manière de considérer les valeurs. Qu’est-ce qui vaut ? Comment doit-on se comporter ? Qui doit-on célébrer ? C’est depuis la tendre enfance qu’on doit inculquer les valeurs, c’est d’ailleurs pourquoi j’écris aussi des livres de jeunesse. Mes œuvres n’ont peut-être pas l’écho souhaité en Côte d’Ivoire mais en France, par exemple, 300 écoles, collèges et lycées ont étudié mes textes. Il y a des choses qu’on peut faire pour changer les choses. Dans la presse par exemple, on accorde assez peu de place à ce qui est important. On n’inculque pas suffisamment ce qui pourrait permettre aux jeunes de devenir des adultes dont la Côte d’Ivoire pourrait être fière.
Vous avez parlé d'élitisme mais ça ne devrait pas l'être. Nous devons éviter le nivellement par le bas. Aujourd'hui, que ce soit en littérature, en musique ou en ce qui concerne toutes les formes d'art, ce sur quoi on braque les projecteurs n'est pas forcément le meilleur.
Bientôt un hommage vous sera rendu par l'université Félix Houphouët-Boigny. Qu'avez-vous ressenti quand vous avez appris la nouvelle de votre célébration ?
Pour vous qui êtes philosophe, votre rapport à la parole semble être tellement intime qu’on ne vous entend pas ou plus (c’est selon). Vous mettez toujours cette parole dans un écrin et pourquoi vous vous taisez pour écrire plus fort ?
Je ne suis pas compétente pour crier sur la place publique. Pour moi, le faire, c’est amuser la galerie. Il y en a beaucoup qui brassent beaucoup de paroles pour dire peu de choses et j'avoue que je n'ai pas envie de parler pour ne rien dire. J’ai appris qu’il faut manier la parole avec soin, dextérité et attention. Pour le dire trivialement, il ne faut pas dire n’importe quoi, ni n’importe comment. Il importe de tenir compte de l’espace ; du temps, etc. C’est ce qu’on m'a appris. Aujourd'hui, ce sont sur les plus bruyants que les projecteurs sont braqués, le paraître semble avoir la couronne. Je pense que mes livres disent ce que je pense et l'acte d'écriture, par-delà les paroles, grave dans le marbre des convictions, des positions, des visions, etc.
Le choix que vous opérez, manifestement, semble trop élitiste pour avoir un impact sur la masse qui doit changer pour que la société change, vous restez dans la théorie...
J’aurais aimé changer le monde. Le vrai problème de l’éducation formelle, celle qu’on a à l’école, c’est une certaine manière de considérer les valeurs. Qu’est-ce qui vaut ? Comment doit-on se comporter ? Qui doit-on célébrer ? C’est depuis la tendre enfance qu’on doit inculquer les valeurs, c’est d’ailleurs pourquoi j’écris aussi des livres de jeunesse. Mes œuvres n’ont peut-être pas l’écho souhaité en Côte d’Ivoire mais en France, par exemple, 300 écoles, collèges et lycées ont étudié mes textes. Il y a des choses qu’on peut faire pour changer les choses. Dans la presse par exemple, on accorde assez peu de place à ce qui est important. On n’inculque pas suffisamment ce qui pourrait permettre aux jeunes de devenir des adultes dont la Côte d’Ivoire pourrait être fière.
Vous avez parlé d'élitisme mais ça ne devrait pas l'être. Nous devons éviter le nivellement par le bas. Aujourd'hui, que ce soit en littérature, en musique ou en ce qui concerne toutes les formes d'art, ce sur quoi on braque les projecteurs n'est pas forcément le meilleur.
Bientôt un hommage vous sera rendu par l'université Félix Houphouët-Boigny. Qu'avez-vous ressenti quand vous avez appris la nouvelle de votre célébration ?
J'ai d'abord été un peu étonnée et heureuse que cet hommage ne soit pas rendu à titre posthume. Quand j'ai constaté la mobilisation autour du projet, j'en ai ressenti de la fierté aussi. Mes collègues et même le président de l'université ont encouragé l'initiative.
N'est-ce pas l'écho de votre œuvre qui vous est renvoyé ?
N'est-ce pas l'écho de votre œuvre qui vous est renvoyé ?
Sans doute, et je remercie les initiateurs et tous ceux qui ont contribué à ce projet. Si nul n'est prophète chez soi, il est bon d'avoir la reconnaissance des siens.