Décès de Charles Nokan : L’hommage de quelques acteurs de la littérature ivoirienne

Charles Nokan, universitaire, essayiste, dramaturge, romancier, est décédé le 1er novembre 2022. (Ph: Dr)
Charles Nokan, universitaire, essayiste, dramaturge, romancier, est décédé le 1er novembre 2022. (Ph: Dr)
Charles Nokan, universitaire, essayiste, dramaturge, romancier, est décédé le 1er novembre 2022. (Ph: Dr)

Décès de Charles Nokan : L’hommage de quelques acteurs de la littérature ivoirienne

Le 03/11/22 à 09:29
modifié 03/11/22 à 09:29
Charles Pemont (président de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire "Assedi") : ‘‘Charles Nokan est doublement immortel’’

Charles Pemont, président de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire "Assedi". (Ph: Dr)
Charles Pemont, président de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire "Assedi". (Ph: Dr)



"Charles Nokan n’est pas parti. Il est immortel à double titre. D’abord en tant qu’écrivain. Et ensuite en tant que membre de l’Académie des sciences des arts, des cultures d’Afrique et des Diasporas Africaines (Ascad). Il est juste passé dans une autre dimension. Mais, il demeure vivant à travers ses écrits. C’était un grand homme. Un homme de la dimension de Bernard Blin Dadié. C’est l’un des pères de la littérature ivoirienne. Il a beaucoup apporté à la littérature ivoirienne en tant qu’auteur, mais aussi en tant qu’enseignant. Il a formé des générations d’étudiants en France et en Côte d’Ivoire en philosophie et en sociologie. C’est un auteur très prolixe qui a publié des dizaines de textes traduits en plusieurs langues. Ma douleur est d’autant plus grande que la maison d’édition que je dirige est sur le point de publier les trois nouveaux livres de Charles Nokan. Notamment «Pour une littérature de libération» (un essai littéraire) ; «La chanson de la rivière» (recueil de poèmes) et «L’escalade du mont de la vie par la pente raide» (pièce de théâtre)."

Henri N’Koumo (ancien directeur du livre) : ‘’Une figure tutélaire de la littérature ivoirienne’’

Henri N’Koumo, ancien directeur du livre. (Ph: Dr)
Henri N’Koumo, ancien directeur du livre. (Ph: Dr)



"Avec cette disparition, notre pays perd l’une des figures tutélaires de son écosystème littéraire. Il fait partie des auteurs dont les écrits ont été au centre de nombreux travaux universitaires. Il fait parties des tous premiers à qui l’université d’Abidjan en 1986 a consacré un colloque international dont les échos continuent de se faire entendre. C’est un colloque houleux au cours duquel de nombreux universitaires se sont affrontés sur les doubles questions de l’engagement littéraire et de la qualité d’écriture de ce grand écrivain. Avec ce départ, il faut souhaiter que les jeunes générations ne laissent pas retomber le souffle autour de sa personne. Qu’elles ne s’éloignent pas de sa vision humaniste, humanitaire et militante du monde."

Anzata Ouattara (écrivaine) : ‘‘Une grosse perte pour la littérature ivoirienne’’

Anzata Ouattara, écrivaine. (Ph: Dr)
Anzata Ouattara, écrivaine. (Ph: Dr)



"C’est une grosse perte pour la littérature ivoirienne. A l’instar de la disparition de grands auteurs tels qu’Isaïe Biton Coulibaly et Bernard Dadié. C’est cette génération de grands auteurs qui nous a inspirés. C’est un monument, un baobab qui vient de s’éteindre. Il a une production littéraire abondante et qualitative, qui le fera à jamais vivre parmi nous. C’est toute les Côte d’Ivoire culturelle qui est en deuil et attristée par cette disparition."

Serge Grah (journaliste-écrivain) : ‘‘Un homme libre et fidèle à ses convictions’’

Serge Grah, journaliste-écrivain. (Ph: Dr)
Serge Grah, journaliste-écrivain. (Ph: Dr)



"Charles Nokan appartient à la même génération que Bernard Dadié. Avec sa disparition, la Côte d’Ivoire perd un grand homme de lettres, un grand écrivain, l’un des derniers dinosaures de ses Lettres. Un homme animé d’une conscience lucide, dont la réflexion a toujours été marquée par une haute exigence morale et une conviction inébranlable pour l’égalité des Hommes. Une conscience qui est foncièrement ancrée en lui. Charles Nokan est un homme fondamentalement libre, qui n’a jamais trahi ses convictions. Libre jusqu’au bout. Il n’a jamais voulu négocier sa liberté. Il était très détaché de l’argent et du matériel. Ça n’a jamais été une préoccupation pour lui. Il était en phase avec ses convictions morales, politiques et éthiques. Pour lui, la vie pouvait se vivre sans forcément être prisonnier de l’argent. En 2012, j’intervenais dans une école à Yopougon en tant que littéraire, et j’avais travaillé avec mes élèves sur son œuvre « Les affres de l’existence ». Je l’avais invité dans la classe. Et les enfants qui le découvraient ne comprenaient pas forcement l’étendue de sa qualité intellectuelle, mais ils avaient été fascinés par son humilité, sa disponibilité à enseigner, à faire passer le savoir. Ça nous avait tous marqué. Je n’ai pas lu toute l’œuvre de Charles Nokan, mais ce que je retiens en premier dans sa bibliographie, c’est cette œuvre-là, « Les affres de l’existence ». Parce que nous sommes dans un quotidien confrontés à tellement d’affres et ce texte-là nous amène à vivre au-dessus de toutes ces contingences, à rester nous-mêmes. C’est pourquoi au moment où Charles Nokan nous quitte, je forme le vœu que l’écho de son œuvre continue de résonner en nous, aujourd’hui comme demain. La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a un peu plus d’un an, chez lui à domicile où j’étais allé le visiter. Il était très fatigué par la maladie, fatigué par l’écriture qu’il n’arrivait plus à faire aboutir. On avait échangé pendant deux quarts d’heures. J’avais trouvé un intellectuel accroché à son idée selon laquelle le Communisme était la solution à nos maux. il y tenait absolument, il est mort en tant que communiste, et je pense que là où il est en ce moment, il va continuer à proclamer cet idéal."

Tiburce Koffi (Journaliste et écrivain) : ‘‘Il était le chantre modéré d’une littérature de libération et du refus de l’asservissement’’

Tiburce Koffi, Journaliste et écrivain. (Ph: Dr)
Tiburce Koffi, Journaliste et écrivain. (Ph: Dr)



"Charles Nokan disparaît à un âge relativement avancé. 86 ans. Il part, riche d’une production abondante qui incorpore romans, pièces de théâtre, poèmes. C’était un intellectuel sans histoires, à l’image de ses livres sans tourments, conduits avec conscience didactique (C’était un enseignant), et surtout dans une ligne idéologique saine et rigoureuse : combattre la suprématie capitaliste, bourgeoise. Il était le chantre modéré d’une littérature de libération et du refus de l’asservissement. Ses textes s’inscrivent dans la thématique marxiste de la lutte des classes. Ils sont à ranger dans l’esthétique du réalisme social qui a tant prospéré dans la Russie du XIX e siècle, en URSS et dans la Chine maoïste. Sans être un stylistique, Nokan est, historiquement, le précurseur de l’écriture dite «n'zassa» que professera de manière flamboyante et bellement désordonnée Jean-Marie Adiaffi. Tout différemment de J.-M Adiaffi, Nokan militera, lui, pour une écriture à la fois libre et encastrée dans une sobriété formelle qui était loin de m’exalter.

Héraut du communisme, il n’était pourtant pas un idéologue hystérique. Il croyait plus en l’engagement individuel qu’aux mouvements de masse (comme les partis politiques). Je ne lui ai pas connu d’acte d’adhésion à un parti politique. C’était un homme de gauche libre, et surtout sincère. Je le tiens, avec le Professeur Wodié, pour les hommes de gauche ivoiriens les plus intègres. Charles Nokan portait dans son cœur chargé de feux qu’il ne manifestait pas publiquement, le douloureux souvenir de son incarcération à Assabou. Son anti houphouétisme était aussi viscéral que son anti impérialisme. Il était pourtant le cousin d’Houphouët-Boigny. Mais Assabou les aura divisés à jamais. Son alter ego dans le champ universitaire était le Professeur Barthélémy Kotchy. D’aucuns les traitaient de dogmatiques. J’ai connu Charles Nokan. Il a toujours incarné à mes yeux, le bon stakanoviste, «bosseur», fidèle à son pays et à l’idéologie qui a forgé son attachante personnalité. Sobre, d’une droiture presque mécanique, il nous a « traversés » de son regard toujours lointain et un tantinet moqueur. «Violent était le vent» reste son texte majeur. Hommage à un respectable aîné. À un intellectuel intègre surtout."



Le 03/11/22 à 09:29
modifié 03/11/22 à 09:29